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Les prix du CFDA sont-ils déconnectés de la réalité ?

By Jackie Mallon

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Mode |OPINION

Les « Oscars de la mode » ont eu lieu la nuit dernière. Des membres importants de l'industrie la plus glamour de New York se sont réunis dans la salle de bal Hammerstein pour dîner, boire et se féliciter. Je me rappelle avoir participé à la cérémonie, l'année dernière, en écoutant Anna Wintour, qui apportait son soutien à la candidature de Hillary Clinton à la présidence, et ne peut m'empêcher de penser à la situation actuelle. Quand il s'agit de réunir le zeitgeist, peu dans la mode savent le faire correctement.

Un prix CFDA garantit-il le succès ?

En cette période instable pour notre industrie (et l’économie en générale), quelle est l'importance des Prix du CFDA ? Alors que j’arrive à l'événement, j’apprends, de mon téléphone, que Mickey Drexler démissionne en tant que PDG de J Crew, qui a beaucoup lutté pour trouver sa place sur le marché actuel, annonçant 150 licenciements en avril après une baisse de 6 pour cent des ventes en 2016. L'année dernière, le CFDA avait récompensé Mickey Drexler par le Funders Award.

Le candidat de 2016 au Womenswear Designer of the Year, le prix pour le prêt-à-porter féminin, Michael Kors, a annoncé cette semaine que la société fermerait 100 à 125 magasins, au cours des deux prochaines années, du à de mauvaises prévisions pour les ventes pour 2018 et des actions tombant de 8 pour cent mercredi. Peut-être que la grande famille de la mode a du mal à imaginer que les grands noms d’aujourd’hui puissent être faillibles.

Le talent est-il suffisant ?

Marc Jacobs et Proenza Schouler semblent être nommés chaque année. Mais cela est toujours plus passionnant d'entendre les noms des talents émergents mis à l’honneur par cette institution glamour. Pourtant, en 2013, Erin Beatty et Max Osterweis, fondateurs de la merveilleuse marque Suno, ont remporté le Prix Swarovski Award for Womenswear… et ont fermé leur société trois ans plus tard.

« Le talent est le moteur qui permettra non seulement à cette industrie de survivre, mais à prospérer », a déclaré Diane von Furstenberg dans son discours d'ouverture, tout en se référant au « travail influent du CFDA ». Mais le talent ne permet pas de tout conquérir, et peut-être maintenant encore moins qu’avant.

Alors que Jason Wu se prépare à faire défiler sa collection Resort en même temps que celle du Printemps, alors que les créateurs émergents hésitent entre le modèle See-now-buy-now ou le modèle traditionnel, alors que Demna Gvasalia, qui a reçu le prix International Designer of the Year, rejette le concept de défilé dans son ensemble (ce qui va encore mettre l’industrie dans la confusion), je ne peux m'empêcher de me demander si le CFDA pourrait être plus «influent» afin d’assurer le succès continu de ses lauréats.

En lien avec la société ?

En termes de justice sociale, la cérémonie reflète certainement les problèmes importants de notre époque. La soirée a commencé avec un prix décerné à un immigré : Raf Simons a remporté avec justesse le prix du Menswear Designer of the Year, pour son travail chez Calvin Klein. Il a alors exprimé son bonheur d'être présent, toujours « inspiré par l'Amérique et son peuple ». Le prix suivant du The Founders a été attribué à Pat McGrath : « La mode est une industrie d'initiés qui sont pourtant marginaux », mots poignant alors que le gouvernement américain continue de promouvoir les exclusions.

Alors que l'industrie de la mode de 350 milliards de dollars crée des opportunités et des emplois, et que le CFDA en tant qu'organisation fait beaucoup pour la cause des malades du VIH, du cancer du sein et du Planned Parenthood (Planning familial), l’événement semble avoir des œillères. On pourrait penser que cela est inévitable dans une telle soirée exclusive et dans une industrie aussi élitiste. Mais quand Demna Gvasalia mentionne « l'importance du facteur humain » dans la mode, et quand Raf Simons, qui reçoit son deuxième prix de la soirée, celui du Womenswear Designer of the Year, s’adresse aux 350 étudiants invités pour les exhortant à imaginer un monde idéal : « c'est une tâche très importante dans notre existence », nous devrions nous en rappeler.

Méfiez-vous de l'angle mort

Alors que l'organisation peut déplacer des montagnes pour faire avancer la société, sa mission de recherche et de récompense des talents, et surtout les jeunes talents émergents, ne doit pas être écrasée par l’importance de l'organisation.

Les discours enthousiastes de Gloria Steinem, Janelle Monáe et Cecile Richards, rappelant les défis auxquels nous sommes confrontés dans l’Amérique de Donald Trump, en tant que minorités, femmes, LGBTQ, immigrants ou réfugiés, sont puissants. Mais lorsque Gloria Steinem parle de l'importance des « racines » dans la société en mutation, je ne peux m'empêcher de me demander si le retour aux origines ne serait pas aussi un élément que nous devrions mettre en avant, lors les futurs prix CFDA. La mise en place d'un système avec moins de récompenses figées, à des créateurs considérés trop gros pour échouer, en faveur d'une plus grande attention aux marques qui souffrent de ce climat sensible. Je cite pour cela Gloria Steinem : « abandonner les anciennes hiérarchies ».

Par la contributrice Jackie Mallon, enseignante dans plusieurs programmes de mode à New York et l'auteure de Silk for the Feed Dogs, un roman dans l'industrie internationale de la mode. Traduit par Aurore Hennion

Photos : Theo Wargo / Getty Images Amérique du Nord / AFP

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