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Ils veulent casser le système : révolution ou resucée ?

By Herve Dewintre

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Les commentateurs sont quasi-unanimes : le système actuel est obsolète, la mode est morte, il faut tout changer etc. Sont mis en cause dans le même lot : la pression sur les directeurs artistiques, le nombre trop important de collections à digérer, et surtout le fait que les fashion week, telles qu’elles sont conçues actuellement sont périmées. C’est à dire que le délai entre la présentation des collections et leurs mises en boutique six mois plus tard n’a plus lieu d’être.

Ce débat est-il vraiment si neuf et révolutionnaire qu’il y parait ? Pas vraiment. Si Burberry, Tom Ford, Vêtements, pour ne citer qu’eux, ont annoncé coup sur coup cette semaine vouloir rompre avec le système actuel en proposant, par exemple, dans le cas de Burberry et de Tom Ford, de vendre leurs collections dès leurs présentations, ils ne font de reproduire les obsessions que d’illustres prédécesseurs avaient déjà traitées et résolues bien avant eux. La seule différence consiste dans le fait que ces prédécesseurs, vraiment visionnaires, étaient bien seuls à l’époque pour faire entendre leurs voix dissonantes.

Tout d’abord, on pense bien évidemment à Pierre Cardin. On a souvent dit que le célèbre couturier s’était fait virer de la Chambre Syndicale : il avait osé, le premier, présenter une collection de prêt-à-porter, dans un grand magasin -au Printemps plus exactement- en dénigrant au passage le modèle économique de la Haute Couture. Didier Grumbach a plus d’une fois contredit cette légende ; à juste titre car ce fut surement l’inverse qui se produisît. En réalité, ce fut Pierre Cardin qui rejetât en bloc, bien avant tout le monde, le système des calendriers, des défilés et des égéries : en 1966, allant à l'encontre des règles ancestrales de la *Chambre syndical ; il refusa tout net* de respecter le calendrier édicté, refusa la remise à la presse de certains documents, et fit parvenir une lettre de démission qui fut aussitôt acceptée. « Pourquoi accepterai-je de montrer mon défilé six mois avant la mise en vente, alors qu’entretemps tous mes modèles seront copiés par le Sentier ? » s’offusquai t’il. Cette contestation qui valut au couturier d’être mis au ban d’une certaine intelligentsia parisienne, n’est pourtant pas moins moderne et tranchée que toutes celles des créateurs et autres prévisionnistes d’aujourd’hui.

« Anna Wintour fait peur à tout le monde mais quand elle me voit, c’est elle qui a peur »

On pense également à Azzedine Alaïa qui lui aussi refusa une fois pour toute de se commettre dans le fashion circus des défilés dès le début de sa prodigieuse carrière. Le grand couturier, a toujours préféré montrer ses créations dans des lieux intimes (où il invite qui il veut, quand il le veut sans se laisser guider son agenda créatif par les institutions) et ne s’est jamais vraiment soucié d’être snobé par les grandes figures de la presse (il ne prend pas de publicité et refuse le jeu des calendriers officiels) allant même jusqu’à déclarer il y a quelques années : "*Anna Wintour sait tenir un business mais elle ne maîtrise pas la mode. Quand je vois comment elle s'habille, je ne crois pas en ses goûts vestimentaires une seule seconde. Elle n'a pas photographié mon travail depuis des années et pourtant, je suis l'un des meilleurs vendeurs aux Etats-Unis. Les Américaines m'aiment et je n'ai pas besoin de son soutien. (...) Elle fait peur à tout le monde mais quand elle me voit, c'est elle qui a peur !". De nombreux créateurs, dont Jérôme Dreyfuss, ne disent pas autre chose aujourd’hui.

New-York versus Paris

D’où vient donc cette soudaine agitation de la fashion-sphère qui s’interroge et croit dur comme fer à la fin d’un système ? Le coup est venu de New-York en la personne de Diane Von Fürstenberg : non pas DVF la créatrice, mais DVF la présidente du Council of Fashion Designers of America (l’équivalent en quelque sorte de notre Fédération Française de la Couture du Prêt-à-Porter des Couturiers et des Créateurs). La respectable chairman a commissionné le Boston Consulting Group afin d’évaluer ce que pourrait être le futur de la mode à New York. Les résultats de cette étude (dont les applications n’auraient, en principe, pas dû être mises en application lors des défilés de Février) furent clairs et nets : les défilés doivent devenir des shows destinés au grand public (ce que, dans les faits, ils sont déjà largement) et surtout, doivent présenter des collections disponibles immédiatement en boutique (c’est la nouveauté).

Ces propositions sont intéressantes, elles ont d’ailleurs reçu le franc soutien de Linda Fargo, ‘senior vice president fashion’ de Bergdorf Goodman. Mais si on veut se faire l’avocat du diable, on pourrait dire : attention à ne pas être dupe ni des effets d’annonces, ni des enjeux cachés ! Sans vouloir faire de procès d’intention, l’essence de la fashion week newyorkaise est bien différente de la semaine de la mode parisienne. New-York est traditionnellement plus commercial, sportswear, moins accès sur le savoir-faire, l’expérimentation et la créativité pure. Paris a un amour profond pour l’artisanat, que ni les aléas de l’économie, ni la féroce émergence de tel ou tel grand groupe ne peut effacer : amour lié à son Histoire et sa culture. Hors le Fashion Concil préconise des mesures jugées utiles non pas pour la mode en générale, mais pour la mode newyorkaise bien précisément. Le fait de proposer des collections disponibles à la vente dès leur présentation changera de facto la nature de ces collections qui auront intérêt à être plus commerciales, à moins privilégiées les effets de podiums. Cette équation conviendra merveilleusement à certains labels, beaucoup moins à d’autres pour lesquelles le défilé est aussi un moment destiné à exalter, jusqu’à l’outrance parfois, l’imaginaire d’une maison et l’intelligence de la main.

De plus, le fait de vouloir généraliser l’instantanéité (sans même vouloir entrer dans des considérations philosophiques) pose des problèmes considérables : en terme de stock, de production, de trésorerie. Cela signifie aussi que les collections devront être conçues bien longtemps en avance, ne seraient-ce que pour, primo, être proposées en amont aux seuls acheteurs, deuxio, pour être produites à une échelle raisonnable à l’instant T. Enfin, quand on sait que, généralement, les créateurs ne supportent plus leurs propres créations une fois que celles-ci sont achevées, on imagine tout ce que cette situation (présenter des collections qu’ils ont conçu des mois auparavant) entraînera d'épisodes cocasses, en coulisses sur certains shows.

De l’autre côté de l’Atlantique, Ralph Toledano incarne la tranquille assurance d’une vénérable institution qui en a vu d’autres. « Le système n’est pas cassé et l’industrie de la mode fonctionne ; nos maisons grandissent sainement et le business est excellent » temporise le président de la Fédération Française de la Couture du Prêt-à-porter des Couturiers et des Créateurs de Mode. Dans un entretien à WWD, le président de la fédération reconnait la puissance d’internet et des médias sociaux : « Néanmoins, ces technologies sont des outils, et le rôle des outils est de nous aider, pas de nous gouverner » avant d’ajouter « soyons prudents avant de graver dans le marbre telles ou telles nouvelles règles. Car après tout, la copie existait bien avant Internet ». Rien de neuf sous le soleil en quelque sorte : les amateurs de révolution en seront quittes pour d’une part, se questionner sur les mérites relatifs de l’instantanéité, et d’autre part, pour aller réviser la carrière de Pierre Cardin et celle tout aussi singulière et inspirante d’Azzedine Alaïa.

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