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"Personne ne nous connaît" : les métiers d'art au défi de la transmission et du recrutement

Les métiers d'art en France rencontrent des défis majeurs pour le recrutement et la transmission des savoir-faire, avec un manque de visibilité et de formations adaptées.
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Artisanat. Credits: ALAN DE LA CRUZ, Unsplash.
By AFP

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"C'est très dur de renouveler les équipes" : comme beaucoup d'artisans, Béatrice Pommeret peine à embaucher dans sa société de restauration et réparation de tapis et tapisseries, un savoir-faire inscrit parmi les quelque 300 métiers d'art en France.

"C'est une profession que personne ne connaît", regrette cette passionnée de couture qui a racheté l'entreprise de sept salariés Bobin Tradition en 2021, située en région parisienne.

Elle n'a depuis embauché personne de manière pérenne "alors qu'il y a plus de demande (de la part des clients, NDLR) que d'offre", explique la cheffe d'entreprise lors d'une visite organisée la semaine dernière par l'Association des journalistes des petites et moyennes entreprises (AJPME).

Nombre des 234.000 entreprises qui ont recours aux métiers d'art font face à des difficultés pour renouveler leur personnel et transmettre leur savoir-faire.

La loi française reconnaît 281 métiers d'arts touchant à la fabrication, la production ou la restauration du patrimoine. Parmi eux : ébéniste, doreur, maroquinier, mais aussi des métiers moins connus comme éventailliste ou glypticien, soit un sculpteur de pierres précieuses.

Au total, les métiers d'art et du savoir-faire d'exception représentent 500.000 actifs, dont 238.000 salariés, selon une étude publiée en 2024 par l'Institut pour les savoir-faire français (ISSF). Et moins de 20% des employeurs de plus de 55 ans ont engagé une démarche de transmission.

Douée et passionnée

Dans le hangar de la zone industrielle de Bonneuil-sur-Marne, les murs nus de l'atelier de Bobin Tradition contrastent avec les couleurs rouge, ocre et bleu des tapisseries à demi-enroulées autour de longs cylindres en bois posés sur des tréteaux.

De ses doigts habiles, Shana restaure une tapisserie en laine de la fin du 16e siècle. La stagiaire de 22 ans, venue de L'Ecole de la 2e chance, est "tombée amoureuse de ce métier" découvert il y a cinq semaines seulement. Seulement, elle ne sera pas embauchée à l'issue de son stage. "J'aimerais la prendre, elle est douée et passionnée. [...] Mais il faut plusieurs années pour se former", se résigne Mme Pommeret qui ne peut se permettre d'embaucher des personnes encore inexpérimentées.

"Les entreprises des métiers d'art ont ceci en commun: un modèle économique basé sur le savoir-faire des salariés, mais qui est aussi contraint par le temps long de fabrication", analyse Fanny Danthez, responsable du pôle ressources et intelligence économique de l'ISSF. "On dit qu'on met une bonne dizaine d'années à maîtriser son savoir-faire" ajoute-t-elle.

Métiers orphelins

Dans le 11e arrondissement de Paris, le centre de formation d'apprentis La Bonne Graine forme quelque 380 élèves, parfois en reconversion, aux métiers de l'ameublement.

Cette école, aux ateliers éclairés par de longues verrières en guise de plafond, est la fierté de son directeur Jérôme Theveny: "ici, on ne refuse personne, quitte à ouvrir une classe juste pour un élève". Mais pour l'intégrer, il faut tout de même avoir signé un contrat d'apprentissage.

Si la demande d'embauche chez les professionnels des métiers d'art est forte - l'ISSF estimait entre 50.000 et 55.000 intentions de recrutement en 2024 -, les jeunes ont parfois beaucoup de mal à trouver des alternances. "Il y a un paradoxe car les élèves et les entreprises ne sont pas en relation, ou mal renseignés" analyse M. Theveny.

Sur les 281 métiers d'art, "plus de 100 spécialités sont aujourd'hui orphelines de formation et voient leur transmission compromise", rapporte le site des Manufactures nationales, un établissement public rattaché au ministère de la Culture. Le CFA des Manufactures nationales a annoncé sur son site ouvrir en septembre 2026 des parcours de formation pour plusieurs de ces savoir-faire en danger.

"La France fait vraiment beaucoup pour les métiers orphelins", explique à l'AFP Bénédicte Epinay, déléguée générale du Comité Colbert, l'association représentant le luxe en France. Selon elle, "la première chose à faire est de revaloriser ces métiers, par l'image déjà, mais aussi en les faisant connaître".

Le Comité Colbert a lancé en 2023 le hashtag #savoirfaire en collaboration avec le réseau social TikTok. Pour Mme Epinay, "les métiers d'art, les métiers manuels, ne sont pas pour les mauvais élèves, ils sont pour celles et ceux qui ont une passion. Et c'est à nous de la faire naître."

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