Cem Cinar : « On apprend à pas de géant en parlant aux acheteurs »

La fashion week : les podiums, les défilés, les présentations mais aussi, et c’est important (c’est même le nerf de la guerre), les showrooms durant lesquels les collections sont présentées non pas à la presse mais aux acheteurs. Pour les futurs stylistes, tout juste sortis de leur école de mode, c’est peut être même l’endroit ou on apprend le plus. C’est au showroom Designers Apartment que nous avons rencontré Cem Cinar, le contact commercial de la jeune et superbe marque créateur parisienne Y/Project, un label fondé en 2010 par Yohan Serfaty et qui propose aujourd'hui sous la houlette artistique de Glenn Martins un vestiaire homme et femme où les silhouettes jouent sur la versatilité, le confort et l’audace.

Clem présente aujourd’hui la collection femme automne/hiver 2014/15: les coupes architecturales dialoguent sans frilosité avec des matières souples, la netteté graphique avec le streetwear urbain, les tissus classiques et tech se superposent pour créer des effets graphiques Op-Art en mélangeant des matériaux comme les tweeds Harris ou autre pied de poule avec des hologrammes en latex et vinyl. L'ancien étudiant d’Esmod Paris, de nationalité hollandaise et turque, est tout sourire : « tous les acheteurs importants sont passés ». Quoi que jeune, la marque est vendue dans 30 points de ventes multimarques ce qui est un excellent résultat pour une marque créateur haut de gamme.

S'occuper du commercial quand on a suivi une formation de style et de modélisme, un cas à part? Peut-être, mais ça fonctionne. « J’ai suivi de nombreux stages durant ma scolarité, comme par exemple chez Rick Owens ou Gareth Pugh, toujours en showroom. Chez Rick Owens, j’ai été en contact étroit avec la directrice commerciale, qui a une énorme expérience de 20 années passées dans le commerce et qui m’ a tout appris. Tout de suite après mes études, un contact chez Rick Owens m’a présenté aux équipes de Y/Project : j’ai aidé un peu à construire la collection femme (lancée en 2012) en style et en patronage avant de m’impliquer dans le commercial ». Une formation en style aide-t'elle à présenter et vendre les collections ? « Enormément, car j’ai une sensibilité dans la création : je peux donc parler de patronages, de constructions. Je peux également parler de la production. De plus, il n’est pas nécessaire que l’équipe du style m’explique tout en détail : je vois une pièce et je comprends tout de suite. »

« S’occuper du commercial vous apprend à construire une collection »

Fonder sa marque? « Un jour, j’espère bien. Mais pour l’instant j’apprends. Ca fait trois ans que je suis chez Y/Project, j’ai vu le changement de designer, le lancement de la collection femme à laquelle j’ai participé. Je n’ai que des sources de satisfactions : la marque est maintenant bien positionnée, on a de nombreuses boutiques qui nous distribue, c’est passionnant de voir une marque grandir et évoluer ».

Pas d’impatience donc, d’autant plus que Cem connaît la valeur de ce qu’il apprend dans son activité actuelle. « Pour un futur styliste, comprendre l’aspect commercial de l’intérieur est capital. On apprend à pas de géant à force de parler avec les acheteurs. On apprend les envies, on apprend la bonne manière de suivre et de comprendre les tendances ». Un exemple ? « Avant, je ne comprenais pas que dans une collection il y a vraiment un coté show, un coté commercial. J’ai appris qu’on ne peut pas dessiner tout ce qu’on veut, faire une collection de 100 pièces et attendre les acheteurs. Il faut vraiment élaborer une stratégie initiale, bien réfléchir, voir quelle partie de la collection s’adresse plutôt aux Etats Unis, quelle partie sera plutôt destinée à séduire la Chine, combien de commandes sont nécessaires pour bien produire. »

Le profil idéal du stagiaire ? « Il doit comprendre et aimer faire de tout. Cela peut être le fait de coudre un bouton jusqu’à passer un appel à New York pour fixer un rendez vous en showroom. Mais en général, même si on est très clair des le début, ça coule de source pour les meilleurs : ceux-la même qui deviennent le plus rapidement indépendants et qui sont capables de prendre des initiatives».

crédit photo: Y/Project AW15