Comment Carhartt est parvenue à conserver son style emblématique ?
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Depuis la fin des années 1980, Carhartt est devenue une marque culte portée aussi bien par les DJ, designers, ouvriers et influenceurs. Elle s’est imposée dans le vestiaire des rappeurs tels que Tupac et ASAP Rocky et a été invitée à collaborer avec la maison de luxe italienne Marni, la marque japonaise Sacai, ainsi qu'avec des étudiants du College for Creative Studies à Detroit. Mais comment Carhartt parvient-elle à passer si naturellement du domaine de l'élite au grand public et de quelles manières continue-t-elle à posséder ce style cool et décontracté que tout le monde souhaite adopter ?
« Je pense réellement que c'est parce que nous n'essayons pas », déclare Gretchen Valade, directrice de la durabilité chez Carhartt, lors d'un entretien avec FashionUnited. « Nous sommes vraiment concentrés sur le travailleur. Et même lorsque nous sommes à la mode à nouveau, nous nous demandons de quoi le plombier ou le menuisier a besoin. Nous reconnaissons et apprécions la notoriété, mais en fin de compte, nous fabriquons avant tout des vêtements fonctionnels pour les travailleurs, et c'est là que se situe notre état d'esprit. Nous avons des magasins de détail, nous sommes sur Amazon, mais nous sommes également chez Tractor Supply Company. »
C'est précisément la qualité intemporelle de Carhartt, qui transcende les générations et les tendances, qui rend le logo carré avec le C orange immédiatement reconnaissable. Pour l'automne, l’entreprise spécialisée dans le workwear veille à actualiser le style de sa collection Work In Progress en associant des articles tirés de ses propres archives à l'art bohème du collectif d’artistes Bloomsbury Group. Parmi les pantalons Double Knee, le manteau Michigan Chore Coat, les salopettes avec des détails tels que des poches cargos à triple couture, des boucles pour tenir les marteaux et de fines poches pour glisser les crayons d'ouvrier, on retrouve des éléments évoquant le style dandy, notamment au niveau des motifs paisley et de la doublure.
Valade se souvient que l'un de ses premiers projets en tant que directrice de la durabilité au début de la pandémie était de lancer Carhartt Reworked. Le programme de revente propose de reprendre les articles Carhartt précédemment utilisés, qui seront nettoyés, réparés et remis sur le marché. La page Instagram du programme indique : « Lorsque vous fabriquez des vêtements de la bonne manière, en utilisant les matériaux de la plus haute qualité et en soignant chaque détail, vous créez des équipements qui durent dans le temps et n'encombrent pas les décharges. »
À 134 ans, Carhartt reste fidèle à ses racines
Hamilton Carhartt, originaire du Michigan, a commencé à fabriquer des salopettes en 1889 pour les travailleurs locaux des chemins de fer américains, mais la marque a rapidement été adoptée par les éleveurs, les agriculteurs et les ouvriers du bâtiment. Dans les années 1980, les artistes hip-hop portaient les vêtements en toile kaki et moutarde signés Carhartt dans leurs clips musicaux, participant à positionner la marque comme l’un des piliers du streetwear. Pendant les périodes de guerre, l'entreprise produisait des combinaisons pour les soldats, des uniformes à destination des marines et des vêtements de travail pour les femmes qui entraient sur le marché du travail à l'arrière du front. Aujourd'hui, Carhartt demeure une entreprise familiale privée avec son siège social à Dearborn, dans le Michigan. Elle possède quatre usines aux États-Unis, dans le Kentucky et le Tennessee, et, selon le média New York Times, emploie certains des derniers ouvriers textiles syndiqués d'Amérique, tout en exploitant des installations au Mexique et en Chine qui suivent la certification Worldwide Responsible Accredited Production (WRAP). La marque utilise des fournisseurs nationaux pour son coton, ses boutons et ses cordons.
Si les données montrent que l’industrie est loin d’atteindre son objectif de réduction des émissions et que nombreuses sont les entreprises accusées de greenwashing, Valade ne se laisse pas décontenancer et poursuit ses projets visant à sensibiliser les équipes de la marque aux enjeux liés à la durabilité.
« Il peut être incroyablement difficile d'intégrer réellement la question de la durabilité au sein d’une entreprise », déclare-t-elle. Valade s'interroge notamment sur le département à qui revient les enjeux autour de la durabilité. Si elle réside dans les fibres, la responsabilité peut être transférée à l'équipe de développement, mais si elle réside dans la transparence, alors c'est entre les mains de l'équipe de communication. Chez Carhartt, Valade considère sa mission comme étant de s'assurer que la durabilité est présente à tous les niveaux. « Pour avoir le plus grand impact positif, nous définissons tout d’abord la durabilité pour Carhartt, car cela peut signifier tellement de choses différentes pour différentes personnes. Ensuite, nous avons un comité de direction composé de dirigeants de l'entreprise qui nous aident à atteindre nos objectifs. »
Elle souligne que bien que certaines marques n'aient peut-être pas eu un directeur de la durabilité dans le passé, elles ont probablement fait appel au directeur de la stratégie qui intégrait la durabilité dans son champ d'application. « Mais maintenant, il y a tellement de lois et de réglementations qui sortent », explique Valade, « que ne pas mettre l'accent sur ce domaine pourrait, en réalité, entraîner davantage de perturbations au sein de l'entreprise, car cela signifie que vous n’êtes pas suffisamment prévoyants pour anticiper ce qui se profile à l'horizon. »
Devenir directrice de la durabilité au sein de Carhartt est une grande chance, mais aussi le fruit d’un travail acharné. Lorsqu’elle était encore étudiante, Valade a effectué des stages dans différents services. Par la suite, elle a notamment travaillé pour l'entreprise mondiale de chaîne d'approvisionnement Li & Fung à Hong Kong et New Delhi. « En cours de route, mon attention s'est déplacée du produit vers les valeurs et j'ai commencé à me demander qui était Carhartt en dehors des vêtements que nous fabriquons. » L’un de ses premiers projets a été de créer un espace représentant Carhartt mais sans produit, en développant l'atelier Carhartt qui comprend une bibliothèque de prêt d'outils où les gens peuvent emprunter ce dont ils ont besoin pour rénover leurs maisons et jardins. « C'est ainsi que j'ai progressé pour finalement arriver où je suis à présent, axée sur l'impact environnemental, étroitement lié à l'impact social et à la chaîne d'approvisionnement. »
Malheureusement, pour de nombreux jeunes professionnels de la mode qui cherchent des moyens de faire la différence au sein d'entreprises établies, il peut être difficile de se faire entendre par les personnes en position de pouvoir. Valade estime que même s'ils ne font pas partie d'une équipe de durabilité, il existe toujours des moyens de contribuer. « Quand j'ai commencé, j'ai rencontré environ 30 personnes dans toute l'entreprise pour voir où nous en étions », explique-t-elle. « J'ai découvert que des personnes faisaient des choses pour réduire notre impact environnemental, mais ne l'appelaient pas durabilité. Donc, il est important de garder l'esprit ouvert, de partager ses idées, de comprendre comment tout peut être connecté afin d’avoir un impact positif plus important. »
Apporter des connaissances en matière de durabilité aux équipes de conception, d'approvisionnement en matériaux ou de communication est important, mais même simplement être capable de simplifier le sujet pour les pairs ou les générations plus âgées peut suffire à faire une différence, estime Valade. Les petites marques ou entreprises ouvrent la voie car elles peuvent rapidement ajuster et améliorer leurs systèmes, alors qu'il peut être plus difficile de faire bouger les choses dans les grandes entreprises. « Mais personne ne peut le faire seul, les marques doivent travailler ensemble », déclare Valade. « L'industrie a besoin d'un changement. Les efforts d’une seule marque engagée, comme Patagonia par exemple, que j'admire pour ce qu'ils font, ne vont pas sauver le monde. Il faut vraiment que tout le monde se mobilise et travaille ensemble. »
Cet article a initialement été publié sur FashionUnited.com. Il a été traduit et édité en français par Aéris Fontaine.