Janvier 2024 : les dates de la Fashion Week hommes parisienne boostent le marché féminin
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Personne n’a pu rester indifférent à la présence de mannequins et silhouettes féminines sur les podiums des défilés de mode masculine, collections automne-hiver 2024/2025. Comme le signale l’AFP, « la Fashion week de Paris, qui s’est déroulée du 16 au 21 janvier 2024, a dépassé toute velléité binaire et mêlé sans complexe création homme et femme sur ses podiums ». Mais derrière cet effet d’annonce séduisant, que dit cette évolution sur le business de la mode ?
Selon Christelle Cagi Nicolau, responsable du soutien aux marques émergentes à la Fédération de la Haute Couture et de la Mode, interviewée par FashionUnited sur le showroom Sphère, « la mode est devenue genderless, c’est un vrai phénomène de consommation. En Corée du Sud, par exemple, des boutiques comme Empty Store n’ont plus d’espace hommes ou femmes. Au Japon, il y a toujours eu une prédisposition des femmes à acheter des vestes masculines et, inversement, pour les hommes, des pulls féminins. Aujourd’hui, sur la Gen Z, cela devient un phénomène de masse. »
Techniquement, les créateurs font des patronages étudiés sur des corps masculins et féminins et offrent une large grille de taille, du XS au XXL. Certains proposent à leurs clients de choisir le sens d’ouverture d’un manteau ou de la veste. Cette nouvelle technicité permet aux acheteurs de référencer l’homme ou la femme. C’est le cas d’Hervé Huchet, propriétaire du multimarques La Villa Hommes, qui a commandé des pièces chez Études et Drôle de Monsieur, en se disant « cela pourrait plaire aux femmes qui rentrent dans ma boutique ».
Un open-to-buy (budget d’engagement des achats) plus favorable en janvier qu’en mars
Mais derrière le panache de Naomi Campbell pour Balmain collection hommes, Coco Rocha pour Louis Gabriel Nouchi, Louis Doillon pour AMI ou la cow girl de Pharrell Williams chez Louis Vuitton, il y a un marché à satisfaire : si la tendance genderless est un fait sociétal, le timing des budgets alloués par les acheteurs est une réalité économique.
Au moment de la Fashion Week Hommes (janvier et juin), les acheteurs ont tout leur budget pour commander. Les périodes de mars et octobre, autrement dit, pendant les fashion weeks féminines automne-hiver et printemps-été, viennent un peu tard dans le calendrier international des campagnes de vente (après New York, Londres et Milan). Voire trop tard, selon certains experts.
Pour preuve, les marques de luxe profitent, depuis longtemps, des campagnes de vente masculines pour présenter leurs précollections (elles commencent même en novembre). Idem pour les showrooms multimarques. « Toutes les maisons qui font de l’evening-wear, semi-couture et même contemporary wear présentent en janvier dans des showrooms multimarques tels que Mirabelle, AMF ou encore The Good Six (avec des collections comme Rodarte), explique Xavier Latapie, co-fondateur du guide Moddity. Tout simplement parce que les acheteurs ont, en janvier, tout leur budget pour acheter la saison automne/hiver suivante. Pourquoi attendre, et surtout revenir, fin février/début mars pour acheter les collections ? ».
C’est particulièrement vrai au mois de janvier qui cumule les défilés hommes, les showrooms, les salons professionnels (Man, Tranoï, Wecome, Who’s Next) et les présentations Couture. De quoi capter l’attention des acheteurs, de la presse et des VIP pendant quasiment deux semaines. La Haute Couture week, et notamment le off, servant déjà de tremplin pour acquérir plus de visibilité.
La fashion week hommes parisienne est plus qu'une rampe de lancement pour les collections féminines
Ce phénomène s’observe au Tranoï Man, partenaire de Paris Fashion Week, qui s’est rouvert aux précollections féminines. Quatre marques dans un espace dédié à la Gaité Lyrique, c’est un début, mais cela signe clairement un positionnement. « L’idée est de présenter en janvier pour pouvoir toucher mes acheteurs plus tôt, indique Eilola Teija, créatrice finlandaise d’une griffe britannique éponyme, à FashionUnited. Cela me laisse plus de temps pour produire et permet aux department stores d’installer la collection hiver dès le mois de juin ». À noter que cette indication explique peut-être pourquoi les grands magasins souhaitent solder les collections été dès le mois de juin, créant, par là même et s’en soucier, le chaos chez les détaillants indépendants.
Autre témoignage recueilli au Tranoï, celui de Dino He, fabricant de cachemire pour Loro Piana, qui a lancé son propre label, Kashette, il y a trois ans : « les acheteurs disposent de l’entièreté de leur budget à cette période, du coup, c’est plus facile à vendre ». Et voilà, pragmatiquement, pourquoi on trouve de plus en plus de collections féminines sur les podiums de la fashion week hommes.
Est-ce à dire que la fashion week masculine pourrait supplanter celle de la femme en tant que market week ?
Paris a un titre à défendre : celui de capitale de la mode, le lieu où tous les créateurs veulent défiler pour acquérir du prestige. De fait, la semaine de la mode parisienne féminine garde une aura intacte. C’est l’endroit où les créateurs, toutes nationalités confondues, vont pour se faire remarquer, privilégiant leurs ambassadeurs (influenceurs et personnalités), vecteurs de likes sur les réseaux sociaux, aux acheteurs (notamment les marques de luxe qui n’en ont pas vraiment besoin, étant principalement distribuées dans leurs propres enseignes).
« Nous sommes sur des open-to-buy glissants : quand les soldes fonctionnent bien, les acheteurs peuvent avoir des enveloppes supplémentaires, tempère Christelle Cagi Nicolau. Comme les Américains soldent fin novembre leur collection d’hiver, ils veulent des livraisons très tôt. Les Japonais soldent deux mois plus tard et souhaitent être livrés plus tardivement. Aussi, beaucoup de marques continuent de présenter l’intégralité de leur collection et leurs pièces images à la presse en mars. »
À l’heure du genderless et des restrictions budgétaires, le concept d’une fashion week hommes et d’une fashion week femmes n’est-il pas un peu dépassé ? La question se pose, mais, là aussi, il convient de nuancer. Depuis quelques saisons, la mode surfe sur une tendance Genderfluid et Quiet Luxury, caractérisée par le fait que les femmes ont envie de porter des costumes inspirés du vestiaire masculin. Mais qui dit « tendance » dit « éphémère ».
« On est dans le costume, le trois-pièces, le tailoring, les beaux manteaux, l’oversized, remarque Patricia Lerat, brand strategist (PLC Consulting), au micro de FashionUnited. La présence accrue des femmes montre l’envie de porter des vêtements similaires, mais aussi tous les visages et tous les âges de la société. »
« Nous n’avons jamais vu autant de "vieux mecs" défiler, ajoute-t-elle. Au-delà de la réalité du marché, on a envie de voir de l’inclusion, de montrer que ces personnes d’un certain âge ont une culture mode. Des créateurs comme Yohji Yamamoto ou Walter Van Beirendonck sont libres et emplis d’humour. Ils envoient de la joie. Ils ont compris que, dans ce monde, il fallait arrêter de se la raconter : on doit pouvoir tout mélanger. »
Et voila comment Paris sera toujours Paris (pour reprendre l'accroche du défilé automne-hiver 2024/2025 de Pierre Mahéo, fondateur d'Officine Générale).