Le burkini : défense de la laïcité ou retour des lois somptuaires ?
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La polémique s’était tout doucement installée en France en mars dernier suite à la mise en vente, chez Marks & Spencer, dans la boutique du quartier de Marble Arch située au centre de Londres, de deux modèles de maillots de bain. Des maillots de bain couvrant l’intégralité du corps, à l’exception du visage, des mains et des pieds « sans pour autant nuire au style ». La quasi-totalité de la population découvrait pour l’occasion un mot nouveau : le burkini. Les magazines féminins titraient déjà : le burkini viendra-t’il s’ajouter aux maillots tendances de l’été ?
Loin de prendre le sujet à la légère, la ministre des droits des femmes, Laurence Rossignol déplora aussitôt au micro de RMC l'essor du style vestimentaire islamique favorisé par certaines enseignes de distribution. "Lorsque des marques investissent ce marché […] parce qu'il est lucratif, elles se mettent en retrait de leur responsabilité sociale et font, d'un certain point de vue, la promotion de cet enfermement du corps des femmes". Pierre Bergé, en élargissant le débat sur la question du voile, du hidjab et des abayas, donna raison à la ministre : "J'ai toujours cru que les créateurs étaient là pour embellir les femmes, pour leur donner la liberté, pas pour être complices de cette dictature".
Quelques mois plus tard, on peut dire que le burkini, à défaut d’avoir été tendance, aura largement fait parler de lui. Les esprits se sont échauffés, le sujet est devenu explosif. Une rixe de plage en Corse est devenue « l’affaire du burkini de Sisco ». Plusieurs maires, de toutes obédiences politiques, ont pris des arrêtés afin de faire interdire le burkini sur les plages ; quatre femmes ont écopé de peines d’amende à Cannes pour avoir porté ce vêtement aquatique « à connotation religieuse » tandis que le premier ministre Emmanuel Valls soutenait publiquement les maires ayant pris ces décisions et que Nadine Morano préconisait de faire voter une nouvelle loi - car le burkini, qui ne masque pas le visage, n’est pas interdit par la loi contre le voile intégral entré en vigueur en 2011. Sur le site de la marque britannique, les burkinis ne sont plus disponibles à la vente mais sur le site vetislam.com, on trouve des modèles (certains sont courts, d'autres longs ou grandes tailles, entre 60 et 129 euros selon les matières - le plus haut de gamme étant le modèle en polyamide et élasthanne.
« C’est juste un vêtement ! »
Les maires justifient leur interdiction par leur désir de prévenir les troubles publics et inscrivent leur rejet dans une perspective historique de défense de la laïcité. Il est vrai que ce costume de bain s’adresse principalement aux femmes musulmanes qui veulent profiter des joies de la baignade tout en étant en conformité avec leur interprétation personnelle des préceptes de l’Islam (interprétation qui n’est pas partagée par l’ensemble de la communauté musulmane). Notons tout de même à ce propos que les salafistes rejettent ce vêtement qu’ils considèrent comme « impudique ».
D’autres maires parlent aussi de défense de la femme. D’autres maires encore garantissent que leur préoccupation est aussi de défendre les musulmans « qui subissent des menaces car ils ne suivent pas les traditions ». Il s’agit en quelque sorte de protéger les femmes des intégristes qui veulent les voiler de force. Certains maires évoquent enfin les « bonnes mœurs » un peu comme si ces bonnes mœurs étaient une sorte de règle de bon gout ancestrale, intangible et inchangée, commune à tous depuis toujours.
Sur les réseaux sociaux, les pourfendeurs du burkini évoquent le sectarisme de cette tenue qui efface le corps de femme et les soumets. Pour combattre ce sectarisme, ils veulent donc interdire. Pour les défenseurs, le fait d’interdire contribue à stigmatiser et à créer de la haine. Les indécis rappellent sur le ton de la goguenardise que ceux qui mettent en avant les photos de Brigitte Bardot à demi-nue comme l’étendard du modèle français à suivre sont certainement les enfants de ceux qui s’étaient offusqués de voir B.B en bikini dans les années 60 - un scandale à l’époque.
En réalité, loin d’être une nouveauté en matière d’interdits ou de scandales, la polémique autour du burkini nous permet de rappeler que l’histoire du vêtement fut ponctuée très régulièrement de scandales liés à l’apparition de telles ou telles nouveautés. Aux XIVe et au XVe siècle, les évêques et les prédicateurs réprouvaient violemment la « deshonnesteté » des chausses à queue et des « nudités de gorge ». Le pourpoint serré, dont le bombement « rend l’homme comparable à un buste de femme » fit scandale au même titre que les coiffures à cornes. Rappelons aussi que jusqu’à la Révolution Française, l’habillement était soumis à de nombreux interdits réglés par des « édits somptuaires » très stricts. Ces lois, ces ordonnances interdisaient (avec des prescriptions minutieuses) aux classes roturières de s’habiller comme les nobles ; elles leur interdisaient même de copier les étoffes portées par les nobles, tout comme leurs accessoires et leurs bijoux. Quelques exemples : un règlement indiquait que les bourgeois ne devaient pas avoir plus d'un laquais habillé de bure brune et non de drap teint, un autre indiquait que le velours était interdit « aux laboureurs et aux gens de basse condition ». On le voit, ce ne sera donc pas la première fois qu’une loi interdirait en France le port d’un vêtement à une catégorie de la population.
Quant à la créatrice du burkini, consternée par l’ampleur de la polémique, elle déclare : « c’est juste un maillot de bain qui peut s’adapter tout aussi bien aux juives, aux mormones, aux chrétiennes, aux hindoues ou tout simplement aux femmes qui veulent se protéger du soleil » tout en se félicitant d’avoir augmenté ses ventes depuis le début de la polémique. Australienne d’origine libanaise, Aheda Zanetti a créé le burkini en Australie en 2002. Depuis la créatrice en a vendu près de 500000 exemplaires. Au micro d’Europe 1, elle déclarait ce jeudi : « Aucun politique ne peut arrêter une femme qui veut acheter un burkini. A la place, ces femmes vont aller passer leurs vacances ailleurs qu’en France, en Espagne…ou alors en Australie, car nous accueillons tout le monde ici ! »
Crédit photo: Copie d'écran site Marks & Spencer