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Rencontre avec Christian Wijnants, le nouveau directeur artistique de Maison Ullens

By Julia Garel

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Mode|Interview
A g. Portrait de Christian Wijnants. Crédit : ©Zeb Daemen. / A dr. : look issu de la collection AH23 de Maison Ullens.

Maison Ullens a annoncé lundi la nomination de son nouveau directeur artistique : Christian Wijnants. Rapidement, le rendez-vous était pris pour un entretien en visio avec le créateur belge. Le nouveau DA nous a raconté sa collaboration avec Maison Ullens, a partagé sa vision de la mode belge, du luxe et du travail collaboratif. Rencontre.

FashionUnited : Vous venez d’être nommé directeur artistique de Maison Ullens et travaillerez aux côtés de Myriam Ullens, la fondatrice. Quel sera le processus créatif ?

Christian Wijnants : En fait, on travaille ensemble depuis une saison. J'avais déjà commencé la saison de l’été il y a huit mois, puis j’avais fait du consulting pour l’hiver et là j’ai complètement aidé sur la collection. Ça se passe de manière très fluide. Myriam et moi parlons au début des envies, des thèmes que l'on aimerait bien porter, je dessine les collections et après c’est avec l’équipe créative, de production, de Maison Ullens. Je vais au studio une fois par semaine, plus ou moins, et Myriam vient de temps en temps au bureau pour regarder avec moi l’évolution de la collection. C’est vraiment une collaboration dans laquelle Myriam me donne un peu ses envies et me parle beaucoup de ses voyages. Au fur et à mesure que la collection évolue, on change un peu les choses en fonction de l’air du temps, de ses expériences à elle. Mais en principe je travaille sur un moodboard au début de la saison, je dessine les collections, choisis les matières, les couleurs, etc. et je lui présente. Elle me guide en me montrant les boutiques, la clientèle, mais après c’est moi qui lui apporte des nouveautés, des idées et de la création.

Les collaborations à la tête de grandes maisons de couture sont de plus en plus fréquentes. Quel regard portez-vous là-dessus ?

Ça amplifie certainement une marque. Même au sein de ma marque [ndlr.: Christian Wijnants a lancé sa griffe éponyme en 2003], collaborer avec des gens me tient à cœur. C'est-à-dire que sur la collection, sur les chaussures, sur les accessoires, j’essaie de m’entourer de personnes avec qui je communique. Je pense que chaque personne créative aime avoir un second regard, un troisième regard, avoir une autre perspective, etc. Je pense que c’est toujours un enrichissement et je ne comprends pas pourquoi il n’y a pas déjà eu ça il y a 10 ou 15 ans. C’est enrichissant pour les différentes parties. Ça peut apporter plein de nouveautés.

Pourquoi avoir dit oui à Maison Ullens ?

Je connaissais déjà bien Maison Ullens parce qu’en Belgique c’était assez connu. Et puis j’aime beaucoup la maille, je la travaille énormément sur mes collections. Maison Ullens est une belle maison parce qu’elle fait de très belles mailles, la qualité est extrêmement haute, il y a beaucoup de belles usines avec lesquelles on travaille. On ne peut pas dire non à une collaboration avec une belle maison comme ça, qui travaille avec des usines qui sont toutes en Europe, quasiment toutes en Italie, avec des machines et des techniques vraiment au top. C’est une très chouette rencontre. Je suis vraiment content de pouvoir le faire.

Dans le communiqué annonçant votre nomination, Maison Ullens indique sa volonté d’« affirmer encore le caractère belge de la maison ». Qu’est-ce que la création mode en Belgique aujourd’hui ?

C’est assez difficile à décrire parce que je suis Belge moi-même et c’est parfois plus facile de voir les similitudes de l'extérieur. Je pense que c’est assez divers. Il y a des créateurs belges qui ont des styles très différents. Je ne pense pas que l’on parle forcément d’un style mais plutôt d’une manière de travailler, un sens de l’humour, une liberté dans le sens où la mode belge n’est pas très ancienne. Ça n’est pas comme à Paris ou à Milan où il y a une hiérarchie dans la mode, une histoire parfois lourde dans certaines maisons. En Belgique, les gens font de la mode depuis pas très longtemps, il y a donc une espèce de liberté de travailler. Quand j’ai travaillé dans une maison parisienne, c’était un peu à l’ancienne, il y avait beaucoup d’histoire, beaucoup de passé. Cela peut parfois un peu peser et je trouve qu’en Belgique, justement, les créateurs sont peut-être plus libres par rapport à l’historique, etc.

Je trouve qu’il y a aussi beaucoup de créateurs belges qui ont un style authentique, chacun fait un peu ce qu’il veut et ne regarde pas à gauche, à droite, ne cherche pas forcément à suivre des diktats ou des trends, etc. En règle générale, peut-être aussi ce côté humble. Nous ne sommes pas forcément des créateurs qui allons chercher les célébrités, les red carpets, etc. Mais on fait vraiment des vêtements pour qu’ils soient portés dans la vie de tous les jours. Tous les créateurs belges que j’admire sont des créateurs qui habillent les vraies femmes, ça n’est pas juste une silhouette que l’on retient à un défilé et que l’on ne voit plus jamais. Il y a ce côté très réaliste, pragmatique.

«J’aime bien penser à la Maison Ullens comme une maison qui investit dans le futur.»

Christian Wijnants

Cela rejoint une certaine définition du luxe actuel. Justement, pour vous, qu’est-ce qu’une pièce de luxe en 2023 ?

Pour moi, le luxe est associé au confort, au fait de se faire plaisir. C’est un mélange. Le luxe chez Maison Ullens c’est d’avoir des produits magnifiques. La qualité est extrêmement haute. Les produits sont tellement beaux, on peut même les porter vers l’intérieur ou l’extérieur, il y a beaucoup de pièces réversibles. C’est ça le luxe, c’est d’avoir des qualités magnifiques, qui viennent d’Italie, qui sont faites dans de beaux ateliers, où on fait les choses à la main, à l’ancienne. Et l’idée d’avoir des pièces intemporelles, je trouve que c’est ça qui définit le luxe, des pièces qui sont un investissement, dont on a envie pendant 20, 30 ans, voire au-delà, que l’on a envie d’offrir à la prochaine génération, qui ne sont pas démodées après une saison. J’aime bien penser à la Maison Ullens comme une maison qui investit dans le futur.

Pourriez-vous décrire une pièce que vous aimez particulièrement ou qui pourrait devenir un best-seller chez Maison Ullens ?

Il a déjà des best-sellers qui sont reconduits de saison en saison. Moi, cette saison, j’ai essayé d’en apporter plusieurs. On a aussi travaillé sur des pièces qui s'appellent « Travel Kit » et qui sont réversibles. Ce sont des jauges très fines, une jauge 18. Le temps de tricotage est très long. Il y a une couleur au-dessus et l’autre en dessous, donc on peut porter les pièces en les retournant. Il y a notamment un grand cardigan que l’on a fait en bicolore, très ample, avec des manches droites, sans boutons, qui est relativement fin, fluide et féminin, quelque chose de très pur, très facile. C’est une pièce dans laquelle j’aimerais bien passer ma vie entière. Un cardigan dans lequel on peut se blottir. C’est cette idée de confort, de cocoon, que j’aime beaucoup… quand on prend l’avion ou quand on est sur son sofa le dimanche après-midi en regardant un film, ou dans la rue. Il y a aussi cette élégance quand on marche, ce côté un peu dramatique quand le cardigan s’ouvre parce qu’il est très long. J’adore ce genre de pièce très simple, presque évidente, dont on se dit « il fallait l’avoir ! ». Ce sont des pièces que l’on va reconduire dans le futur.

Concernant la cadence des collections, quelle est-elle?

C’est deux collections, ou thématiques, par an. Mais c’est vrai qu’on va travailler un peu avec des capsules, c'est-à-dire qu’il y aura une première livraison, une deuxième livraison… En fonction des demandes, de ce qui va être livré dans les boutiques. Mais on ne va pas rentrer sur le système des pré-collections. Ça sera printemps-été, automne-hiver.

Quel est votre rapport aux réseaux sociaux ?

Les réseaux sociaux, c'est un peu un love and hate que j’ai depuis le début. J’ai peut-être pris un peu trop de temps à aimer les réseaux sociaux pour les points positifs. Au-début, j'étais très critique et maintenant je trouve qu’il y a quand même quelque chose de formidable, c’est de se dire que tout le monde peut parler de ce qu’il a envie, montrer ses idées, ce côté créatif. Quelqu’un qui a un job peut-être un peu ennuyant peut devenir sur Instagram quelqu’un de super influençant, avoir des idées créatives dans plein de secteurs différents. J’ai mis un peu de temps mais je trouve que c’est quelque chose d’incroyable de pouvoir se dire qu’il n’y a pas forcément que les gens de la mode qui parlent de la mode et, qu’en fin de compte, il y a 10, 15 ou 20 ans on ne voyait qu’un aperçu assez ciblé de la mode, seulement les professionnels, des journalistes ou des stylistes. Alors qu’aujourd’hui on peut apporter un autre regard. Je trouve que c’est enrichissant.

Quel(s) compte(s) suivez-vous sur Instagram ?

Je ne suis pas beaucoup d’influenceurs. Mais je suis des magazines, GentleWoman par exemple, WWD ou FashionUnited, etc. C’est un mélange entre des choses informatives et des sujets de fonds. Et évidemment il y a certains influenceurs que je suis parce que leur style m’inspire. Je ne suis pas sur les réseaux sociaux toute la journée mais de temps en temps. Il y a une liberté et une légèreté et cette espèce de démocratisation de l'information qui, au début, me dérangeait parce que je trouvais que tout était divulgué, tout allait très vite. Moi, j'ai toujours adoré Martin Margiela parce qu’il ne se montrait pas, parce que le label ne montrait pas son nom, il y avait une discrétion. J’ai toujours apprécié ça dans la mode, quand il y a du mystère et qu’il faut aller chercher.

Mais à présent certains créateurs et marques imaginent même des pièces en fonction de ce qu’elles rendront visuellement sur Instagram…

Ce qui est incroyable c’est qu’il y a 15 ans je n’avais aucune idée de la vie de mes vêtements après la création. Je faisais un défilé, je vendais la collection, les collections étaient envoyées aux quatre coins du monde. Et puis je n’avais aucune idée de ce qui se passait ensuite. Maintenant, je vois la cliente qui fait des posts en Nouvelle-Zélande, au Japon, à Hawaï, à New York, ou bien la boutique qui montre ses vitrines. Je vois l’influenceur qui utilise mes vêtements sur un festival. Je vois en fait la vie du vêtement que je ne voyais pas du tout avant. C’est quand même incroyable de savoir ce qu’il se passe après, de savoir que la robe a par exemple été portée à un barbecue au Texas de cette manière-là. Avant, on voyait de temps en temps une actrice porter une robe sur un festival et c’est tout. Maintenant, voir mes collections qui prennent vie, qui évoluent, c’est quelque chose de fascinant qui m’apporte beaucoup. Je ne passe pas ma vie à regarder ça mais c’est quand même sympa de voir comment les gens les interprètent. Parce que moi je fais des propositions, un certain look, mais après les clientes font ce qu’elles veulent. Elles définissent elles-mêmes le style qu’elles veulent donner au vêtement. C’est très excitant en tant que créateur de voir les vêtements que l’on a créés dans un contexte complètement différent.

Votre marque éponyme fête ses 20 ans. Quels sont les projets d’avenir ?

On vient d’ouvrir une seconde boutique à Berlin. C’est vrai que l’idée d’ouvrir des boutiques est quelque chose qui me tient à cœur parce que j'aime l’expérience de vente, l’expérience d’aller dans une boutique, de faire du shopping, de voir les produits. Même si le online cartonne aussi, j'aimerais ouvrir une troisième, une quatrième, une cinquième boutique sur les deux ou trois prochaines années. Et peut-être aussi développer, à nouveau, l’homme dans le futur. On l’a un peu mis de côté pendant le covid.

Une ouverture de boutique à Paris peut-être ?

On n’est pas forcément pressé. L’ouverture d’une boutique c’est vraiment une histoire d’opportunités, il faut avoir un coup de cœur sur un endroit. Mais on a très envie d’ouvrir à Paris dans les deux ou trois prochaines années.

Pour terminer, qu'est ce qui vous inspire particulièrement en ce moment ?

Ce qui m’a beaucoup inspiré récemment, c’est une exposition sur l’artiste Urs Fischer à Mexico City.

Christian Wijnants
Maison Ullens