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Les métiers de la mode : Fériel Karoui, consultante tendances

By Julia Garel

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People|Exclusif
Crédit : Portrait Fériel Karoui - Unsplash

Avec son métier, Fériel Karoui aide à écrire les chapitres qui feront l’histoire de demain. Planneur stratégique en bureau de style, Trendsetter ou encore Consultant tendances, quel que soit le nom que l’on donne à sa profession, tous sous-entendent la richesse d’un travail de l’ombre, premier maillon de l’industrie de l’habillement. Fériel nous raconte en détail son métier : ses difficultés, ses enjeux et toute la satisfaction qu’elle en tire.

Chaque semaine, pour nourrir ou faire naître de nouvelles vocations, FashionUnited interroge un professionnel de la mode sur son travail. Aujourd’hui, les réponses par mail de Fériel Karoui, consultante tendances.

Quel a été votre parcours ? Autodidacte ou diplômée ?

Je suis diplômée de l’ISCOM Paris et de l’IFM, deux diplômes qui m’ont ouvert des portes grâce à des stages et à un solide programme, il n’y a pas vraiment de cursus ciblé pour devenir trend consultant ou planneur stratégique en bureau de style. Il faut, je pense, avant tout une grande curiosité pour les sciences humaines, sociologie, anthropologie, un goût pour l’esthétisme et une curiosité assez vaste pour être capable de faire des recoupements d’idées entre des secteurs très différents. On peut donc venir à ce métier aussi bien par une école d’art que par une école de commerce ou un parcours en faculté. Un autodidacte, avec les qualités requises, pourrait aussi être un très bon élément ! Le tout est de savoir être aussi rigoureux que créatif : en somme, c’est une discipline assez généraliste et complète.

En quoi consiste votre travail ?

Principalement, à synthétiser de grandes masses d’informations, provenant de tous secteurs confondus afin de déceler les tendances émergentes. Elles se nichent aussi bien dans des innovations, le marketing, des clips vidéo, la mode, l’art, le social listening, la culture… Mais aussi les manifestations, l’actualité, les sujets polémiques.

L’étude des nouvelles générations mène vers des sources d’informations intéressantes car elles portent souvent en elles les graines du changement ! C’est aussi un travail qui nécessite de s’entourer d’autres opinions ; journalistes, stylistes, sociologues… Plus on croise les points de vue et plus riche est le travail de prospective. Car finalement, le cœur de notre métier, c’est de trouver des scénarios possibles, crédibles et légitimes à emprunter pour créer notre futur.

Une fois cette synthèse faite, elle est exprimée à la fois en termes de concept, de best-practice marketing, de portraits de consommateurs et d’idées esthétiques (couleurs, matières, formes…). Ce travail s’adresse aussi bien à des dirigeants qui veulent avoir une grille de lecture sur le monde pour y étudier des opportunités business, au service communication qui cherche des idées pour adopter le bon ton à la bonne cible, qu’à des designers et des stylistes qui veulent trouver des inspirations de produits ou renouveler des gammes couleurs.

Quel souvenir gardez-vous de votre entretien d’embauche et comment vous étiez-vous préparé ?

J’ai commencé comme stagiaire dans un des grands bureaux de style parisien ! J’étais venu avec un book, au début pour rentrer dans le service graphisme, connaissant mal tous les métiers qui composaient alors le bureau. En fait, j’hésitais énormément à l’époque entre les métiers de fond et les métiers de forme. Je sentais que dans un bureau de style, je pourrais composer avec les deux. Et j’ai bien fait. Finalement, la directrice marketing est passée par hasard dans le service lors de mon entretien, a vu mon book et m’a embauchée, justement pour mon incapacité à choisir entre le fond et la forme, je pouvais être en autonomie sur mes propres dossiers !

Votre travail s’arrête-t-il lorsque vous passez les portes du bureau ?

Jamais ! C’est un métier qui demande de tout analyser, en permanence. Les publicités dans le métro, les tenues dans la rue, dans une file d’attente, les conversations… C’est justement mieux d’avoir une vie riche en dehors du bureau, car c’est aussi là que l’on croise de vrais consommateurs, des opinions variées, et de bonnes idées ! Si cette partie n’est pas exhaustive, elle permet d’être attentif à d’autres indicateurs de changements culturels ou sociaux. Même si nos capteurs sont un peu mis en sourdine ces derniers temps, on les pose ailleurs, tout comme les consommateurs. On regarde par exemple, l’accélération de la mode digitale, les achats de vêtements, ou « skins », pour les personnages de jeux vidéo ou les achats de collections virtuelles comme sur le site Dress-X qui permet d’habiller ses looks sur instagram sans passer par un achat physique.

Votre manière de travailler a-t-elle changé depuis vos débuts ?

Notamment avec les nouvelles technologies, bien évidemment. Les dossiers ne sont plus présentés sur des boards comme auparavant, mais sur des supports numériques. Ensuite, le traitement de l’information est différent. Les défilés, par exemple, sont accessibles à tous au même moment, alors qu’auparavant, il était fréquent d’envoyer en voyage des stylistes humer l’air du temps pour le rapporter à des clients. Notre rôle, aujourd’hui, plutôt que d’apporter des informations, est justement de faire le tri de ces informations qui sont devenues gargantuesques pour nos clients. On les hiérarchise, on les synthétise et on y met un peu d’intuition et de méthodologies issues des sciences humaines pour leur donner du sens.

Le plus gros danger des technologies, c’est qu’elles nous donnent raison trop facilement. Si par exemple nous faisons une recherche de bois clair sur les réseaux, il y a des chances pour que l’algorithme nous mène sur tout ce qui touche les tendances scandinaves. Pour éviter ces biais, il est important de rafraîchir régulièrement nos recherches web, en allant sur des blogs aux styles différents, et en se forçant à surfer sur des sites qui ne sont pas toujours proches de nos goûts. Par exemple, j’ai arrêté de m’intéresser aux jeux vidéo depuis Mario Cart sur Superness. Ça remonte ! Alors, régulièrement, je me rends sur des forums dédiés à la culture du gaming pour mieux saisir et comprendre les enjeux du e-sport et du marché du jeu vidéo en général. Aussi, acheter des magazines modes et design permet d’avoir accès à un œil éditorial que l’on n’aurait pas forcément vu en ligne.

Au quotidien, quel impact a eu la crise liée à la pandémie sur votre travail ?

Tout d’abord dans la façon d’aborder le métier ; tout s’est beaucoup plus fait en ligne, comme pour beaucoup. On a aussi vu un glissement des achats modes vers la déco et finalement, tout notre intérieur, au sens propre comme au sens figuré. On nous demande aussi de plus en plus de travailler sur des « Raisons d’être ». C’est aussi un marqueur fort qui montre que les entreprises se cherchent, ont une volonté d’impacter positivement leur environnement, d’avoir une utilité sociale, économique et écologique.

Ce que vous préférez et aimez le moins dans votre métier ?

Apprendre et découvrir tous les jours, c’est passionnant. On a un métier où l’on étudie le comportement humain, ses relations avec les autres, avec la nature etc. En vieillissant, on a aussi le recul nécessaire pour prendre la mesure du poids des évolutions générationnelles, de l’obsolescence de certaines valeurs… Le territoire d’observation est immense.

La partie un peu moins fun, peut être le « FOMO » (Fear of Missing Out ) que j’avais plus au début. La peur de passer à côté d’un article intéressant, d’un projet d’un designer… Mais si on loupe des détails, au final, on rate rarement l’idée de fond. Autre travers, c’est que je me sens tellement investie et empathique à travers cette immersion dans la tendance que j’ai envie de changer d’activité et d’environnement tous les six mois ! Chaque saison est donc un défi personnel pour maintenir sa trajectoire et ne pas être trop tenté de changer de cap à chaque nouvelle tendance de fond, même si se lancer dans la permaculture, c’est très tentant ! Malgré tout, je garde souvent quelque chose du travail d’une saison, une habitude qui vient s’ancrer dans mon quotidien. Et si je ne me lancerais pas dans l’aquaponie à temps plein en 2021, faire pousser des tomates ou des fleurs mellifères est une tendance que j’ai adoptée pour le long terme.

Comment développez-vous et/ou entretenez-vous votre réseau professionnel ?

Depuis que je suis à mon compte, je me suis associée avec un collectif de talents. Cela nous permet à tous de rencontrer des clients ou des compétences nécessaires pour mener à bien un projet.

Un projet professionnel qui vous tient à cœur et que vous souhaiteriez mener à terme ?

L’identité visuelle, la raison d’être et notre propre site internet ! Comme on le dit, ce sont les cordonniers les plus mal chaussés ! Nous avons du mal à trouver du temps pour vraiment prendre soin de notre propre label, Whisperers. Avez-vous toujours voulu travailler dans le secteur de la mode ?

Ce n’est pas tant la mode qui m’intéressait quand je suis rentrée dans un bureau de style. C’était plutôt son évolution, ce qu’elle disait de nous, humains, et ce qu’elle disait de la société. C’est aujourd’hui, à l’instar de ce que l’on vit, une industrie en pleine transformation qui finalement rassemble les défis d’aujourd’hui : l’écologie, la transformation digitale, les questionnements identitaires, sexuels, communautaires, l’engagement politique, la transparence, etc.

À quoi pensez-vous que votre profession ressemblera dans dix ans ?

J’imagine deux scénarios. Le premier : une fusion de cette profession avec les départements de data scientist. Les datas sont une formidable source d’information pour mieux anticiper les tendances. Cependant, l’interprétation par un humain est cruciale pour exprimer le résultat. Deuxième scénario : une évolution plus libre et artistique, pour créer de l’inspiration pure, sortir justement des tendances attendues pour y injecter plus de poésie. Et pour ma part, ces deux scénarios ne sont pas forcément incompatibles. Au contraire, ils seront nécessairement complémentaires pour être commercialement féconds.

Un conseil à donner à un jeune diplômé qui envisage votre métier ?

Instagram et les réseaux sociaux sont des supports qui n’existaient pas quand j’ai débuté et qui permettent de mettre en valeur et en scène ses intérêts, son univers, et de développer ses qualités professionnelles ; il s’agit d’un outil qui peut servir à la fois d’archive personnelle mais aussi de book pour un recruteur, s’il est bien fait. C’est aussi un moyen d’expérimenter, de tester, de montrer son savoir-faire comme son savoir-être.

Sinon, il y a de plus en plus de services de prospectives intégrée dans les marques qui sont extrêmement intéressants et permettent de mieux comprendre les rouages du métier et son application concrète dans une industrie précise, de l’automobile à la cosmétique en passant par le sport et la déco. Ce n’est plus un métier réservé aux indépendants et aux agences. Il devient pluriel, multiple et d’autant plus intéressant dans toute cette diversité d’applications.

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