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Quelle politique l’État français va-t-il mener face aux métaverses ?

By Florence Julienne

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Image: Unsplash

Opportunités économiques, sociales, culturelles et environnementales, un rapport remis au gouvernement permet de mieux comprendre les enjeux de cette nouvelle technologie de l’immersion qu’est le Métaverse. Ou plutôt LES métaverses car, un peu comme dans « Docteur Strange in the mutiverse of madness », ces univers parallèles sont multiples.

Février 2022 : le Ministère de l’Économie et des Finances et le Ministère de la Culture commandent un rapport exploratoire sur les métaverses. Fin octobre 2022, un dossier passionnant de 116 pages leur est remis. L’objectif ? 1/ Permettre à l’État de jouer son rôle dans cette évolution technologique, qui va bouleverser notre vision du futur, bien au-delà des jeux vidéo qui en sont la phase première. Ce, tant sur le plan international que dans le rapport de force avec des structures privées empiriques. 2/ Encourager les entrepreneurs et les investisseurs à travers une politique publique de soutien au secteur, dans le cadre des plans de financement France 2030, PIA4, PEPR et ANR*.

À titre de comparaison, l’étude cite la Corée du Sud qui va investir 2 milliards d’euros dans le Métaverse d’ici à 2025, pour devenir l’un des cinq premiers marchés au monde, créer 220 entreprises et réaliser un chiffre d’affaires de plus de 4 milliards d’euros d’ici 2026.

Les métaverses s’apparentent à des réseaux sociaux augmentés

Pour mémo, le métaverse est un service en ligne donnant accès à des simulations d’espaces 3D (hauteur, largeur et profondeur), en temps réel, pour vivre des expériences immersives. La notion de métaverse est particulièrement connue des gamers qui développent dans les jeux vidéo une identité propre, appelée avatar. À travers leur apparence et leur implication dans le jeu, ils deviennent les acteurs d’une réalité sociale virtuelle. Ils achètent et peuvent revendre, principalement avec de la cryptomonnaie, des biens immatériels, tels que des vêtements, des objets, des parcelles de terrain…, qui sont authentifiés par des certificats dématérialisés, les fameux NFTs. Ces actifs numériques constituent les bases économiques d’un écosystème qui ne saurait se cantonner aux jeux vidéo et est en passe de s’immiscer dans d’autres secteurs d’activité. D’où la pertinence d’encourager une politique qui accompagne le work process. Oui, mais laquelle ?

De la nécessité de réunir les acteurs du numérique immersif

S’il veut faire la preuve d’une souveraineté nationale (autrement dit ne pas se faire doubler par des pays qui sont déjà dans la course), le rapport conseille à l’État de valoriser son écosystème en commençant par identifier les entreprises françaises spécialistes du métaverse. L’étude cite, par exemple, des grosses structures comme Ubisoft ou Dassault Systèmes, des startups innovantes déjà rachetées par des Américains (Pixyz Software, NextMind…) et des studios de fabrication (Backlight Studio, Stage11…). Cette numération lui permettrait de quantifier les besoins de financement et de soutien les plus stratégiques. L’étude invite le gouvernement à les rassembler autour de projets concrets (par exemple les Jeux olympiques 2024) qui répondent à un besoin de service public, afin d’initier des discussions sur l’interopérabilité (possibilité de communiquer entre plusieurs systèmes informatiques). Les témoignages font ressortir la nécessité d’augmenter la commande publique plutôt que de proposer davantage de subventions.

Photo Credits: Hogan, Untraditional NFT Collection.

De l’importance d’instituer un cadre juridique et fiscal

À l’heure actuelle, les NFTs n’offrent aucune protection contre le vol, la copie et la contrefaçon. « Il semble urgent, signale les rapporteurs, de lancer le travail d’adaptation, notamment du RGPD, du DSA et du DMA, aux enjeux métaversiques ». Le but ? Assurer la pérennité des mondes et œuvres créées dans les métaverses.

La mission exploratoire invite les institutions à établir un cadre juridique spécifique pour sécuriser les dépôts de marques, la propriété des biens numériques, la lutte contre les actes illicites, les contrats de licence, les transactions en cryptomonnaies, etc. Elle pose aussi la question de savoir comment appliquer une fiscalité sur des revenus et des valeurs, principalement créés en monnaies virtuelles : « Aux lois nationales, chaque géant numérique oppose ses conditions générales d’utilisation. Ces smart contracts, rarement lus, sont pourtant juridiquement contraignants. Ainsi ils peuvent édicter des règles et interdictions spécifiques.

Ce choc de souveraineté entre États-nation et plateformes internationales s’accentue avec le temps, car l’attractivité de ces dernières augmente au point de devenir des moyens de communication incontournables ». Il suffit d’ailleurs de comparer : Meta (Facebook) rallie plus de 2 milliards de comptes utilisateurs, alors que la France compte moins de 70 millions d’habitants. « Pourrions-nous assister à une forme de privatisation de la justice ? » s’interroge la mission exploratoire.

Cette dernière suggère également de simplifier les lourdeurs administratives, qui freinent les ardeurs des acteurs du numérique immersif, et de créer des incubateurs pour qu’ils puissent se concentrer sur la valeur de leur travail, en l’occurrence le développement de briques technologiques**. Ce soutien de départ permettrait de stimuler les investisseurs européens qui, selon plusieurs entretiens recueillis, « ne sont pas prêts à prendre des risques, contrairement aux USA ».

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Du besoin de formation des spécialistes et des utilisateurs

L’annonce d’investissements massifs dans les métaverses va, en toute logique, créer de nouveaux emplois qualifiés. Les tensions en matière de recrutement sont déjà très fortes, par exemple pour les data scientist ou ingénieurs en intelligence artificielle. Le rapport encourage l’État à former des étudiants au plus haut niveau de Software Engineers et de Computer Scientists dans les écoles publiques et privées et de doubler le nombre de doctorants en réalité mixte.

L’autre défi à relever en matière de formation est celle des potentiels utilisateurs qui sont vite perdus au seul énoncé du mot « metaverse ». Un « illettrisme électronique » qui va de pair avec une inégalité sociale, au vu du matériel nécessaire pour voyager dans les métaverses (ordinateurs, smartphones, visiocasques, lunettes de réalité augmentée et virtuelle, gants sensoriels…). Il conviendrait donc de conduire une réflexion inclusive dans la conception des métaverses.

Pour mieux comprendre et aborder ces impacts éthiques et sociétaux, le rapport suggère d’investir dans des initiatives de recherche interdisciplinaire (informatique, neurosciences et sciences sociales) en utilisant les dispositifs existants (France 2030, PIA 4, PEPR, ANR). Ce, afin de développer des métaverses expérimentaux guidés par des besoins sociétaux (culture, santé, éducation).

Du respect de la vie privée

Les technologies immersives sont extrêmement invasives en termes d’acquisition de données personnelles. Il est non seulement possible de savoir ce que dit une personne, mais également ce qu’elle fait et comment elle le fait. Si l’interdiction des publicités, de fait intrusives et ultra-ciblées, est peu envisageable, la question des modèles d’affaires et des gatekeepers (intermédiaires chargés de gérer l’accès) se pose, afin d’être en mesure de déterminer collectivement la société vers laquelle nous nous dirigeons. Théoriquement, « la protection de la vie privée devrait l’emporter sur les intérêts des entreprises publicitaires ».

D’autant qu’en passant plus de temps dans des mondes hybrides, certain(e)s pourraient vivre des expériences plus intenses, plus gratifiantes dans les métaverses que dans le monde physique et courir le risque d’être déconnecté(e)s de notre réalité.

L’étude propose d’imposer le consentement éclairé des utilisateurs et la signature d’un code de bonne conduite des industriels. Elle incite les concepteurs à établir des règles précises et contraignantes pour empêcher que les comportements en ligne ne débordent dans le monde réel. Il s’agit de trouver un équilibre entre l’expression de la créativité et la mise en place de principes, garants du vivre ensemble. Le rapport cite la « Neuro-rights Foundation » fondée pour appliquer les droits humains aux technologies cognitives et promouvoir des « neurodroits » essentiels autour de la vie privée mentale, l’identité personnelle ou le libre arbitre.

De la lutte contre l’émission des gaz à effet de serre.

L’augmentation considérable des moyens techniques à mettre en œuvre pour fournir ce service au plus grand nombre pose la question du contrôle de son impact environnemental. Certains auditionnés recommandent le développement d’un système de mesure des infrastructures, assurant que cette industrie naissante dépasse le simple divertissement ou la spéculation et doit constituer un progrès sur le plan écologique.

Ce que tout cela nous inspire

L’idée d’être à l’orée d’une ère technologique inédite, le web 3.0, est à la fois palpitante (que serions-nous sans internet et les réseaux sociaux ?) et un peu stressante. Pour accompagner ce changement, il apparaît, à travers ce rapport exploratoire, que tout système, quand bien même irréel, au sens dématérialisé, doit se munir de cadres structurants. Celles et ceux qui rêvent d’évasion dans les mondes parallèles des métaverses se retrouvent donc, à nouveau, au centre d’enjeux économiques et objets d’évolution sociétale.

*France 2030 (plan d’investissement pour la France), PIA4 (quatrième Programme d'Investissements d'Avenir), PEPR (Programmes et Équipements Prioritaires de Recherche) et ANR (Agence Française de Financement).

**Briques technologiques : ensembles, fruits de démonstrations ou de développements, ayant permis de valider les technologies en conditions opérationnelles, qui deviennent communs.

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