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Réalistes et rêveurs se sont affrontés lors de la Semaine de la Haute Couture à Paris

By Jule Scott

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Valentino Couture Printemps 2024 Credits: ©Launchmetrics/spotlight

La légitimité de la haute couture et son excès souvent ostentatoire peuvent parfois susciter le mépris, surtout dans une époque où le travail des grands couturiers est souvent bien éloigné de la réalité d’une majorité. De nos jours, une grande partie des collections présentées lors des semaines de la haute couture, avec des premiers rangs de célébrités méticuleusement documentés puis partagés sur les réseaux sociaux, forment un spectacle sans substance. À tel point qu’il est facile d’oublier que les vêtements souvent plus grands que nature, qui nécessitent des centaines d'heures de confection, sont finalement destinés à parler à quelques clients réels qui peuvent se les permettre.

Alors que les quelques privilégiés qui ont le luxe de se payer des robes à cinq chiffres doivent être séduits par les propositions qu’ils découvrent sur le podium et s’imaginer porter ces créations, le reste du monde est au moins invité à fantasmer. Lors de cette dernière édition, qui s’est déroulée du 22 au 25 janvier 2024, certains designers ont osé rêver grand.

Réalités et rêves enracinés dans les archives

Chez Dior, la directrice créative Maria Grazia Chiuri a trouvé un équilibre entre les deux extrêmes de la saison, ne rêvant pas tout à fait mais n'étant pas non plus totalement enracinée dans la réalité telle qu’elle est perçue par la plupart des gens. Pour ceux qui associent la haute couture à « the bigger, the better » (soit plus c’est grand, mieux c’est en français), la collection a pu apparaître comme étant un peu courte. Toutefois, les bonnes choses viennent à ceux qui savent attendre. Cela ne signifie pas que la première moitié de la collection haute couture de Dior, au cours de laquelle la designer a exploré à la fois le coton uni et le tissu moiré, était décevante mais il semblait se détacher un sentiment de retenue qui est plus qu’inhabituel pour la haute couture, bien que les pièces réinterprétaient le vestiaire de Christian Dior en particulier la robe « La Cigal » de 1952.

Dior Couture Printemps 2024 Credits: ©Launchmetrics/spotlight

De même, Pierpaolo Piccioli a ramené la haute couture à ses origines avec sa collection printemps 2024, judicieusement intitulée « Le Salon ». Les mannequins se sont promenés dans des pièces ornées d'une ligne unique de sièges, évoquant les défilés de haute couture du passé, tout en donnant l'impression que le designer italien donnait à voir, pour une fois, sa version de la retenue. Dans le monde de Valentino, cela signifie toujours beaucoup de volume et de couleur, bien que le très apprécié PP Pink et le Valentino Red aient laissé la place à des teintes aqua, bleu arctique, gris pâle, vert pastel et chartreuse.

Les tenues de jour, telles qu'un anorak, étaient parcimonieusement intercalées dans toute la collection et pourtant dotées d'un aspect digne de la haute couture, en particulier grâce à la juxtaposition avec de grandes jupes de bal et un volume irréel. Bien qu'il y ait eu beaucoup de nouveautés sur le podium, proposant une vision sans effort de la haute couture qui était un régal pour les yeux, par rapport à ses collègues couturiers - et à ses propres explorations précédentes - elle était ancrée dans la réalité.

Valentino Couture Printemps 2024 Credits: ©Launchmetrics/spotlight

La haute couture n'est habituellement pas un exercice auquel se prête Simone Rocha, qui s'est aventurée pour la première fois dans les plus hautes sphères de la mode en tant qu'invitée chez Jean Paul Gaultier. La designer irlandaise a créé pour l’occasion un dialogue entre sa vision décousue et sensuelle de la jeunesse féminine et l'héritage de Gaultier, subvertissant à la fois son célèbre soutien-gorge conique et son pull marin breton au passage. Au premier rang, Kylie Jenner portait une pièce tirée de la collection. Si la dernière du clan Kardashian/Jenner a peut-être captivé l’attention d’un grand nombre d’internautes sur les réseaux sociaux, un regard plus attentif sur la collection est tout aussi, si ce n’est plus, captivant.

Chaque élément distinctif du style signature de Jean Paul Gaultier a trouvé sa place : les cônes métamorphosés en roses épineuses, les jerseys rayés ornés de nœuds et de couches de tulle et de satin étaient habilement combinés pour dissimuler et révéler les physiques des mannequins. Les débuts en haute couture de Rocha prenaient en quelque sorte des allures de rêve fiévreux de la jeunesse féminine, de son innocence, de sa rage et de sa puissance, le tout soigneusement emballé dans un nœud.

Jean Paul Gaultier Printemps 2024 Couture Credits: ©Launchmetrics/spotlight

Quelque part entre le rêve fiévreux, le cauchemar et le génie créatif se trouvait le bébé extraterrestre de la haute couture qui est devenu la sensation de cette année chez Schiaparelli. Et que serait un défilé Schiaparelli sans un moment viral signé par le directeur créatif de la griffe Daniel Roseberry qui a de nouveau agité son chapeau à la manière d’un chapelier fou bien que l’approche de cette saison soit un peu plus discrète que la tête de lion hyperréaliste de l’année passée.

Partiellement inspirée par ses racines américaines, la fondatrice de la maison Elsa Schiaparelli et son oncle Giovanni mais aussi par le film Alien de Ridley Scott sorti en 1979, Daniel Roseberry a créé une collection qui était un mélange surréaliste de Martiens, de cow-boys mais aussi de robes de soirée noires, de cravates presque austères mais certainement luxueuses. Le défilé témoignait de l’attrait futuriste du designer similaire à l’atmosphère dégagée par les pièces pensées par Kim Jones chez Fendi. Le créateur a crédité l'ancien designer de Fendi, Karl Lagerfeld, comme source d'inspiration pour sa vision futuriste de la haute couture centrée principalement sur la simplicité, la géométrie organique et la précision technique.

Schiaparelli Couture Printemps 2024 Credits: ©Launchmetrics/spotlight
Fendi Couture Printemps 2024 Credits: ©Launchmetrics/spotlight

La précision technique, ou plutôt la perfection technique, était visible chez Alaïa. La collection été-automne 2024, qui se tient en dehors du calendrier habituel, n’était pas censée être une collection de haute couture. Elle s’est pourtant transformée en une masterclass de haute couture abordable.

La collection et son point de départ, c’est-à-dire un seul fil de laine mérinos et l’idée d’un cercle, ont évolué vers des vêtements aux textures triomphantes et aux formes impossibles qui insufflaient néanmoins simplicité et sex-appeal. Les pièces invitaient également à s’interroger sur la manière dont certains vêtements parvenaient à draper si parfaitement le physique des mannequins. La réponse, dans le cas d'une robe en spirale noire et blanche qui ressemblait à un bracelet à ressort, était un type spécial d'impression 3D.

Alaia été-automne 2024 Credits: ©Launchmetrics/spotlight

Un retour en force pour le rêveur déchu de la mode

Une question beaucoup plus épineuse concerne la figure de John Galliano chez Maison Margiela. Galliano a depuis longtemps quitté l’ombre du fondateur de la maison, Martin Margiela, et sa collection de haute couture printemps 2024 a démontré sa voix créative singulière. Une voix qui a contribué à l’ériger comme l’un des designers les plus acclamés des années 1990 et une voix, qui pour la plupart du monde de la mode, semble parler plus fort que toutes les doutes passés émis à son égard. Pour sa dernière collection Margiela, le designer britannique a donné rendez-vous aux invités dans une cave sous le pont Alexandre III, créant l'illusion d'une boîte de nuit en décomposition. Le décor évoquait également les souvenirs de ses jours de gloire chez Dior, une période très souvent encore référencée dans les écoles de mode et sur les planches de style.

Galliano a ravivé sa vision de la mode extravagante et théâtrale. Le podium est ainsi devenu une scène au sein de laquelle les mannequins, ses acteurs, donnaient vie à ses visions romantiques, érotiques et souvent historiques. La collection elle-même était magistrale : de la corsetterie extrême qui modifiait et changeait le corps aux délicates robes en dentelle qui oscillaient entre l'érotique et l’innocent.

Pour la première fois depuis sa nomination à la tête de Margiela en 2014, le créateur n’a montré absolument aucune retenue. Galliano a présenté la mode avec l'une des collections de haute couture les plus conceptuelles et sans aucun doute les plus chargées émotionnellement - ou artisanales comme Margiela les appelle - de la dernière décennie. Pour l'enfant terrible de la mode le plus tristement célèbre, polémique et apparemment pardonné, c'était un retour en force alors qu'il présentait une collection qui rêvait grand et qui inspirera très surement d'autres à suivre son exemple.

Cet article a initialement été publié sur FashionUnited.nl. Il a été traduit et édité en français par Aéris Fontaine.

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