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Le commerce de mode français en danger?

By Céline Vautard

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Selon la FNH 4.500 multimarques de prêt­à­porter pour femme ont fermé en France au premier semestre 2014. FashionUnited est allé à la rencontre d’un secteur en difficulté et a questionné des détaillants sur leur avenir.

Cette semaine, nous nous rendons en Gironde (33) où Bernadette Hirsch et ses boutiques Mademoiselle H sont implantées depuis 2008. Elle est également Présidente régionale de la FNH (Fédération Nationale de l’Habillement) pour l’Aquitaine.

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Quel est votre parcours, depuis quand avez­vous un commerce de mode?

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Mon parcours est éclectique. Je viens de l’univers de la publicité mais pour la partie mode, j'ai monté ma première boutique à Paris dans le Marais en 1999. Cela a duré 5 ans. Puis j'ai été directrice commerciale d'une marque de mode danoise "DAY BIRGER et MIKKELSEN". Ensuite, avec mon mari, nous sommes partis nous installer à Bordeaux pour élever nos enfants. C’est là en 2008 que j'ai créé Mademoiselle H au Bouscat (c'est le Neuilly de Bordeaux). En 2009 j'ai créé RED CARPET, ma boutique de chaussures qui se trouve à côté. En 2011, un second Mademoiselle H a ouvert dans Bordeaux. Et en 2013, j’ai inauguré GIFT par Mademoiselle H, un concept store toujours au Bouscat, à côté des deux autres.

Que pensez­vous des chiffres de la FNH qui laissent penser que les magasins multimarques de prêt­à­porter pour femme ne sont plus rentables. Etes­vous inquiète?

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Ces chiffres sont effectivement inquiétants pour l'avenir du commerce indépendant de proximité. Nous parlons ici de 10% de la profession qui a fermé ses portes, c'est important. Cela reflète bien la période de mutation dans laquelle nous nous trouvons. Outre la crise, le business model ne fonctionne plus. Cela étant dit, toutes ces fermetures ne sont pas que des dépôts de bilan. Il y a aussi des départs à la retraite et des changements d'activité. Mais plus généralement, ces chiffres cumulés à la part grandissante de locaux vides en centre ville prouvent bien la difficulté d'être un commerçant indépendant actuellement.

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Quels sont vos principaux problèmes justement?

Pour moi, il y a deux problèmes majeurs. D’une part, il a les problèmes de coûts. Pour ceux qui veulent s'installer aujourd'hui, le coût des pas de porte et ceux des loyers sont bien trop élevés par rapport à la rentabilité d'un commerce actuellement. Le coût d'un salarié est aussi assez élevé, sans parler d'autres charges qui ne font qu'augmenter, alors que les CA sont plutôt à la baisse. Le commerçant ne peut pas travailler que pour son propriétaire, ses fournisseurs et l'état. Il faut aussi qu'il gagne sa vie. Actuellement trop de commerçants ne se paient pas ou plus, c'est inadmissible pour des gens qui travaillent 60 heures par semaine et font tourner le système. D’autre part, il y a le business model. A force de promotions, de ventes privées, ventes de presse, soldes flottants et j'en passe, les consommateurs ont pris l'habitude de ne plus payer leurs achats au prix indiqué. Ils veulent des réductions, et ce toute l'année. Or, ce n'est pas que le commerçant indépendant est contre les réductions, c'est juste qu'il ne peut pas se le permettre car la marge "normale" du prêt­à­porter n'est pas un gros coefficient. C'est un taux de revente qui lui permet de couvrir ses frais et de gagner sa vie, pas de s'enrichir. Ainsi, dès lors qu'un article est vendu à ­ 30 pour cent, la marge ne permet plus de couvrir les frais, et à ­ 50 pour cent; l'article est revendu au prix acheté. Il est donc aisé de comprendre que si l’on vend au prix auquel on achète, une affaire ne peut pas fonctionner!

Ce n'est certes pas le problème du consommateur, mais c'est la vérité. Si les grands magasins font des remises toute l'année, c'est parce qu'ils forcent les marques à participer à la démarque en leur faisant des remises correspondant au montant de la démarque. Leur marge est intacte, c'est tout bénef’ pour eux. Quant aux grandes enseignes et aux monomarques, s'ils se permettent de telles réductions, c'est parce que leurs marges sont énormes et que même en dessous de ­ 50 pour cent, ils sont encore bénéficiaires ! Quant à internet, ils cassent les prix, c'est leur sport favori. Mais comme eux font leur chiffre sur le volume, cela leur convient. En effet, si une boutique à Lille fait une promo sur une marque que je vends dans ma boutique à Bordeaux, cela n'aura pas d'incidence sur mon CA. En revanche, s'il y a une promo sur un grand site, alors là toute la France est au courant, donc mes clientes aussi. Du coup elles viennent essayer chez moi pour vérifier la taille, puis elles vont commander sur le Net. Ceci est encore plus flagrant pour les chaussures, où je peux certifier qu'au mois de novembre ma boutique est devenue la cabine d'essayage de Sarenza (à qui cela dit en passant je vais finir par demander des dommages intérêts)!

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Avez­-vous un secret, une formule pour résister aux grosses chaînes de mode?

Non, je n'ai hélas pas de secret. J'essaie juste de me battre au jour le jour. Je bataille avec les marques, j'en change, j'essaie de trouver des petites marques avec un plus fort taux de revente, je fidélise ma clientèle en essayant de donner le meilleur service possible... C'est un combat de toutes les minutes!

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Quelles sont les marques qui sont présentes dans votre boutique?

Je travaille avec de nombreuses marques comme American Vintage, Bash, Des Petits Hauts, Maison Scotch, Swildens, Reiko, LTB, SET, et j'en passe ... Mais ça va encore changer car certaines sont vraiment de moins en moins rentables ou pas assez respectueuses de leurs revendeurs.

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Quel est votre sentiment pour le futur ? De quelle façon la FNH pourrait vous aider davantage?

Je ne sais pas quoi penser pour le futur. Il est certain que les plus solides financièrement résisteront mieux, à condition qu'ils s'adaptent. Il faut se remettre en question en permanence. On ne fait plus du commerce comme avant. Internet et les nouvelles technologies ont changé la donne, et la multiplication des réseaux monomarques également. Car ironiquement, les marques avec lesquelles nous travaillons sont plus nos ennemies que Zara ou H&M ! C'est là que le rôle de la FNH devient prépondérant. Il faut que toute la profession se regroupe derrière son syndicat car l'union fait la force et c'est le seul moyen de se faire entendre vis à vis des pouvoirs publics pour contrer toutes leurs lois qui sont des freins à notre développement ; mais aussi des marques pour faire pression sur les conditions commerciales. A terme la création d'un groupement d'achat ou de quelque chose s'y rapprochant devrait nous permettre d'obtenir de meilleures conditions. Il ne faut surtout pas que les indépendants se vivent comme des concurrents. Bien au contraire, il faut qu'ils se rendent compte qu'ils ont tout intérêt à se regrouper pour faire face. Comment voulez­vous qu'une boutique ayant un volume d'achat de 5000 à 6000 euros par saison puisse obtenir quoique ce soit d'une marque ? En revanche, si vous regroupez les 200 boutiques qui revendent la marque en France, là il y a de quoi faire. Et même si ces marques développent fortement leur propre réseau, je ne pense pas qu'elles puissent se passer du CA que génèrent leurs 200 revendeurs! La FNH peut également "redorer" le blason des boutiques multimarques indépendantes. NON, nous ne sommes pas des voleurs. OUI, nous apportons du service et cela a un coût. Cela le consommateur doit en être plus conscient. Il faut respecter et soutenir ses commerçants de proximité. C'est grâce à eux que les quartiers sont vivants, pas grâce aux banques et aux compagnies d'assurance!

PHOTOS: Mademoiselle H Bordeaux

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