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Inde : l'impression à la planche, "le grand trésor" d'une créatrice textile

By AFP

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Xavier GALIANA / AFP

Amber (Inde) - Brigitte Singh étend sur son bureau un carré d'étoffe moghol du XVIIe siècle, orné d'un grand pavot rouge. Ce motif, qui ne cesse d'inspirer la créatrice de textiles imprimés à la planche, installée depuis quarante ans au Rajasthan, est un des fleurons de son atelier au savoir-faire traditionnel.

Cette Indienne d'origine française, naturalisée en 2002, puise son inspiration dans le riche patrimoine du pays, avec une prédilection pour le raffinement des motifs anciens moghols.

"J'ai été la première à offrir une renaissance à ce genre de dessins moghols", déclare à l'AFP la créatrice de 67 ans, décorée de la Légion d'honneur en 2015. "L'impression à la planche est une très ancienne tradition, impossible à dater, née quelque part entre l'Inde, la Chine et le Tibet", poursuit-elle. Jaipur, où elle a atterri en 1980 à l'âge de 25 ans, "en est le dernier bastion d'importance".

Étudiante aux Arts décoratifs de Paris, elle débarquait avec l'intention de se former à la peinture miniature. "Je rêvais d'en faire à Ispahan, mais les ayatollahs étaient arrivés en Iran, ou à Hérat, mais les Soviétiques étaient arrivés en Afghanistan", dit-elle, "je suis arrivée à Jaipur par défaut".

"Potion magique"

Quelques mois plus tard, elle est présentée à un aristocrate, également féru de miniature, apparenté au Maharajah du Rajasthan. Ils se marient en 1982. En quête de papier traditionnel pour sa peinture, elle découvre des ateliers d'impression à la planche. "Je suis tombée dans la potion magique, sans retour possible". "Je me suis essayée à la technique en imprimant des foulards, juste pour faire des cadeaux, en m'inspirant de petits motifs du XVIIIe siècle", raconte-t-elle

Deux ans plus tard, de passage à Londres, elle en offre à des amis, amateurs éclairés de textiles indiens. Ils la poussent à les montrer à Colefax and Fowler, célèbre maison de décoration anglaise. "Et avant d'avoir décidé quoi que ce soit, je suis rentrée en Inde avec une commande de tissus imprimés". Elle a travaillé pendant vingt ans avec "une famille d'imprimeurs" à Jaipur avant de faire bâtir, à une dizaine de kilomètres de là, à Amber, sa propre imprimerie traditionnelle. Son beau-père, grand collectionneur de miniatures du Rajasthan, lui avait offert l'étoffe au "grand pavot, probablement imprimée pour Shah Jahan", l'empereur moghol auquel l'Inde doit le Taj Mahal, dit-elle.

"Confort de l'âme"

"À l'époque, le pavot était cultivé au Rajasthan (...) les artisans et les artistes s'inspiraient de ce qu'ils voyaient autour d'eux" dit-elle, expliquant pourquoi le pavot était un ornement si répandu. La réédition de ce motif ancien, "repris tel quel", lui a valu un immense succès auprès des fins connaisseurs des arts textiles du monde entier et de sa clientèle indienne, anglaise et japonaise.

Sa dernière création imprimée de son "grand pavot" est un manteau de coton matelassé d'inspiration moghole, appelé "Atamsukh", signifiant "confort de l'âme", et destiné à un prince du Koweït. Un exemplaire datant de 2014 figure dans les collections du Victoria & Albert Museum à Londres. Le Metropolitan Art Museum de New York possède un caleçon signé Brigitte Singh.

"Je prends toutes les libertés du monde avec les motifs et les couleurs", admet-elle dans son atelier à dessin, "je ne suis pas historienne !" Elle travaille au pinceau pour donner des dessins très précis à son sculpteur Rajesh Kumar qui les grave sur les planches en bois servant à l'impression.

"Sophistication de la simplicité"

Il reproduit ses motifs, d'une exigeante finesse, à l'identique, pour chaque couleur. "Le motif des fleurs de pavot, par exemple, a cinq couleurs, j'ai donc dû graver cinq planches", explique-t-il dans l'atelier, "il m'a fallu vingt jours".

"Nous avons besoin d'un sculpteur remarquable, d'un œil très sérieux", souligne la créatrice, "la planche sculptée, c'est la clé ! Cet outil a la sophistication de la simplicité". Dans l'imprimerie, six ouvriers œuvrent sur de longues tables, recouvertes de 24 couches de tissu pour ne pas endommager les planches avec lesquelles ils tamponnent la toile de coton. Fermement mais avec délicatesse, ils n'impriment pas plus de 40 mètres de tissus par jour.

"Chaque couleur doit être superposée, l'une après l'autre, avec exactitude", déclare Matin Anwar Khan, chef de l'atelier et maître coloriste, "plusieurs jours d'essais sont nécessaires pour composer des couleurs justes et uniformes".

Une fois "les sauces" approuvées, les gestes des imprimeurs se livrent, d'une table à l'autre, à leur invariable chorégraphie. "Ils ont des mains intelligentes", observe Brigitte Singh. "L'important est de garder ce savoir-faire en vie. Plus précieux que le produit, le savoir-faire est le grand trésor". (AFP)

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