Paris : la semaine de la mode marquée par la présence des Asiatiques, en particulier des Chinois
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La semaine de la mode parisienne, qui s’est déroulée du lundi 28 septembre au mercredi 4 octobre 2023, confirme le regain d’activités exprimé en juin dernier, avec un nombre impressionnant de propositions créatives pour le printemps été 2024, le pouvoir du celebrity business et le retour des acteurs asiatiques, notamment des Chinois, désireux de créer des ponts avec le marché européen.
108 marques ont défilé ou présenté dans le cadre du calendrier officiel de Paris Fashion Week, nom déposé par la Fédération de la Haute Couture et de la Mode (FHCM) et dont on ne sait comment le traduire en anglais sans inclure les 1 080 autres marques (chiffre approximatif) présentant en off, exposantes dans les salons non-partenaires (Premiere Classe, Woman, Splash), les showrooms multimarques, monomarque ou autres happenings surprises. Voilà de quoi légitimer la place de Paris en tant que capitale internationale du business de la mode.
Les défilés parisiens, tant courus, sont devenus relativement inaccessibles à certains professionnels du secteur. Après les journalistes, c’est au tour des acheteurs de se voir recaler au deuxième, voire troisième rang, au profit des people (célébrités ou influenceurs). Une stratégie qui trouve tout son sens dans la formule « celebrities are the new business » (en français : les célébrités sont le nouveau business), sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir.
Autre facteur de buzz marketing des collections printemps été 2024 : les créateurs connus entrant dans les grandes maisons. Ainsi, après la vague low profile observée les saisons précédentes, l’arrivée de Louise Trotter chez Carven suscite-t-elle l’engouement des acheteurs.
Cependant, cette semaine de la mode arrive tard. Selon Chaco, du showroom Roméo : « les périodes de juin et janvier (normalement réservées aux collections de prêt-à-porter masculin, N.D.L.R.) sont beaucoup plus dynamiques du fait de la présentation des pré-collections. De nombreux acheteurs regrettent de ne pouvoir venir deux fois dans la même saison, à cause de la hausse des prix (transport, hébergement, etc.). »
La semaine de la mode parisienne salue le retour des Asiatiques
Un sentiment partagé par Cindy Gout, du showroom Likewise : « près de 80 % des achats sont effectués pendant les pré-collections, en juin. Les acheteurs asiatiques restent moins longtemps à cause du coût du voyage. Or, excepté l’Asie, le marché mondial est compliqué. »
Crée il y a un an, LikeWise satisfait la demande accrue de créateurs émergents, en l’occurrence, cette saison, 8on8 (Chine) et Yomi (une styliste belge installée à Londres) ou plus confirmés (Germanier et Valentine Gauthier). « L’Asie (Corée du Sud, Japon, Chine) est le marché numéro un du luxe, ajoute Cindy Gout. On voit revenir les acheteurs japonais à Paris. S’extirpant de leur conservatisme période Covid, ils sont à nouveau à la recherche de produits créatifs et pointus. Ils fonctionnent beaucoup avec des bureaux d’achats installés à Paris, mais viennent, à deux ou trois, pour voir les nouvelles collections. »
L’opération séduction des institutionnels chinois
Mais ceux qui ont marqué la saison des collections printemps-été 2024, ce sont les Chinois. Les acheteurs, mais également les institutionnels : que ce soit la ville de Guangzhou, dont nous avons déjà évoqué la présence, ou encore la China Fashion Association, mise en valeur avec six exposants au salon partenaire de Paris Fashion Week, Tranoï. Lors de la présentation à la presse, Robin Fang, general manager de Shenzhen Oriental Fashion, plaque tournante stratégique pour la mode haut de gamme, explique à FashionUnited qu’il souhaite créer des relations entre la France et la Chine.
Il cible le marché européen, cherche un showroom à l’année pour s’implanter et ouvre en grand la porte de son pays pour accueillir les marques françaises, celles qui manquent d’opportunités commerciales en se confinant à l’Occident. Selon lui, la jeune génération serait lasse des grands noms du luxe et chercherait des alternatives. À cela, il ajoute un argument de choc : la Chine peut désormais fabriquer des collections de dix pièces à la couleur (par couleur de produits les unités de productions peuvent désormais proposer 10 pièces ce qui n'était pas le cas jusqu'alors), car les minimums de quantités sont réduits depuis la crise Covid.
Autre événement émergent, le Festival mode et culture sino-français. Organisé au Centre culturel de Chine, sous l’égide de l’État chinois, il a réuni des marques chinoises, mais a aussi permis à Theunissen, jeune créatrice française, de défiler en son sein, preuve concrète du lien qui est en train de se former entre les deux nations. D’autant que les autorités chinoises comptent renouveler ce festival, à raison de deux fois par an, pendant les semaines de la mode parisienne.
Le marché de la mode printemps-été 2024 tend vers des marques globales, conceptualisées et marketées
Un autre phénomène a donné le ton de la saison printemps-été 2024 : les marques sortent de leur territoire de prédilection pour proposer une offre globale, comprenez articulée autour de différents articles. Cette nouvelle tendance du marché de la mode s’inscrit dans le sillage de l’évolution des multimarques spécialisés vers des boutiques concept stores.
« À moins de déterminer une vraie ligne stylistique pour que les acheteurs comprennent ce qui est proposé, c’est une stratégie risquée, avertit la coach Patricia Lerat qui remarque, par ailleurs, un retour du business dans les salons professionnels qui se sont repositionnés, depuis la pandémie, en termes de scénographies et de lecture de l’offre. Cela signe une belle énergie. »
Une énergie qu’il va falloir conserver à l’heure où de nombreux acheteurs s’inquiètent, pour 2024, de la tenue des Jeux Olympiques. À cause du coût du voyage, précédemment signalé, et de « l’insécurité ambiante qui va de pair avec le repli vers des griffes concepts, marketées, qui savent produire et livrer en temps et en heure », indique le duo de Moddity, guide qui recense une grande partie des évènements qui se déroulent pendant la semaine de la mode.
D’autant que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, la température ambiante vécue fin septembre / début octobre 2023 (minimum 24 degrés sur les grandes villes européennes), ne joue pas en faveur des boutiques. En effet, ces dernières ont déjà installé les collections automne-hiver qui, chaleur oblige, ne se vendent pas, laissant présager des excédents de stocks.
Dans ce contexte, le rôle des commerciaux est plus que jamais difficile. Autrefois, les acheteurs attendaient la semaine de la mode parisienne pour passer commande. Aujourd’hui, ils viennent avec leur portable, photographient les modèles qui leur plaisent, demandent à envoyer le lookbook et notent (ou pas) les quantités, une fois rentrés chez eux.
« Ils sont tellement sollicités que lorsqu’ils répondent à nos mails, même pour dire non, cela relève du miracle, nous confie, en off, un agent. Quand il s’agit d’une marque de luxe connue, les commandes sont réalisées en deux jours, mais, pour une griffe plus confidentielle, qui doit lancer la production, la négociation peut prendre des semaines. » À ce jeu, comment mettre en lumière la jeune création, qui ne figure pas dans le calendrier officiel, et dont s’enorgueillit, pourtant, la capitale de la mode qu’est Paris ? Comment lui offrir une place pérenne dans le business international ? La question se pose.
Erratum : le nombre de marques ayant défilé au calendrier officiel de la Paris Fashion Week est de 108 et non de 140 comme précédemment indiqué. Celui des marques présentant leurs collections en off est de 1 080 et (non de 1 260).