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Entreprendre : six jeunes marques de mode partagent leurs expériences et conseils pour se lancer

By Julia Garel

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Crédit : Tressé.

Y a t-il vraiment de bons moments pour se lancer dans la mode ? Probablement pas. Aussi compliquée la période actuelle soit-elle pour les enseignes de l’habillement, elle ne semble en rien entamer la volonté entrepreneuriale des nouveaux venus sur le marché.

Tressé, Martin Martin, Adn Paris et les autres noms interrogés pour cet article ont été lancés entre 2018 et 2020. Ces marques de mode françaises aux structures encore modestes ont accepté de nous raconter par mail les enseignements qu’elles retiennent de ces temps de crise et les conseils qu’elles adressent à d’autres entrepreneurs touchés par la même envie de se lancer.

Numero 6 : « miser quasiment tout sur les réseaux sociaux »

Créé en 2020, Numéro 6 propose tous les six mois six looks, trois pour hommes et trois pour femmes. Blanche Stagnara, la créatrice, a à cœur de transmettre son savoir sur les matières naturelles, d’« éduquer le plus de monde possible sur ce qu’est une mode éthique », écrit-elle par mail. Elle ajoute : « Je suis de ces personnes optimistes qui voient les beaux jours arrivés et avec eux plus de bonnes nouvelles ! »

Ses enseignements : Dans le milieu de la mode et de l’entreprenariat en général, on est régulièrement confronté à des hauts et des bas. Les mauvaises nouvelles suivent les bonnes etc. Il faut s’accrocher! Et durant cette période encore plus. Il y a eu beaucoup de bas. Des annulations de pop-up stores, d’évènements, de partenariats, etc. Je retiendrais que rien n’est acquis. Et quand on a une bonne nouvelle, la chérir encore plus et se concentrer sur elle sans se faire envahir par les mauvaises. Comme pour un grand sportif, tout est dans le mental !

Ses conseils : Savoir bien s’entourer, avoir un environnement sain. Ne jamais oublier que l’on n’est pas seul. Dans ce milieu, on peut tomber sur de très belles rencontres et trouver du soutien là-dedans. D’autres créateurs, des photographes, des stylistes, des modélistes, des petits fournisseurs… Nous sommes nombreux dans cette période compliquée.

Je dirais aussi de miser quasiment tout sur les réseaux sociaux. C’est là où il faut investir le plus d’argent et de temps. Une vraie fidélisation de la clientèle peut naître si on s’y met à 100 pour cent. Et c’est, pour le coup, une valeur sûre : jamais de fermeture ! Ce sont des plateformes qui poussent ta créativité, où tout est possible, où tu peux t’exprimer le plus. Ne pas hésiter à montrer ton visage et à être le plus naturel possible, tu te rapprocheras ainsi de ta communauté, et il en découlera un vrai lien. Tu pourras mieux les comprendre et mieux répondre à leurs demandes, leurs envies.

Ses ambitions : Si je suis 100 pour cent honnête je répondrais que j’ai appris à vivre au jour le jour. J’ai quelques projets, comme des nouvelles tenues ou accessoires, ou bien des partenariats, mais je ne donne plus de dates. Il n’y a ainsi aucune déception, seulement du bonheur quand ça se concrétise. Cette période a tout de même, je trouve, ouvert les yeux à pas mal de monde, sur ce qu’est une petite marque en développement. Le Covid nous a rendu plus humains et plus à l’écoute. Plus responsable ?

Tressé : « sublimer l’expérience client »

« On aimerait être une maison qui fait voyager », nous écrivent par mail Ketzia et Sivan Chétrite, les sœurs fondatrices de Tessé Paris. La marque, née en mars 2021, propose un prêt-à-porter et des pièces d’art de vivre liant la culture, le voyage et l’artisanat. Les collections sortent au compte-goutte, 15 à 20 pièces rassemblées sous le terme de « valise ».

Ses enseignements : Plus que jamais il est important de retrouver l’ADN de la marque en réceptionnant un colis chez soi alors même qu’on ne peut plus se rendre dans les boutiques. La pandémie nous a incitées à sublimer l’expérience client. Il était important pour nous de personnaliser l’expérience digitale avec de jolis packagings, de petites attentions, et de détailler la description des pièces (matière, finition, etc.) que nous voulions au plus près de la réalité.

Ses conseils : Il faut être vrai, authentique et fidèle à ses valeurs. Nous croyons que le monde recherche des valeurs de vérité et d’authenticité plus que jamais.

Rosaé Paris : « le sens de l’adaptation est essentiel pour survivre »

Rosaé Paris a été lancé en 2019 par Claire Teixeira. Son approche éthique en fait une marque responsable. En parallèle de son prêt-à-porter pour femme, disponible sur son e-shop, Rosaé complète depuis peu sa gamme d’une ligne de lingerie et s’apprête à lancer sa maroquinerie.

Ses enseignements : Cette situation inédite nous l’a confirmé : le sens de l’adaptation est essentiel pour survivre. Au début du 1er confinement, nous avons choisi de maintenir les livraisons (à cette époque ce thème faisait polémique, beaucoup de marques internet-native avaient choisi de suspendre les expéditions) et de reverser 10 pour cent de nos ventes à la fondation AP-HP. Nos clientes ont apprécié et joué le jeu. Nous avons alors repris notre programme de collection et eu la bonne surprise de voir nos ventes décoller à partir de Pâques ! Finalement, le 1er confinement n’aura en rien ralenti le développement de Rosaé.

Nous avons également eu la chance de découvrir à quel point il était possible de trouver des solutions constructives et créatives avec nos partenaires, nos liens se sont durablement renforcés du fait d’avoir traversé ensemble ces épreuves.

Ses conseils : Il n’y a jamais de « moment idéal » pour se lancer. Je crois qu’il faut suivre ses convictions, ses intuitions et ses rêves. Et toujours s’adapter !

Ses ambitions : Rosaé Paris continue son chemin et nous sommes heureuses d’annoncer l’ouverture de notre corner aux Galeries Lafayette Haussmann très prochainement, avant l’été. Nous avons d’autres projets de points de vente parisiens pour la rentrée de septembre qui s’annonce intense. Ensuite, bien sûr, le rêve serait d’ouvrir nos propres flagships, idéalement à Paris, Londres et New-York où se concentre l’essentiel de notre clientèle.

Martin Martin : « le contact direct avec [ les clients est ] très important »

Martin Martin a été créé en 2019 par Capucine Martin. La griffe propose des blazers haut de gamme made in France avec un accent particulier sur le savoir-faire à la française - chaque modèle est fait main dans un atelier parisien. Martin Martin est actuellement distribué sur le site web Net-a-Porter, ainsi que chez Bergdorf Goodman (New York), Maxfield (Los Angeles), Boyds (Philadelphie) et une boutique à Pekin.

Ses enseignements : Quand j’ai lancé ma marque, j’ai tout de suite travaillé avec des boutiques, je ne connaissais donc pas mes clients directement. Cette pandémie m’a permis de me rendre compte que le contact direct avec eux était très important. Avoir des ateliers à Paris, un circuit très court entre la création et la production, a rendu les choses beaucoup plus écologiques et faciles. La sur-production était le danger. Cela m’a permis de réaliser qu’il faut favoriser les petites quantités et la pré-commande pour éviter de se retrouver avec des stocks dormants.

Ce fut aussi l’occasion de faire une vraie optimisation de notre sourcing tissus. Beaucoup de commandes ont été annulées et de nombreux métrages de tissus abandonnés par les maisons de couture pendant la pandémie. Il s’agissait donc de comprendre comment les utiliser à bon escient pour apporter à ma clientèle des pièces aussi qualitatives mais plus abordables, qui correspondent mieux à ma clientèle en ces temps de pandémie.

Sans changer d’ADN de marque, c’est plutôt intéressant de pouvoir jongler et adapter sa créativité. Nous nous sommes axés sur des produits plus portables en intérieur, avec notre mantra Chic & Confi [ vêtements d’intérieur élégants ]. Ce fut aussi l’occasion de se focaliser sur le digital, de creuser le sujet et de créer des opportunités pour pouvoir s’enraciner durablement sur ce canal.

Ses conseils : Se focaliser sur le développement digital et favoriser les pre-orders, adopter le test and learn en y allant progressivement, être très à l’écoute de sa communauté et de ses clients, limiter la production par conscience écologique mais également pour ne pas immobiliser des ressources financières, prioriser les circuits courts et toujours garder une attitude positive. Le monde entier traverse ensemble cette pandémie, un ressenti commun se développe. Malgré cela, conserver une dynamique positive et continuer d’essayer de se faire plaisir est essentiel car, plus que jamais, le monde en a besoin.

Ses ambitions : D’un point de vue business, je souhaite avoir un aspect beaucoup plus humain dans mon travail, en me développant en B2C pour être plus proche de mes clientes et avoir une marge qui me paraît la plus juste (un intermédiaire en moins). Sans renoncer à mes niveaux d’exigence en termes de confection et de sourcing, bien entendu. Enfin, nous souhaitons continuer à nous ancrer durablement dans le digital, améliorer le sourcing de nos tissus pour devenir une marque encore plus responsable.

Adn Paris : « Ne pas avoir peur de prendre son temps »

Adn Paris a fait ses débuts en 2018. Son prêt-à-porter pour homme et pour femme se compose de chemises, jeans, t-shirts et vestes aux lignes classiques et sans genre, faits à la main dans de petits ateliers familiaux parisiens. La marque a ouvert début avril son premier studio-boutique.

Ses enseignements : Lancer une marque est une étape délicate et la faire croître pour trouver sa place sur le marché est un travail de longue haleine. Si la pandémie n’a pas aidé à accélérer ce processus, elle a eu le mérite de me faire poser les bonnes questions : quelle marque je veux développer ? Quelles sont mes valeurs ? Comment faire pour les mettre en avant ? J’ai pu prendre du recul durant une phase où, en temps normal, j’aurais cherché à lancer de nouveaux modèles et à dupliquer les business models existants. Ne pas avoir peur de prendre son temps a été le grand enseignement de cette pandémie pour moi. Aller moins vite pour rester fidèle à mes valeurs, pour continuer à bien faire les choses et construire des bases de croissance solides.

Ses conseils : La période est certes instable mais je pense qu’elle est pleine d’opportunités pour les jeunes marques. Les lignes sont en train de bouger : consommer local, choisir des marques avec des vrais engagements, donner du sens à sa consommation, etc. sont autant d’atouts pour les jeunes créateurs. L’authenticité du discours et de l’engagement d’une marque sont clés aujourd’hui pour faire la différence. Il faut prendre le temps de bien penser les fondations/valeurs de sa marque avant de se lancer, d’être à l’écoute de ses envies et des besoins réels des clients et, surtout, de faire des choses qui nous ressemblent parce que c’est là où l’on est le plus sincère, là où l’on prend le plus de plaisir et ça se ressent !

MAE Paris : « avoir sa propre voix est vital »

Installé 66 rue du Faubourg Saint-Honoré, Maë Paris a lancé en 2020 une ligne de prêt-à-porter pour femme. Créée par Maëva Bezzioune, la marque propose un luxe sophistiqué, (1935 euros pour une robe-manteau et 315 euros pour un pantalon), distribué sur son e-shop, dans sa boutique ainsi qu’aux Galeries Lafayette Doha (Qatar) et au Ritz Paris Gallery.

Ses conseils pour lancer une marque durant une période instable : Je recommanderais de le faire, de suivre vos rêves et vos objectifs, car c’est la seule façon de vraiment réussir dans la vie. Assurez-vous simplement que votre concept de marque réponde aux besoins et aux défis d’aujourd’hui, définissez parfaitement votre public et assurez-vous de bien le connaître et de comprendre ses besoins. Cela ne signifie pas que vous devez faire ce que font tous les autres designers à succès - au contraire, avoir sa propre voix est vital. Mais je suis convaincue que tout artiste vraiment talentueux peut être reconnu et valorisé à tout moment, surtout après la fin de la crise, et que le monde est à nouveau en plein essor vers la créativité et la beauté.

Crédit : Tressé

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