Bilan : Quoi de (vraiment) neuf à la Fashion Week de Paris ?

By Julia Garel

13 mars 2025

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Mode
Issey Miyake FW25. Credits: ©Launchmetrics/spotlight

Le soleil brillait sur Paris, lors de la Fashion Week femme automne-hiver 2025. Dans cette joyeuse clarté, le secteur du luxe a régalé son public de nouveautés pour mieux stimuler un désir d’achat particulièrement mis à l’épreuve en 2024 et à la croissance encore fragile (entre 1% et 3% annuels jusqu'en 2027, selon McKinsey). D'ingrédients totalement « nouveaux », cependant, il n'était pas toujours question, tant l'audace se révèle risquée dans un climat d'incertitude géopolitique.

Une mode pas pour tout le monde

Après un vague engouement pour l’inclusivité sur les podiums, la Fashion Week parisienne a repris depuis plusieurs saisons ses mauvaises habitudes en optant pour des castings qui ne dépassent pas la taille 36. La Semaine de la mode qui s’est terminée mardi n’a pas fait exception. La silhouette longiligne prônée par le secteur depuis des décennies demeure le modèle de beauté à suivre, y compris chez des marques qui avaient habitué à plus de diversité.

C’est le cas de la griffe indépendante Marine Serre dont la collection a marqué un tournant « tant personnel que créatif », dixit le communiqué, et qui a présenté 47 silhouettes inspirées de la femme fatale des années 1950 et 1980. On regrette que la « stature puissante » et la « taille cintrée » décrites dans les notes du shows ne se soient exprimées qu’à travers l’image d’un corps mince et normé chez une marque aussi avant-gardiste.

Marine Serre FW25. Credits: ©Launchmetrics/spotlight

La prédominance des silhouettes élancées sur les podiums exclut Madame Tout-le-Monde et ses poignées d’amour, renforçant ainsi l’image d’un luxe refermé sur lui-même, indifférent au besoin de représentativité. A l’heure où l'enseigne d'ultra-fast-fashion Shein mène la danse et où la seconde main est devenu un réflexe d’achat pour une grande partie des consommateurs, beaucoup de marques de luxe tiennent plus que jamais à souligner ce qui les différencie de cette mode « mass market » pour mieux justifier leur positionnement.

« Je voulais créer des choses qui puissent inspirer et qui ne pourront jamais être reproduites par la fast fashion », écrit Daniel Roseberry dans les notes du show Schiaparelli dont il est le directeur artistique depuis 2019. La ligne de prêt-à-porter de la griffe parisienne a été relancée à la même période et retranscrit le faste de la ligne de haute couture dans une version plus commerciale. On retient cette saison l'accumulation des ceintures autour de la taille et les longues robes sexy en maille.

Alaïa et Hermès : bande à part

Alaïa, FW25. Credits: ©Launchmetrics/spotlight

La technique et le savoir-faire artisanal sont ce par quoi les marques de luxe se distinguent et justifient leurs prix en boutique. Ils étaient particulièrement visibles chez la griffe française Alaïa (groupe Richemont) où des robes drapées avaient été réalisées à partir d’un tube métallique moulé directement sur le corps (la fabrication a en partie été filmée puis publiée sur le compte Instagram de la maison). Même savoir-faire pour ses jupes plissées volumineuses conçues à la main avec la technique traditionnelle du carton.

La pureté des silhouettes alliée à une grande créativité et une considération unique du mouvement garantit à la marque la poursuite d’un succès commercial débuté il y a déjà plusieurs saisons, après l’arrivée de Pieter Mulier à la direction créative en 2021 – on se souvient notamment de l’engouement général en 2023 et 2024 pour ses ballerines en strass et celles en résille. Le dynamisme de la marque s’est d’ailleurs illustré en janvier dernier par l’ouverture de son plus grand magasin au monde, rue du Faubourg Saint-Honoré, à Paris.

Hermès FW25. Credits: ©Launchmetrics/spotlight

Autre maison française à exceller dans l’art de l'artisanat, Hermès a déroulé une collection sombre, aux coupes nettes et aux épaules ajustées. Après la publication de ses excellents résultats pour l’année 2024 – bénéfice net en hausse de 6,8 % à 4,6 milliards d'euros – la maison a annoncé son intention de s’ouvrir à la haute couture, le club très fermé des maisons françaises sélectionnées par la FHCM pour leur savoir-faire unique. Les prouesses techniques du sellier-maroquinier ont donc particulièrement été mises à l'honneur dans ce show AH25. On retient notamment des pans de cuir d’agneau qui se boutonnent ou se dézippent et des quartiers de selle qui se rejoignent pour enserrer un short ou une robe.

Le retour de la couleur chez Saint Laurent

Saint Laurent, FW25. Credits: ©Launchmetrics/spotlight
Jeu de volumes teintés d'une touche 80's pour Saint Laurent (groupe Kering) où Anthony Vaccarello poursuit une création radicalement épurée depuis environ trois ans. La collection automne-hiver 2025 s'est démarquée par des couleurs vives, une palette audacieuse qui tranche avec les saisons précédentes, davantage portées sur des tons neutres. De quoi ramener un peu de lumière sur une maison en perte de vitesse, qui enregistrait en 2024 un chiffre d’affaires en baisse de 9 %, à 2,9 milliards d’euros.

Nouveau départ pour Givenchy

Sur le compte Instagram de la marque du groupe LVMH, le profil indique désormais « Givenchy by Sarah Burton ». Une précision pour rompre avec les années Matthew Williams et annoncer clairement une nouvelle ère où l’image de la marque dépendra dorénavant d’une directrice artistique réputée pour son travail de longue date chez Alexander McQueen. Résultat : un premier show qui remet les choses à plat en revenant aux origines et à l’œuvre de son fondateur, Hubert de Givenchy.

Givenchy, FW25. Credits: ©Launchmetrics/spotlight

Pièces de tailoring aux coupes millimétrées, tenues de grand soir, silhouettes en résille sexy et chic... La collection offre une vue complète de la nouvelle femme Givenchy, tandis que les coupes épurées expriment une précision calibrée et un savoir-faire couture. Stratégie pertinente pour rehausser la réputation d’une maison dont l'identité s'était perdue.

Coperni : innover encore et toujours

Coperni FW25. Credits: ©Launchmetrics/spotlight

Créer le buzz, surprendre et faire de son défilé un moment historique, voilà le credo de Arnaud Vaillant et Sébastien Meyer, le duo derrière la marque Coperni lancée en 2013. Cette approche spectaculaire a déjà fait ses preuves avec la robe en spray créée en direct sur la mannequin star Bella Hadid et qui, en 48 heures, était parvenue à engranger un MIV (valeur de l’impact médiatique) à 26,3 millions de dollars, soit 26,51 millions d'euros. De quoi booster les ventes de la marque.

Après un défilé à Disneyland Paris, Coperni a donc réuni son public dans l'enceinte de l'Adidas Arena, autour de quelque 200 joueurs qui se sont affrontés lors d'une LAN party (une réunion multijoueurs). Mais les rois de la viralité n’oublient pas pour autant de soigner la collection en elle-même. Pour l’occasion, la marque a multiplié les clins d'œil au jeu Lara Croft et à l’univers des hackers (collant cargo, tatouages, bottes en cuir, denim usé…). On retiendra surtout le sac Tamagotchi Swipe Case ainsi que la collaboration avec Ray-Ban et Meta.

De Louis Vuitton à Chloé : on campe sur ses positions

La marque phare du groupe LVMH n’a pas pris grand risque cette saison en basant sa collection sur sa thématique historique : le voyage. Le défilé qui avait lieu à l’Étoile du Nord, près de la gare du Nord, a dévoilé des malles portatives colorées et des réinterprétations des sacs best-seller de la maison, dont le Speedy. Le reste demeure fidèle à la patte du DA de Louis Vuitton, Nicolas Ghesquière : un juste équilibre d'éclectisme, où se télescopent habilement plusieurs références aux décennies passées.

Dior, FW25. Credits: ©Launchmetrics/spotlight.

Chez Dior, autre maison du géant LVMH, Maria Grazia Chiuri a poursuivi l’exploration du féminin et du féminisme (débuté en 2016) en s’inspirant du roman Orlando de Virginia Woolf (l’histoire d’un personnage qui alterne librement le statut d’homme et celui de femme). Sa collection automne-hiver 2025 a proposé une abondance de chemisiers blancs, des volants en guise de col amovible, comme une évolution de la fraise d’Orlando, des bermudas portés avec de hautes bottes en cuir, des vestes masculines, ainsi que beaucoup de transparences et de dentelles.

On retiendra le retour du T-shirt signé John Galliano : J’adore Dior. Une pièce lancée dans les années 2000, au prix relativement accessible et qui servait alors de « porte d'entrée » à l'univers du luxe pour une jeune clientèle. L’exhumation du T-shirt peut être perçue comme un pied-de-nez de Maria Grazia Chiuri envers les critiques qui jugent ses collections trop « commerciales ». Une belle façon de terminer son règne au sein de la maison française si les rumeurs annonçant son départ se révèlent justes.

Chloé FW25. Credits: ©Launchmetrics/spotlight

Jeudi, la maison Chloé (groupe Richemont) a accueilli ses invités dans une salle aux tons poudrés, sur une douillette moquette vert-de-gris. Un décor qui soulignait l’ADN féminin d’une maison dont la direction artistique a presque toujours été assurée par une femme. Ce point, loin d’être anecdotique, place la marque à part dans une industrie qui nomme le plus souvent des hommes pour assurer la direction créative.

Pour l’automne-hiver 2025, Chemena Kamali, DA de Chloé depuis fin 2023, a donc, une nouvelle fois, placé l’idée de la « femme Chloé » au cœur de sa réflexion. « Le lien entre la Maison, la femme [Chloé] et moi-même est profondément personnel », écrit-elle dans les notes du show. En revisitant les codes iconiques de Chloé – fluidité, romantisme et sensualité –, Chemena Kamali propose une garde-robe qui célèbre des archétypes d’une féminité qui a modelé l'esthétique de la maison depuis sa création en 1952.

La collection poursuit l’inspiration lingerie d’antan, déjà au cœur de la saison printemps-été 2025, tout en forçant le trait bohème, cher à la marque. Le défilé a aussi été l’occasion de relancer le Paddington, it-bag créé en 2004 par l'iconique directrice artistique Phoebe Philo, et qui avait déjà fait un come-back en 2019, sous la direction de Natacha Ramsay-Levi. Ce best-seller devrait voir sa côte grimper en seconde main.

De Miu Miu à Issey Miyake : fraîcheur et liberté

Rares sont les poids lourds du secteur qui, comme Miu Miu, parviennent à faire de la mode un champ d’exploration intellectuel tout en restant portable. La griffe du groupe Prada (chiffre d’affaires en hausse en 2024 à 5,4 milliards d'euros) domine le Lyst Index (classement des marques les plus populaires du moment) depuis plusieurs saisons et cela devrait encore durer.

Pour l’automne-hiver 2025, Miuccia Prada et la styliste Lotta Volkova ont manipulé des pièces a priori banales du quotidien (cardigan, jupe aux genoux, soutien-gorge) pour venir au plus près d’une « vraie » silhouette de femme. Cela donne lieu à des looks à la fois soignés et désordonnés : une jupe portée avec un cardigan non coordonné, la bretelle visible d'un soutien-gorge, le manteau porté à la main parce qu'on a trop chaud, les chaussettes qui plissent... Réalisme rafraîchissant qui contraste avec la période actuelle qualifiée de post-vérité où les politiques nient les faits.

L’esthétique débraillée et le jeu des vêtements ont aussi amené de la vie, et de l’humour, au sein du défilé de la marque japonaise Issey Miyake. On a notamment repéré un sac en papier qui se transforme en vêtement, le panneau avant d’un top qui devient une manche grâce à des boutons supplémentaires et une chemise qui peut être tournée en passant les bras dans différentes manches.

Weinsanto, Zomer, FW25. Credits: ©Launchmetrics/spotlight

Mais c’est aussi, et sans surprise, du côté des jeunes marques qu’un vent frais a soufflé.

  • Lancée en 2020, Weinsanto fait partie des talents émergents les plus suivis de ces dernières saisons. Sa collection AH25 a, entre autres, dévoilé des pièces en cuir effet denim tacheté particulièrement saisissantes. A noter : la marque est l’une des rares à avoir casté des mannequins dits « grande taille ».
  • Pour son premier défilé dans le calendrier officiel de la FHCM, Christopher Esber, designer australien et vainqueur du prix de l'Andam 2024, a proposé des silhouettes hautement désirables que beaucoup d’invités présents se voyaient déjà porter.
  • La marque espagnole Abra – lancée en 2020 par Abraham Ortūno Perez, designer de plusieurs paires de souliers très populaires chez Loewe et Jacquemus – a alterné silhouettes pensées pour le buzz et tenues plus réalistes à la féminité versatile. On retiendra notamment les chaussures à petits talons ornées de pompons.
  • Le premier show de la marque belge Bernadette a beau ne pas avoir révolutionné la mode féminine, ses robes de taffetas et ses pièces scintillantes confèrent à la tenue chic un air décontracté à porter (presque) au quotidien. A noter : la marque vient de se lancer sur le segment de la chaussure.
  • Zomer, lancée par Danial Aitouganov et Imruh Asha (demi-finalistes du prix LVMH), a présenté des vêtements portés devant-derrière. « Jouer, c'est créer, transformer le familier en quelque chose de nouveau », pouvait-on lire dans les notes du show. On retient les tenues en maille créées par la créatrice Cécile Feilchenfeldt.
FW25
PFW
Womenswearcatwalkseason