Habiller les cardinaux: dans l'atelier de Mancinelli, tailleur historique de Rome
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Cité du Vatican - Penché sur sa table, un dé à coudre au bout du doigt, Raniero Mancinelli fait glisser une aiguille dans la manche d'une soutane noire aux liserés pourpre, qui habillera bientôt un nouveau cardinal.
"Il faut deux ou trois jours pour confectionner un habit, prendre les mesures, découper et tout assembler", explique à l'AFP l'Italien de 86 ans, moustache dessinée et barbiche poivre et sel, l'un des derniers tailleurs ecclésiastiques de Rome.
Ses journées dans son magasin historique, sur le Borgo Pio à deux pas du Vatican, se sont muées en une course contre la montre: un tiers des 21 prélats qui seront faits cardinaux le 7 décembre par le pape François ont passé commande chez lui. Les essayages sont imminents.
"Ils me font confiance et je sais ce que je dois faire, en fonction de l'endroit où ils vivent, du climat, de leurs possibilités financières", détaille Raniero, lunettes rectangulaires et mètre-ruban autour du cou.
Son atelier niché dans l'arrière boutique semble tout droit sorti d'un film en noir et blanc: ici, une machine à coudre vert-olive Necchi côtoie un vieux fer à repasser en fonte. Là, des photos jaunies par le temps, un diplôme en latin encadré, des cartes géographiques...
Assisté par sa fille et son petit-fils, Raniero y répète chaque jour les mêmes gestes, manipulant boutons, ciseaux, épingles et bobines.
"Moins somptueux"
Disposées sur des cintres, deux soutanes vermeil attendent leurs futurs propriétaires.
Elles s'ajoutent à l'attirail complet du cardinal: barrette - couvre-chef quadrangulaire, mosette - courte pèlerine à mi-torse - et rochet - vêtement blanc en dentelle.
Les prêtres - reconnaissables à leur col romain sur habit noir - et évêques- à leur calotte et ceinture amarante - ne sont pas en reste. Comptez environ 200 euros pièce: au luxe de la soie d'antan ont succédé "des laines légères, moins chères".
Originaire des Marches (centre de l'Italie), Raniero, qui a travaillé sous sept papes et ne compte plus ses anecdotes, est pourtant entré dans ce métier par un "grand hasard".
"On m'a proposé un jour de faire des soutanes pour le Vatican (...) J'ai commencé comme ça, un peu sur la pointe des pieds, petit à petit, mais j'ai tout de suite vu que ça me plaisait", raconte-t-il.
Ses armes faites à Rome à la fin des années 1950, sous Pie XII, il ouvre commerce en 1962.
Avec une once de nostalgie, il se souvient du costume écarlate des cardinaux avec sa "longue traine de 6-7 mètres de soie" et des "Monsignori qui aimaient porter des robes à cols très hauts". "Je m'étais très bien adapté à ce travail", sourit-il.
Comme chez les laïcs, la mode ecclésiastique évolue. Il est aux premières loges.
Après le Concile Vatican II (1962-65), qui fait entrer l'Eglise dans une ère plus moderne, l'heure est à la simplicité, encore accrue par le pape François. Les vêtements sont "plus légers, moins chers, moins somptueux, moins voyants", constate-t-il.
"Maestro"
Dans la boutique, vitrines et étagères regorgent d'objets liturgiques: les calices en or se mêlent aux mitres, les chapelets aux crucifix rutilants, les icônes aux crosses épiscopales.
Sur les murs, des photos du propriétaire aux côtés des papes; il a "bien connu" les trois derniers, à qui il a personnellement confectionné des soutanes.
Mais sa relation "exceptionnelle" avec les clients reste son principal carburant, qui l'a convaincu de ne jamais jeter l'éponge, même après la pandémie. "Ce sont eux qui me donnent cette énergie, cette envie de faire", dit-il.
A chaque passage à Rome, des clercs du monde entier poussent sa porte. Certains sont devenus des amis, d'autres ont gravi les échelons de la hiérarchie catholique.
Au fil des décennies, il a vu son métier et ses qualifications se raréfier au profit de l'industrialisation du secteur. "C'est un travail très particulier, tout se fait à la main", rappelle-t-il.
La relève, pourtant, n'est pas loin: à ses côtés, son petit-fils apprend les ficelles du métier à temps plein depuis trois ans.
"Je ne pensais pas que c'était si difficile", confesse Lorenzo di Toro, 23 ans, dont le look - veste à capuche et sneakers - tranche avec le décor.
Son grand-père est "très exigeant", "attentif aux moindres détails". Mais il se dit prêt à reprendre le commerce familial. "J'essaye toujours d'apprendre de lui car au final, c'est lui le maestro".(AFP)