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Les posts « Outfit of the day », l'ultime rituel anti-fashion

By Jackie Mallon

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Mode |BILLET D’HUMEUR

Alors que le mouvement « body positive » prône la diversité des silhouettes et l'acceptation de son corps, les réseaux sociaux inondent nos fils d’actualité d’une mode conformiste et homogène. Cette profusion de selfies aux traits lissés, polis par l’envie d'apparaître sous son meilleur jour, nous éloigne, comme jamais auparavant, de l’idée d’individualité.

Sourcils parfaitement arqués, regard insipide, contouring et moue boudeuse agrémentée d’un chapeau à large bord et de pièces de « fast fashion », voilà le look dupliqué à l’infini sur Instagram. Le contenu du réseau social révèle ainsi un cruel manque d’originalité, fait de styles basiques et monosyllabiques. Des sites comme Insta Repeat pointent ce manque de créativité dans notre façon de nous présenter. Les deux millions de posts quotidiens qui alimentent le hashtag #OOTD (Tenue du Jour) ne sont rien d'autre qu'une suite de clichés répondant davantage au nom de Old Obsolete Tired Done (Vieux, Obsolète, Épuisé, Déjà vu).

Desperately seeking fashion

Bien sûr, des tendances dominantes ont alimenté la seconde moitié du XXe siècle, en matière de beauté - des soutiens-gorge à bouts pointus aux cils d'araignée, des coiffures de top-modèle à la mèche rebelle, des femmes pulpeuses aux femmes longilignes - mais chaque décennie avait des symboles significatifs : les années 50 ont fourni les twinsets beatnik, les pantalons capri et les jupes patineuses ; les années 60 ont été marquées par des accessoires en plastique et des robes de secrétaire ; l’atmosphère bohème des années 70 nous a fait danser avec des pantalons « patte d’eph’ », des maxi-robes en velours et des imprimés psychédéliques, pour être ensuite remplacés par les vêtements à épaulette des années 80 ; enfin, les années 90 ont été marquées par des robes minimalistes, des chemises grunges, des vêtements de rave party et des pantalons taille basse. Toutes ces pièces vestimentaires sont devenus des incontournables de la mode d’autrefois et d'aujourd'hui. Mais ce millénaire, capturé milliseconde par milliseconde grâce à la technologie numérique, montre moins d'évolution vestimentaires - Athleisure, Normcore, Upcycling - que de modifications physiques - poitrines généreuses, fesses rebondies, lèvres pulpeuses, extensions de capillaires. L’acte chirurgical a pris le dessus sur la splendeur vestimentaire.

La beauté et le glamour sont souvent intégrés dans la catégorie « mode », mais, désormais, ils en effacent littéralement le potentiel et la portée. La mode n'est pas un simple divertissement. La mode, comme l'art, peut stimuler la pensée, créer le changement et élever l'âme comme une peinture ou une sculpture, tandis que le glamour est plus susceptible d'amuser temporairement ou de fournir une échappatoire. Une visite au Dover Street Market peut par exemple procurer au visiteur un bien-être similaire à celui du temps temps passé dans un temple. Le génie de la mode n'a pas besoin de se rendre reproductible et les vrais pionniers font confiance à leur instinct personnel et non aux tutoriels Youtube, ils valorisent l'expérimentation et reconnaissent les bienfaits de l'échec. La recherche d'une perfection et d'une conformité insipides est donc un effacement de l'art de la mode. C'est le style plutôt que la substance, le polissage plutôt que le processus.

La folie des Likes

Le bouton Like fait partie intégrante de la société moderne, mais l'acte d'aimer équivaut à utiliser le mot « sympa ». C'est sans engagement, inoffensif, non conflictuel. N'importe qui peut être gentil, et ce qui est familier recevra plus de Likes car nous les humains sommes des créatures attachés aux habitudes. Une esthétique préfabriquée est plus facile à digérer qu'une tenue spontanée et négligée. Influencer dans un contexte quotidien a un impact éphémère, ne devrions-nous pas plutôt choisir d'influencer avec un effet durable ? Les influenceurs des médias sociaux qui réussissent grâce aux sponsorings et aux contrats ne sont pas différents des commerciaux, ils portent eux-aussi un uniforme et gagnent de l'argent en vendant leurs produits à la population.

Celui qui fait avancer la mode de manière significative ne répondra pas au terme « influenceur », il cherchera à communiquer quelque chose de plus sincère, souvent imparfait, et ne se préoccupera de ce qu’en pense les autres, bien au contraire ! Ce genre d'attitude tend vers une approche plus éthique, qui ne voit pas le vêtement comme un produit jetable, car il n’est pas acheté pour en faire un cliché sur Instagram. La mode devrait susciter un débat plus critique qu'un épisode de la Bachelorette.

Les personnalités authentiques de la mode sont comme des licornes, spéciales, insaisissables, spontanées. Elles écrivent leurs propres histoires et on ne peut pas les enfermer dans un schéma qu’elles n’ont pas choisies. Traditionnellement, les personnages les plus appréciés de la mode, des designers aux muses, n’appartenaient à aucune clique cool, tombant plutôt dans un rôle d'observateur, des parias du système, souvent en conflit avec celui-ci : Coco Chanel était orpheline, Isabella Blow prétendait qu'elle portait de grands chapeaux pour garder les gens à distance, Yves Saint Laurent était un jeune homme calme et solitaire et un adulte anxieux, Martin Margiela a fait le choix de rester anonyme et de ne pas faire d'interview, et Giorgio Armani, maintenant directeur d'une des seules marques privées du luxe, a expressément déclaré : « J'ai toujours été un solitaire ». Les instagrammeurs qui ont le plus de followers sont l'antithèse des créatifs dont l'inventivité permet de faire avancer la société.

De récents rapports suggèrent que la Génération Z rejette la version non authentique et exagérée de la réalité que Instagram a engendrée. La fameuse pose devant un mur rose, le cheveux lissé derrière l’oreille ne les convainc pas. Mais la popularité de l'application Huji Cam apparue l'an dernier, qui donne l'impression que les photos ont été prises avec un appareil photo jetable acheté à la fin du siècle dernier laisse à penser qu'ils sont simplement à la recherche d'une fantaisie différente. Le processus de création de soi peut être parfois flou et difficile à gérer mais cela ne devrait pas être due à des déceptions technologiques. Tout au long de l’adolescence, de l’adulescence et au-delà, les essais et les erreurs combinés au courage et à l'imagination peuvent ouvrir des possibilités innombrables d'expression de soi, nous aidant ainsi à atteindre cet objectif ultime de la mode : l'identité individuelle.

Mais pour que cela arrive, il est peut-être temps de mettre de côté la « création médiatique » et de travailler sur la création du Moi.

Jackie Mallon, journaliste mode, est également éducatrice et auteure de Silk for the Feed Dogs, un roman qui se déroule dans l'industrie internationale de la mode.

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Cet article a été traduit et édité en français par Sharon Camara.

Photo : rawpixel.com from Pexels

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