Le jour où Amazon s’éveillera, la mode tremblera...

Ce vendredi matin, de nombreux journalistes ont eu l’agréable surprise de recevoir par coursier un vaste paquet garni de victuailles et de cadeaux: appareil photo pour mini-polaroid, jeu de Uno (version de luxe), mini-enceintes wi-fi, et même un paquet de tucs assorti d’une bouteille de rosé de bonne facture. Cette prodigalité était signée Amazon. Elle accompagnait un dossier de presse baptisé « le jour où ». Ce dossier de presse annonçait le lancement de Prime Now à Paris.

Amazon lance Prime Now à Paris

Prime Now (disponible sur téléphone portable) est un nouveau service permettant aux membres du programme Amazon Premium de bénéficier d’une livraison en une heure sur plus de 18000 références disponibles, produits frais et surgelés y compris. Le service est disponible à Paris et dans 21 communes de la petite couronne. Cette livraison en une heure coute 5,90 euros. Le service est disponible 7 jours sur 7 (oui, même le dimanche) et la livraison est gratuite à partir de 20 euros d’achat si on choisit une livraison en deux heures.

Bref, un défi logistique inouï de la part d’Amazon, plateforme virtuelle qui a ouvert ses portes en juillet 1995 et qui, pour rappel, permettait déjà via son programme Premium, monnayant 49 euros par an, de bénéficier de la livraison gratuite et illimitée en 1 jour ouvré en France et en Belgique d’articles les plus divers (des millions de référence) incluant des articles de mode. Pour relever ce défi logistique, Amazon a construit un nouveau centre de distribution de 4000 m2 à Paris.

Première enseigne de vêtements dans quelques années

Ce nouveau service, proche de l’exploit, est caractéristique de la philosophie de ce géant du net fondé par Jeff Bezos, 52 ans cette année. D’abord, faut-il le rappeler, Amazon était une librairie en ligne, une librairie contestée d’ailleurs pour ses méthodes de management musclées et ses prix cassés. Malgré ces contestations, l’entreprise connut très vite un succès fracassant qui ne s’est jamais démenti depuis. Il faut dire qu’Amazon est inventif : excellence opérationnelle (au prix de méthodes souvent qualifiées de darwiniennes par ses concurrents), réflexion sur le long terme (nous y reviendrons) et de nombreux services nouveaux pour l’époque, comme les commentaires en ligne, la commande en 1-click, les recommandations personnalisées.

Lorsque l’expertise de l’entreprise s’étendit aux autres objets du quotidien -cadeaux divers, nourritures (fruits et légumes compris) et depuis peu, la mode- l’ambition du président et fondateur Jeff Bezos fut à la mesure de cette expansion : « nous allons devoir apprendre à vendre des habits et de la nourriture si nous voulons atteindre 200 milliards de chiffre d’affaires ».

Focalisons un instant sur ce chiffre. 200 milliards. Actuellement, Amazon pèse 107 milliards de dollars de chiffre d’affaires, soit 94,8 milliards d’euros. Une hausse de 20 pour cent par rapport à 2014. A titre de comparaison, LVMH, réalise un chiffre d’affaire global de 35, 6 milliards d’euros - toutes marques confondues. Prenons un autre exemple : si on associe les chiffres d’affaires cumulés de H&M, Inditex (la maison mère de Zara), Gap et Fast Retailing (propriétaire d’Uniqlo), on obtient le montant suivant : 70 milliards d’euros. C’est à dire que qu’Amazon, firme américaine basée à Seattle, fondée il y a vingt ans, pèse aujourd’hui plus que les champions du luxe et de la fast fashion réunis.

Cela donne une mesure des capacités d’investissements et de déstabilisations de cette firme, bien plus grosse que l’ensemble de ses concurrents potentiels rassemblés. Cette capacité d’investissement lui donne t’elle le savoir faire des géants de la fast fashion et de la mode ? Nous croyons que oui. Et nous ne sommes pas les seuls : les analystes de la banque d’investissement Cowen estiment qu’ Amazon va devenir en 2017 la première enseigne de vêtements aux Etats Unis. Ces analystes indiquent qu’Amazon attendra à cette date 27,7 milliards de dollars de chiffre d’affaires dans la mode, rien qu’aux Etats-Unis.

Concurrent direct d’UPS, de DHL et de Fedex

Comment l’entreprise va-t’elle s’y prendre ? Par la communication tout d’abord, ce qui est une méthode somme tout très classique. : il existe déjà à new York un studio gigantesque, propriété d’Amazon, où un état major impressionnant de photographes, de mannequins, de stylistes et de maquilleurs s’activent à produire, chaque jour, un millier de clichés. La société produit également depuis mars une émission quotidienne consacrée à la mode. Enfin, cela n’aura échappé à personne, Amazon a sponsorisé les deux premières éditions de la fashion week masculine de New York.

Mais le vrai point fort d’Amazon sera évidemment la logistique. Le lancement de prime Now à Paris aujourd’hui le prouve. C’est la clé du succès d’Amazon. Il faut dire que la logistique déployée par la firme de Seattle est puissante, efficace, audacieuse : la société investit dans les drones, dans l’impression 3D, possède plusieurs milliers de camions semi-remorques siglés à son nom. De plus, elle va certainement racheter l’intégralité de Colis Privé, et va bientôt disposer de sa propre flotte de Boeing 767 pour assurer elle même la distribution de ses produits afin de pallier aux déficiences éventuelles d’UPS et de Fedex. Les spécialistes en sont persuadés : Amazon va devenir à moyen terme un concurrent direct d’UPS, de DHL et de Fedex auprès des particuliers et des entreprises.

La conséquence de tout ceci : Amazon va devenir à plus ou moins moyen terme, le magasin « de tout ». Et comme Amazon compte bientôt développer ses propres lignes de vêtements, on peut d’ores et déjà imaginer les formidables répercussions sur le secteur de la mode. Que préfèreront les nouvelles générations de consommateurs ? Que préféreront les milleniums qui ont grandi avec un portable à la main ? Que préfèreront les jeunes qui ne supportent plus d’attendre ne seraient ce que quelques secondes pour obtenir une information ? Aller en boutique pour essayer les vêtements à des prix accessibles, ou cliquez pour recevoir- dans l’heure - ces mêmes vêtements à des prix peut être encore plus bas, quitte à les renvoyer sans frais supplémentaires ? Bien heureux celui qui aura une réponse tranchée à cette question. En attendant, et malgré les réticences des opposants, les chiffres disponibles sont la preuve irrécusable que les clients d’Amazon sont non seulement de plus en plus nombreux, mais aussi de plus en plus fidèles. Autant d’atouts et d’avantages concurrentiels décisifs qui pèseront lourds dans la balance lorsque sera venu le temps de compter les morts.

Crédit photo : photo de la couverture du dossier de presse « Le jour où… », photo Herve Dewintre