Bonne Gueule, leader sur la mode homme : entretien avec Geoffrey Bruyère, co-fondateur
loading...
Parti d'un blog, fondé par Benoît Wojtenka et Geoffrey Bruyère à l'origine, Bonne Gueule est aujourd'hui un site Internet exclusivement dédié à la mode masculine et leader en France sur cette thématique. Mais Bonne Gueule, c’est aussi une marque, une entreprise, un concept inédit. Avec la publication de guides de conseil look, des formations en ligne, des tutos en vidéo ou du coaching dans ses propres boutiques, l'ex-blog a séduit un grand nombre d'internautes toujours plus fidèle, l'entreprise allant même jusqu'à lancer se lancer dans le prêt-à-porter masculin en créant sa propre marque, également baptisée "Bonne Gueule", en février 2014. Nous avons posé quelques questions à Geoffrey Bruyère, co-fondateur de cette pépite de la mode masculine.
FashionUnited France: L'aventure Bonne Gueule a fêté ses 10 ans l'an dernier, était-ce l'occasion de faire un point ? De donner une nouvelle impulsion à la structure ?
Geoffrey Bruyère - Bonne Gueule : C'est toujours compliqué de faire un point sur une aventure qui grandit vite, mais 10 ans, cela signifie quelque chose de fort pour nous. Nous avons consacré un tiers de nos vies à Bonne Gueule. Aujourd'hui, notre l'équipe compte 30 personnes et propose ses services à 4 millions de lecteurs (Visiteurs Uniques en 2017).
On se rend compte aussi que la mode masculine a énormément évolué ces dernières années, avec d'un côté des "grosses" marques qui réalisent des efforts croissants sur la qualité et sur les informations produit. De l'autre, plein de petites marques qui peuvent parfois sur-jouer dans leur discours (le sweat ultime, le jean parfait, etc.), mais qui vont dans le sens du consommateur lorsque la démarche est sincère.
On espère ne pas avoir seulement su identifier des tendances de consommation (marque digitale, content marketing, distribution en direct, abandon des logiques de collection, absence de promotions, etc ...), mais avoir aussi participé à canaliser ces dernières, voire à les avoir accélérées. Mais on reste une petite marque. On garde en tête qu'on doit rester innovants et ne jamais nous reposer sur nos lauriers.
Votre entreprise est-elle autofinancée depuis le début ou des investisseurs sont entrés au capital ?
Bonne Gueule est rentable depuis le premier jour et s'est autofinancé jusqu'à atteindre 2,1 millions d'euro hors taxe en 2015. Mais une activité avec des stocks, des équipes à financer et une croissance à 3 chiffres, c'est évidemment compliqué pour le Besoin en Fonds de Roulement (BFR). Alors, nous avons levé environ 1 million d'euros en 2016 auprès de business angels (dont François Barbier, Thierry Petit, Cyril Vermeulen, Nicolas Santi Weil), pour stabiliser notre activité et pouvoir continuer à investir.
Début 2018, nous avons fait entrer Enthéos, un "Family Office" (petite structure dédiée à la gestion du patrimoine d'une PME, visant à optimiser sa fortune), qui a su nous convaincre à travers une compréhension fine de notre activité et parce qu'il partage nos valeurs et objectifs à long terme. Nous continuons à privilégier la rentabilité de l'activité afin de ne jamais être cash dépendants et conserver la très grande majorité du capital. Nous veillons également à ne pas grandir trop vite, car il est hors de question pour nous de dégrader la qualité de nos services ou de nos vêtements en voulant aller plus vite que la musique.
Chiffre d'Affaire Hors Taxe
2016 : 2,4 millions d'euro
2017 : 3,7 millions d'euro
50 pour cent Web vs. 50% boutique
Les clients de Bonne Gueule ont-ils évolué avec le temps ?
Nous avons toujours eu une clientèle assez diversifiée (de 20 à 60 ans, à Paris comme en région), mais petit à petit, on touche un public plus large. Nous, on ne se voit pas comme des "mecs cools", juste des amoureux des savoir-faire et des belles matières. Pourtant, la marque devient "trendy", un peu malgré nous. On habille des entrepreneurs, des acteurs, des personnes de la télé. On sent le besoin des clients de consommer de manière plus raisonnée, de revenir à de "vrais" produits, qui durent. C'est cela qui lie nos clients historiques à ceux qui ont découvert la marque récemment.
Le lifestyle prôné par votre site a-t-il évolué par rapport à sa création ?
On essaie de vivre selon notre époque, avec nos propres convictions, qu'il s'agisse du marché ou des modes de consommation. On les partage avec ceux que ça intéresse. Les tendances de la mode, c'est très bien, mais ça ne nous intéresse pas. Je ne sais pas trop si on prône un style de vie particulier, on n'y prête pas attention. En revanche, on reste proches de nos lecteurs : en les écoutant (sondages, conversations, votes), en intervenant dans les commentaires, en répondant aux mails qu'ils nous adressent.
Comment est arrivé votre succès en librairie "Le Guide de l'Homme Stylé même mal rasé" ?
À la base, il s'agissait d'un e-book : le Bonne Gueule Book, lancé en 2011, qui fut notre première source de revenus. A l'époque, il s'agissait seulement d'un blog. Avec le passage au papier, la communauté grandissante et notre éditeur (Pyramyd, qui édite aussi le magazine Étapes) ont fait le reste.
Qui a eu l'idée de passer d'un média à une marque de prêt-à-porter avec pignon sur rue ?
Tout s'est fait pas à pas, une étape après l'autre. En écoutant nos envies, notre communauté, et avec une approche spontanée mais ultra-rationnelle. Un des facteurs clés de succès, c'est de ne jamais avoir cherché à être une marque de mode, avec des collections, un marketing dispendieux, un réseau de distributeur, une obsession pour la communication, une dépendance aux soldes et à l'export, etc. Cela nous a permis de nous concentrer sur ce qui comptait vraiment pour nos clients : de la qualité, du contenu, et du service.
Les collections Bonne Gueule proposent-t-elle des vêtements éco-conçus ? Est-ce un point important pour la marque ? Est-ce que votre communauté prend la parole à ce sujet ?
Oui, on propose de plus en plus de matières responsables, sourcées localement ou produites par des fournisseurs éthiques. Ce n'est pas toujours possible de connaître l'origine des balles de coton ou de laine, mais on travaille essentiellement avec des entreprises du patrimoine vivant ou des fournisseurs haut de gamme italiens ou japonais qui sont également sensibles à ces sujets.
On refuse aussi certaines pratiques pourtant hyper-répandues, comme l'importation de cuirs suédés off-shore, sur lesquels il n'y aucun contrôle quant au mode de production ou à la toxicité des pigments. Tant pis si on doit parfois faire une croix sur nos marges, on se rattrape sur les autres pièces. Le consommateur est encore souvent trompé par de faux discours écologiques de marques établies ou récentes, mais on voit que cela tend à évoluer vers le positif.
Comment se déroulent vos implantations en province ?
Grâce au média et au e-commerce, on a accès à énormément de données data, ce qui nous permet de savoir précisément où les gens nous attendent. C'est ainsi qu'on donne la priorité aux villes où nous souhaiterions ouvrir une boutique. Mais au-delà de ça, on reste très opportunistes. Si on identifie un très bon emplacement pas trop cher, avec d'excellents collaborateurs à recruter, on n'hésite pas à agir.
Venant du digital, avez-vous mis en place des nouvelles solutions de paiement dans vos boutiques ?
Oui, on offre le paiement en 3 fois sans frais en boutique, service sur lequel nous sommes pionniers. On envoie aussi les factures de manière dématérialisées, par email. Le paiement sans contact et l'Apple Pay, restent balbutiants en France. On attend de sentir réellement une demande avant de se lancer. Côté digitalisation, nous avons aussi accès à la consultation des stocks de chaque magasin, taille par taille, directement via le site web. Il est également possible de retirer sa commande en ligne dans l'heure en boutique.
Quels sont les principaux atouts du média Bonne Gueule par rapport à la presse de mode spécialisée ?
La presse spécialisée va très mal, ce qui accentue une dépendance à "la main qui la nourrit". Il n'existe plus de média indépendant des marques ou des distributeurs. Cela leur empêche de produire des contenus de qualité. L'autre problème des médias, c'est leur dépendance aux GAFAs (Google, Apple, Facebook, Amazon). Cela les pousse à produire des formats courts et viraux pour "faire du click", sans cohérence à long terme ni constitution d'une vraie communauté fédérée par une confiance dans le titre. De notre côté, on s'attache à toujours recommander les marques de qualité présentes sur le marché, sans mettre en avant notre propre marque. On investit aussi lourdement sur la qualité des contenus. Par exemple, on vient de recruter Christophe Joly, ancien rédacteur en chef à LCI, pour renforcer davantage encore notre ligne éditoriale. Nous aurons plutôt tendance à limiter le volume de publications de la marque en 2018. En tant que marque et média, nous sommes conscients du risque que l'on court nous-même, mais on sait aussi que l'ensemble de notre succès repose sur la confiance que les internautes nous accordent. Nous établissons des limites très claires entre le média et la marque.
Bonne Gueule identifie-t-elle des figures intéressantes (influenceurs, créateurs, célébrités…) avec lesquelles elle souhaiterait collaborer ?
Il y a des entrepreneurs qui nous inspirent énormément, mais ils ne sont pas forcément dans notre secteur. Je pense par exemple à des entreprises comme la Camif, My Little Paris, Patagonia, etc. En France, côté collaboration, nous avons un peu fait le tour des marques de mode masculine intéressantes pour Bonne Gueule. Nous avons instauré des collaborations avec des marques Maharishi, irlandaises (Angleterre), Inis Meain (Irlande), Coldsmoke (Californie -USA) et, en préparation, des marques coréennes ou japonaises, avec lesquelles on partage des valeurs fortes en matière de savoir-faire et en termes de responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
Quelles orientations souhaiteriez-vous insuffler à Bonne Gueule d’ici 5 à 10 ans ?
Bonne Gueule a une vraie carte à jouer, tant sur le média masculin (il y a un boulevard devant nous), que sur la marque de mode homme, qui peut devenir une championne européenne, parce qu'elle correspond vraiment aux attentes des nouvelles générations de consommateurs. Pour cela, nous continuons à développer le média pour parler à un public plus large. On développe aussi des boutiques où il se passe des choses fortes. Les internautes peuvent par exemple réserver des coachings gratuits d'une heure sans obligation d'achat. Ils peuvent ainsi améliorer leur style et être sensibilisés à la qualité. Pour information, nos conseillers de vente ne sont pas icentivés par rapport au chiffre d'affaire afin de préserver l'honnêteté des conseils et de la relation).
Photos 1, 3, 4, 5 : Bonne Gueule, boutiques et collection homme / DR.
Photo 2 : Benoît Wojtenka et Geoffrey Bruyère - Fondateurs de Bonne Gueule / DR.