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A Saint-Ouen, une école fait le pari de démocratiser la mode

By AFP

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"Dégoûtée" d'avoir arrêté sa formation faute d'argent, Sandy avait renoncé à la couture. Elle a depuis intégré la première promotion d'une école gratuite en Seine-Saint-Denis qui ambitionne d'ouvrir les métiers de la mode à des talents "inexploités".

Penchée au-dessus d'une grande table, la jeune femme de 23 ans s'applique à dupliquer de mémoire un haut "à froufrous". Le temps presse: la collection imaginée par les onze premiers élèves de la "Casa 93" sera présentée le 9 juillet devant des professionnels, un baptême du feu pour cette école associative ouverte à la rentrée 2017 à Saint-Ouen, au nord de Paris.

Sa fondatrice Nadine Gonzalez s'est donné une "mission": permettre à des talents "inexploités" de mettre un pied dans ce milieu "hyper élitiste" - entre les formations publiques sélectives et les écoles privées à plus de 10.000 euros l'année.

Elle recrute en priorité dans ces quartiers "politique de la ville" dont regorge la Seine-Saint-Denis, département au plus faible niveau de vie de France métropolitaine simplement séparé de la "capitale de la mode" par le périphérique parisien.

Originaire de Sevran, Sandy s'était décidée à candidater à la dernière minute. Elle était "dégoûtée" d'avoir dû interrompre sa scolarité à Paris après le décès de l'oncle qui finançait ses études, "déprimée" face au constat que si "t'as pas d'argent, tu réussis pas" dans la mode.

Désormais "remotivée", elle "ne regrette pas" de jongler entre son emploi chez MacDo et les 20 heures hebdomadaires à l'école.

Pour proposer cette formation gratuite d'un an, Nadine Gonzalez a rallié "plein de bonnes volontés" : le branché Mob Hôtel de Saint-Ouen prête une salle, les formateurs sont bénévoles la première année et des partenaires comme Adidas ou le créateur Jérôme Dreyfuss financent des bourses (5.650 euros par élève).

Française, diplômée de l'école Esmod et ancienne journaliste freelance, la quadragénaire a pu faire valoir son expérience au Brésil. Elle a fondé en 2013 l'école "Casa Geraçao Vigidal" dans une favela de Rio alors "pacifiée" par les forces de l'ordre dans la perspective du Mondial-2014 de football et des jeux Olympiques de 2016.

Cent élèves y ont reçu une formation. Mais aucune promotion n'en sortira cette année. Depuis la fin des JO, "les trafiquants sont revenus" et "un parking" a remplacé l'école, déplore Nadine Gonzalez, qui compte rouvrir un établissement en mars 2019 à Sao Paulo.

Ce revers n'explique qu'en partie son retour. Se sentant "coupable" d'être loin de la France pendant les attentats jihadistes de novembre 2015, elle a pensé que sa "légitimité" était davantage d'oeuvrer pour "les gens de banlieue" que pour ceux des favelas.

Alors elle a débarqué en Seine-Saint-Denis comme à Rio une dizaine d'années plus tôt: sans connaître, mais animée par le sentiment d'avoir été "appelée", avoue-t-elle en riant. Quitte à déconcerter quand elle insiste pour prononcer Casa "9-3" plutôt que 93, convaincue que c'est "la façon dont les jeunes le disent plus facilement".

Nadine Gonzalez n'a en tout cas aucun mal à trouver des candidats pour la rentrée. Agés de 18 à 25 ans, les neuf filles et deux garçons de la première promotion sont ses meilleurs ambassadeurs.

"C'est beaucoup mieux qu'une école normale !" Cheveux tirant vers le rouge, t-shirt noir et pantalon à carreaux, Rubi énumère: "On apprend sur le tas, on est habitué à toucher à tout, on peut dire ce qu'on veut car on n'est achetés par personne." L'école, qui promeut une mode "éthique", assume un discours critique sur l'industrie de la mode.

Njeri ne se reconnaît pas dans la Fashion week haute couture qui débute dimanche à Paris - les "meufs pulpeuses" en sont absentes. La jeune femme, qui s'habille volontiers au rayon hommes, rêve d'une "mode plus simple", "pensée pour tout le monde". A ses côtés, Miguel imagine à l'inverse des pièces qui sont "en elles-mêmes un spectacle".

Pour lui comme pour la plupart de ses camarades, l'école est un tremplin avant de postuler pour des bourses dans des écoles reconnues. Car Miguel s'autorise désormais à penser qu'il a "peut-être un talent". (AFP)

CASA93