Les seniors, nouvelles stars de la mode ?

Joan Didion, 80 ans, égérie de la dernière campagne Celine, Joni Mitchell, 71 ans, posant chez Saint Laurent ou encore Iris Apfel, 91 ans, célébrée par le designer de bijoux Alexis Bittar. La mode met les femmes seniors à l’honneur. Buzz ou vraie tendance ?

« On pourrait croire à du parisianisme mais les dernières campagnes de mode qui affichent des seniors ont une portée mondiale », analyse, Brice Compagnon, à la tête de Casting Office, créé en 2004, un bureau spécialisé dans le casting de rue. Celui qui a fait du casting sauvage sa carte de visite, il a débuté avec la campagne de Benetton en 1993, n’a de cesse de valoriser la différence. « J’ai toujours aimé les vieux, les rides, c’est très photogénique », confie t-il. Pourtant, alors qu’il y a une dizaine d’années, on ne se bousculait pas pour ce genre de visage, aujourd’hui, on le contacte de plus en plus. « En pub, le vieillissement de la population se ressent vraiment. Si aux Etats-Unis, les seniors sont depuis longtemps bien représentés, en France, c’est assez nouveau », poursuit Brice Compagnon. Mais ce qui est nouveau, c’est le fait que l’univers de la mode, voire du luxe, s’y met aussi.

Old is gold

Cette saison, les grands noms du luxe ont fait fort. Chez Celine, c’est la romancière et essayiste Joan Didion, 80 ans, qui est l’égérie de la campagne P/E 2015. Dans la foulée, Saint Laurent fait poser Joni Mitchell, la musicienne et peintre canadienne âgée de 71 ans. Deux campagnes en noir et blanc pour une allure glamour. « En mode, plus rien ne me surprend car il y a ce désir de se démarquer, note Brice Compagnon. Il faut sans cesse se renouveler. Mais ce qui est intéressant ici, c’est la relation personnelle qu’il y a entre le modèle et la marque ». A Celine et Phoebe Philo, l’intellectualisme de Joan Didion, qui colle parfaitement au côté classique et bourgeois de la griffe ; à Saint Laurent et Hedi Slimane le côté rock de la musicienne mais aussi artiste Joni Mitchell. On sent que le modèle a directement une influence sur la marque, qu’il colle à l’esprit de la maison. Créer du buzz oui mais de façon réfléchie donc, voilà ce qui prime.

Et c’est également ce qui se passe chez Alexis Bittar dont les collections de bijoux ont pour muse cette saison l’icône mode du troisième âge : Iris Apfel. A 91 ans, cette passionnée de bijoux semblait être la personne idéale pour incarner l’une des deux égéries de la saison. Celle qui a travaillé dans les textiles anciens, a vite entamé une seconde vie une fois à la retraite (en 1992) en s’imposant, malgré son âge, comme une icône. Ainsi, en 2005, le Metropolitan Museum of Art consacre une rétrospective à son exubérante garde-robe. En 2007, Bruce Weber la photographie pour Vogue Italie et en 2011, elle lance même sa ligne de bijoux sur le Net. Bref, elle fait partie de ces personnes d’un certain âge qui assument leur date de naissance et en joue.

« Il y a aujourd’hui chez les seniors une modernité qui intéresse de plus en plus la mode, souligne Bruce Compagnon. Il est même plus facile de les approcher et de les faire poser. Ils sont plus décomplexés et plus faciles d’accès que des années en arrière ».

Le senior : un vrai marché

Pour preuve, à Paris, une agence s’est spécialisée dans les mannequins baby-boomers et les seniors. Masters, fondée en 2005, répond à deux constats : la demande croissante des annonceurs et des publicitaires pour les plus de 50 ans et ensuite l’évolution de la perception de l’âge. « Aujourd'hui, à 50 ans, on n'est plus un "vieux", explique l’agence. On peut encore séduire, aimer, faire du sport, voyager se cultiver et même entreprendre. La société a définitivement cessé de considérer le baby-boomer ou le senior comme limité dans ses activités ». De là à faire le mannequin, il n’y a qu’un pas que les créateurs de mode les aident à sauter ! La preuve sur les podiums avec Yohji Yamamoto qui aime faire défiler des seniors depuis longtemps ou plus récemment Damir Doma qui a choisi pour son dernier show deux seniors aux côtés des tops ultra jeunes.

Question rémunération, on apprend que tout dépend des marques et des droits. Donc plus la maison est prestigieuse mieux ça paye. Sans se leurrer bien sûr : un top (c’est-à-dire jeune et bankable) reste un top, les prix pratiqués ne sont pas les mêmes. Mais Brice compagnon de compléter : « C’est aussi une chance pour certaines femmes de commencer une seconde carrière à 50 ans passés ».

Mais la vraie manne se situe surtout du côté des cosmétiques. Là, les marques ont bien compris l’intérêt de faire poser de vraies femmes qui affichent leurs rides et leurs années. Place ainsi, aux actrices Helen Mirren (69 ans) chez L’Oréal, Charlotte Rampling (68 ans) chez Nars ou encore Tanya Drouginska (65 ans) pour Shu Uemura.

Plus qu’un buzz donc, les seniors sont surtout une vraie tendance de fond qui devrait même prendre de l’ampleur avec le temps. Pouvoir d’achat oblige…

Photos: Campagne Celine P/E 2015; Campagne Saint Laurent P/E 2015; Campagne Alexis Bittar P/E 2015