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Quand la mode luttait contre la copie

By Herve Dewintre

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Retail

Ce fut la grande interrogation mode de cette année: doit-on changer les dates de présentations des défilés? Doit-on adopter le « See Now, Buy Now »? De nombreuses marques de premier plan – Burberry, Vêtements pour n’en citer que quelques unes – proposèrent durant les derniers mois écoulés plusieurs solutions afin de lutter contre le laps de temps - jugé trop long –entre la présentation des collections au grand public et la mise en vente dans les boutiques. Certaines maisons proposèrent un accès immédiat aux vêtements après le défilé, d’autres préconisèrent de laisser les collections plus longtemps en boutique. On le voit, les propositions furent variées.

Cette interrogation sur le délai de mise en vente des vêtements après le défilé s’est développée à cause du problème de la copie. La copie, c’est un vieux souci. Des frictions ont toujours eu lieu entre les maisons de couture et le monde de la confection tout d’abord, entre les labels de prêt à porter créatif et les enseignes de fast fashion ensuite. Mais la crise qui secoue l’industrie du textile dans son ensemble a rendu ce souci plus sensible. Depuis six années consécutives, les ventes globales de vêtements chutent. Il devient donc plus urgent de trouver des solutions.

Par le biais de leurs fédérations respectives, la fashion week de New York semble disposer à vouloir changer les règles, celle de Paris par contre s’y refuse largement arguant à juste titre que la copie est un vieux problème. Des maisons célèbres ont par le passé refuser de suivre le calendrier officiel des défilés. On pense notamment à Pierre Cardin et à Azzedine Alaïa qui, chacun en leur temps, se sont volontairement détachés du rythme imposé par la fashion week pour présenter leurs nouveautés à leur guise. Cela ne leur a pas trop mal réussi.

Mais au delà de ces deux exemples bien connus, il faut remonter à une autre période charnière de l’histoire de la mode pour comprendre à quel point le problème de la copie pu soulever des montagnes. Ce moment charnière, c’est la fin de la première guerre mondiale, il y a quasiment 100 ans de cela.

Quand les commissionnaires payaient pour pouvoir copier les modèles originaux

En 1919, les couturiers étaient déjà les stars qu’ils sont aujourd’hui. Leur statut de créateur artiste était incontestable. Ce statut né avec des artistes comme Rose Bertin au XVIIIe siècle avait atteint un niveau suprême grâce à deux inventions perfectionnées par Charles Frederick Worth : la première consistait à présenter des collections toutes faites, renouvelées selon le bon vouloir du couturier et délivrées sans discussions possibles aux clientes traitées soudainement comme des égales ; la seconde consistait à présenter les nouveautés sur des mannequins vivants. A l’époque, on les appelait les « sosies ».

Ces nouveautés eurent beaucoup de succès : elles ont posé les bases du système encore en cours aujourd’hui. Néanmoins, à la fin de la première guerre mondiale, la haute couture (on l’appelait aussi la couture ou la grande couture) avait déjà vécu son âge d’or. Des le début des années 20, les avis les plus autorisés alertaient l’opinion publique. Les chiffres baissaient, il fallait moins de taxes, protéger les modèles originaux, s’occuper des droits de douanes, organiser différemment la filière, etc.

Pour continuer de prospérer, la quasi totalité des maisons travaillaient désormais avec les « concessionnaires » étrangers qui représentaient les confectionneurs européens et américains. Ces concessionnaires assistaient aux présentations - qui avaient lieu toute l’année, l’après midi dans les salons des maisons de couture - et payaient au couturier le droit de reproduire les modèles dans leurs pays respectifs, en les adaptant si besoin aux gouts de la population locale.

En 1919, ce système était bien mis en place. Un système efficace, gagnant-gagnant. Deux cents confectionneurs américains se déplaçaient à Paris pour acheter le droit de faire des copies. Ca marchait si bien que les concessionnaires réclamèrent, pour des raisons évidentes de praticité, des présentations à date fixe. Les défilés de mode organisés apparurent dans les années 1908 et 1910 pour devenir des spectacles à heures fixes, puis, apres la guerre, face à la demande croissante des acheteurs étrangers, les présentations s’organisèrent de la manière suivante : les créations d’été et d’hiver furent montrées fin janvier et début aout, puis (toujours sous la pression des acheteurs étrangers) des collections de demi-saisons furent ajoutées en avril et en novembre. En quelque sorte, ce fut le début de la fashion week.

Les collections étaient montrées tout d’abord aux commissionnaires étrangers (surtout europééns et américains), ensuite ils etaient montrés (deux ou trois semaines plus tard) aux clientes particulieres, et enfin, ils étaient présentés aux confectionneurs français. Les professionnels étrangers achetaient les modèles de leur choix avec le droit de les reproduire en grande série dans leur pays. Dotés des modèles et des fiches de référence donnant des indications nécessaire à la reproduction de la robe, les confectionneurs étrangers pouvaient reproduire en les simplifiant les créations parisiennes. Quelques semaines apres leur présentation à Paris, les modeles étaient proposés aux américaines à des prix accessible, voir tres bas, selon la catégorie de la confection, du choix des étoffes etc.

Ce système qui semblait excellent connut cependant des ratés car de nombreux confectionneurs copièrent en toute impunité sans payer les droits de reproduction. C’est pourquoi huit grandes maisons de Couture : Callot, Jenny, Lanvin, Lucien Lelong, Louise Boulanger, Molyneux, Vionnet et Worth décidèrent en 1929 de se grouper en un comité de défense. Il s’agissait de se protéger contre « les spéculateurs qui ont profité si longtemps de l’inertie des grandes maisons » et de stopper « le vol et le pillage de la couture parisienne » par la réalisation des points suivants : la livraison directe aux acheteurs étrangers, l’établissement d’une politique commune vis à vis des fournisseurs, le vote prochain d’une loi contre la copie. On peut constater avec le recul que ce mouvement ne servit pas à grand-chose. Et que ces très grandes maisons, pour la plupart, n’ont pas survécu.

La leçon à en tirer n’est pas forcement enthousiasmante à première vue mais elle peut le devenir après réflexions. En quittant définitivement au XIXe siècle son statut de « faiseur » pour celui d’ « artiste créateur », le couturier a de facto mit au centre de son activité un imaginaire inspirant dont la vocation même, dans son essence, était d’être imitée. Or, à chaque tentative de lutte contre la copie, les maisons ont échoué. On insiste : toutes les luttes contre la copie au cours du siècle ont échoué. Et à chaque période de crises, de nombreuses maisons créatrices connaissant pourtant le succès ont été emportées par le vent de la faillite. Mais certaines ont survécu, elles ont même prospéré. Dans la quasi totalité des cas, ce fut grâce aux succès soit des licences, soit grâce au développement des accessoires et du parfum. Cela peut paraître cynique, mais en devenant créateur de mode, l’artisan est devenu un artiste. C’est son imaginaire que le public réclame, sa vision plutôt que son coup de main. Si Chanel et Cardin ont construit des empires, c’est dans le premier cas grâce au succès d’un parfum devenu mythique, dans l’autre cas, dans la mise en place de licences qui permettaient à certains objets du quotidien d’accéder à un statut particulier, auréolé par la gloire d’un nom. Aussi, la leçon a en tirer, la meilleure que l’on puisse donner à un créateur de mode, c’est d’ étendre son univers à d’autres sphères de la création s’il veut survivre. Parfumeur, décorateur, transformiste, tout est bon. Car l’expérience centenaire de la mode prouve que la lutte contre la copie est un combat perdu d’avance. C’est l’un des paradoxes de son métier : en devenant créateur, le couturier inscrivait dans sa destinée l’obligation de ne plus s’intéresser uniquement aux vêtements.

Credit photo : dans l’officiel n° 16(1922) le redacteur en chef Dominique Gaffory s’insurge contre « les forbans organisés que sont les copieurs »
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