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Rencontre avec la chargée des archives d'une grande maison de couture

By Aéris Fontaine

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Mode |Interview

Archives Credits: Ula Kuźma / Unsplash

Département souvent mal connu et délaissé par les étudiants au profit de secteurs plus créatifs, les archives de mode s’animent néanmoins grâce à des professionnels passionnés. En qualité de documentaliste ou d’archiviste, ils participent au rayonnement des maisons de luxe et collaborent avec les institutions culturelles et services de création.

Pour mieux comprendre ce métier de l’ombre, FashionUnited s’est entretenu avec une experte de la profession. À visage couvert ⁎, M., chargée des archives d’une grande maison de couture parisienne, nous dévoile son quotidien.

Quelles sont vos principales missions en tant que chargée des archives ?

Nous avons deux missions principales au sein des archives. La première est d’assurer l’inventaire des collections. Nous avons gardé toutes les pièces depuis les débuts de la maison jusqu’à nos jours. Nous n’avons pas de politique d’acquisition, mais nous avons plus d’une dizaine de milliers d'œuvres qu’il faut répertorier. Pour ce faire, il faut créer une petite étiquette de récolement avec les informations clés et le numéro d’inventaire, qui est liée à une base de données digitale sur laquelle nous rentrons toutes les informations majeures afin de retrouver facilement les pièces quand nous en avons besoin. La base de données fait également office d’état des lieux, nous permettant de savoir ce que nous avons chez nous. Elle sera peut-être également utile dans l’optique d’une politique d’acquisition puisque nous avons quelques manques dans les collections.

Malheureusement par souci d’espace, comme c’est souvent le cas chez beaucoup de maisons de mode, nous ne pouvons pas tout archiver. Nous allons principalement mettre en avant la haute couture car ce sont des pièces uniques, des œuvres d’art qui reflètent la maison, mais nous archivons également les autres lignes de prêt à porter.

Nous faisons également un peu de conditionnement. Nous n’avons pas une formation de conservatrices du patrimoine. C’est pourquoi, nous faisons appel à des prestataires externes qui sont spécialisés dans la préservation préventive, et éventuellement dans la restauration si besoin. Nous avons toutefois des bases de conditionnement, c’est-à-dire que nous allons acheter du matériel adapté, du matériel de musée comme du papier de soie, des boîtes en carton neutre qui ne se dégradent pas dans le temps et permettent d’assurer la bonne conservation des pièces, des housses pour couvrir les vêtements, des cintres rembourrés.

Nous avons donc ces bases qui nous permettent d’assurer la conservation du vêtement puisqu’il faut s’assurer que l’inventaire ne bouge pas et ne se détériore pas dans le temps. Si nous avons photographié une pièce à un instant T, l’idéal s’est tout de même qu’elle ait le moins possible évolué lorsque nous la ressortons des archives quelques mois ou années plus tard.

Le second volet concerne la gestion des prêts, aussi utiles à l’intérieur de la maison qu’à l’extérieur. Les prêts internes correspondent principalement aux prêts pour les studios. Les créateurs vont venir vers nous dès qu’ils préparent une nouvelle collection et qu’ils sont en recherche d’inspirations. Certains designers peuvent avoir des requêtes très spécifiques et demandent une pièce bien précise. Mais cela peut aussi prendre la forme de recherches par thématique.

Nous avons également des prêts avec la presse, qui s’appliquent aux pièces plus récentes puisque nous n’envoyons pas les pièces anciennes, historiques en shooting par peur de les endommager.

Nous participons aussi à des expositions, bien que nous n'en préparions pas nous-mêmes en ce moment. Nous avons assez peu de rétrospectives, nous prêtons généralement entre un et trois looks maximum à des musées et des institutions culturelles dans le cadre d’expositions. En moyenne, nous participons à cinq/six expositions par an à travers le monde. De la même manière que les prêts internes, cela peut être une demande très spécifique du commissaire d’exposition, soit une idée plus vague autour de la thématique de l’exposition et nous sélectionnons, dans ce cas, certaines pièces que nous mettons en avant. Il s’agit souvent d’expositions de grande envergure, c’est pourquoi les pièces exposées sont souvent de la haute couture ou qui possèdent un visuel assez fort.

Le troisième volet, encore en cours de développement à notre échelle, est une stratégie de communication, que l’on touche un petit peu lorsque nous travaillons avec la presse et les institutions culturelles. Nous avons toutefois la volonté de faire vivre les archives aussi bien en interne qu’en externe. Nos archives sont fermées au public et actuellement cela n’est pas dans notre volonté de les ouvrir. Nous souhaitons en revanche développer un storytelling en interne et recevoir les arrivants de la maison afin de présenter les archives à toutes les personnes intéressées. En parallèle, nous souhaiterions participer à plus d’expositions et à des projets d’édition avec des chercheurs d’histoire de la mode.

À quoi ressemble votre journée-type ?

En arrivant le matin, on commence par réaliser une veille assez rapide de l’actualité, du patrimoine, de la mode et de la culture. Ensuite viennent les missions. Il faut savoir que les missions se font sur le long terme. La journée peut être entrecoupée par des demandes urgentes de prêts internes de la part des studios ou du département presse, mais elles sont assez rares.

On va faire l’inventaire, c’est assez simple au sein de la maison car tout est rangé et trié par chronologie et dans la chronologie, par collection. On va donc choisir une catégorie et faire l’inventaire, c’est-à-dire prendre la pièce, essayer de la définir, la photographier, rentrer toutes les informations dans la base de données digitale et passer à la suivante. On a également un studio photo, on va donc alterner les rôles : lorsqu’une personne fait de l’inventaire, une autre prend en photo les pièces.

Puis, on va également conditionner les pièces à l’aide de notre stock de fournitures. Souvent, on reconditionne des pièces qui étaient stockées d’une certaine manière et que l’on va ranger autrement afin d’améliorer leur conservation. Mais, nous ne sommes jamais bien loin de nos mails et de nos téléphones en cas d'urgence, qui surviennent notamment en période de préparation de collection.

Qu’est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier ?

La possibilité d’avoir accès à un petit musée. J’ai la chance de travailler dans une maison de couture qui me permet de voir de près des pièces d’exception, ce qui est pour moi une véritable chance. C’est la partie que je préfère : être émerveillée quotidiennement et découvrir un artisanat, un savoir-faire et des pièces exceptionnelles. J’aime également l’idée de créer tout un narratif autour du patrimoine d’une maison. J’aime rencontrer et échanger avec d’autres personnes de la griffe, leur faire visiter les archives et leur présenter notre histoire. J’ai la possibilité, à travers mon métier, de participer à rendre vivantes les archives car on peut vite avoir des stocks un peu morts, alors que le patrimoine et les archives peuvent parler.

Quelles sont les études idéales pour exercer ce poste ?

Au niveau des études, c’est assez compliqué car en France, nous n’avons pas encore trop développé les Cultural Studies ou du moins les études de mode, encore moins celles liées au patrimoine. Il existe tout de même de très bonnes formations à La Parsons, l’IFM et la Sorbonne, l’École du Louvre. Il faut avoir fait des études en rapport avec le milieu culturel, et idéalement le milieu culturel de la mode mais il n’y a pas de formations uniques exigées, du moins pas chez nous.

J’ai fait passer des entretiens pour des stages et j’avais des profils très variés avec des personnes qui venaient d’un milieu créatif, d’autres d’une formation plus littéraire. Ce qui ressort néanmoins chez tous les candidats qu’on a sélectionnés et interrogés, c’est une grande passion pour l’histoire de la mode et les archives.

Et quelles sont les qualités requises ?

Je pense qu’il faut vraiment être curieux, chercher à en savoir plus mais aussi avoir une bonne connaissance de la maison au sein de laquelle on candidate et de l’histoire de la mode de manière générale. Se rendre régulièrement à des expositions de mode, suivre un peu l’actualité.

Au sein de la maison, nous ne faisons pas beaucoup de rédaction. C’est pourquoi, il n’est pas nécessaire d’avoir des qualités rédactionnelles. En revanche, on est très souvent dans nos réserves et dans nos archives. Nous allons attendre des personnes qu’elles soient minutieuses, délicates et patientes car nous ne pouvons pas nous permettre de manipuler les pièces dans le rush et de les abîmer.

C’est un travail de longue haleine, nous avons des missions qui prennent beaucoup de temps. Par exemple, photographier des collections toutes entières, cela prend du temps et il faut prendre le temps de bien le faire. C’est également un métier qui nécessite un certain sens de l’organisation car il s’agit finalement d’un grand musée que nous devons gérer, ce qui exige un travail très méticuleux. Il faut que les pièces soient correctement rangées, faciles à retrouver et bien conservées.

Lors des entretiens, je recherchais des profils calmes et patients car contrairement à un grand nombre de métiers dans la mode, où l’on travaille dans l’excitation et la vitesse, nous sommes un peu éloignés de cette effervescence.

Quels conseils donneriez-vous à une personne souhaitant se lancer dans ce métier ?

Je dirais qu’il faut aller à la rencontre des professionnels. Il s’agit d’un petit milieu et par conséquent les personnes sont très bienveillantes et extrêmement passionnées par leur métier. Elles se font un plaisir de répondre aux questions et d’en dévoiler un peu plus sur leurs missions.

À Paris, on a cette chance d’avoir facilement accès à des archives avec des lieux comme le Musée Yves Saint Laurent, la Galerie Dior et des institutions accessibles au public telles que le Palais Galliera, le Musée des Arts Décoratifs. Il faut donc être curieux et ne pas hésiter à aller à leur rencontre.

⁎ L'identité de notre interlocuteur a été vérifiée.

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