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A quoi ressemblera la boutique de demain?

By Herve Dewintre

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Retail

Il y a quelque chose de différent rue de la Paix ; un air de renouveau sans doute lié à larrivée coup sur coup de deux « flagships » aux caractéristiques singulières. Au 14, la nouvelle maison du joaillier Fred, parfaitement exposée à l’ouest, joue avec la lumière. Ce qui est bien naturel pour une maison dont le fondateur, né en argentine, a toujours réfracté les irisations de la Riviera dans ses créations. Mais l’originalité n’est pas là. La boutique est certes lumineuse et élégante comme il se doit, mais ce qui interpelle surtout, c’est la chaleureuse convivialité du lieu. Cela est dû sans doute au fait que les espaces sont agencés comme un alignement de petites pièces à vivre. C’est encore plus flagrant au sein des deux salons de réception, occupant chaque un étage. Rien de feutré ni de compassé dans ces espaces où s’étire, ici, une bibliothèque chargée de livres et d’objets personnels, là, une table de salle à manger qui n’est pas destinée à faire de la simple figuration. Bref des pièces qu’on imagine plutôt destinées aux joyeuses mondanités qu’à l’achat furtif et discret.

Même sentiment, quelques mètres plus loin, au numéro 7, où se dresse depuis quelques mois le nouveau flagship Piaget. Un vaisseau amiral de 510 mètre carré réalisé par l’architecte Christine Querlioz de l’Atelier Sasha. Comme par un fait exprès, c’est ici que Charles-Fréderic Worth fonda la première maison de Haute couture parisienne au milieu du XIXème siècle. Comme si l’histoire du sur mesure et du contact privilégié avec le client avait opéré son retour aux sources, ou si vous préférez, avait pleinement effectué le cycle de sa révolution. Le CEO de Piaget adopte une sémantique pleine d’intérêt pour évoquer la naissance de cette maison nouvelle : « Il ne s’agit pas d’un énième flagship mais bien d’un lieu extraordinaire… ».

Plus loin encore, Place Vendome, la nouvelle boutique Van Cleef & Arpels conçue par le duo Patrick Jouin et Sanjit Manku nous paraît l’exemple le plus pertinent de ce à quoi devra ressembler la boutique du futur : un endroit conçu comme une succession d’émerveillements, au fil de pièces pensées comme celles d’une demeure privée. Dans une pièce, une longue table accueille des bijoux vintages (c’est une sorte de musée temporaire), un long couloir (avec des perspectives dignes de Stanley Kubrick) propose au regard du visiteur des photos d’archives et des vieux livres de comptes. L’ensemble ne ressemble pas à une boutique, on se croirait plutôt dans une maison d’hôte certes luxueuse, mais pas clinquante. La boutique est connectée, mais les ipads dont les supports sont encastrés dans des matériaux nobles se font discrets.

La grandeur d’être petit

L’émergence, au cœur du quartier Vendôme, de trois maisons qui ont choisi de privilégier la convivialité au détriment d’une somptuosité de parade n’est pas un hasard. Le paradigme des années 90 n’a plus la cote. Rappelez vous : l’émergence de grands groupes, l’omniprésence de créateurs stars qui décident de tout, au détail prés. Tout cela avait donné naissance à un concept de boutiques identiques et de facto interchangeables et impersonnelles. QU’on ne s’y trompe pas : ce ne sont pas les grandes marques qui sont rejetées. Bien au contraire, leur prestige est plus vif que jamais. Non, ce qu’on rejette désormais, dans le luxe en tout cas, c’est l’impersonnalité des boutiques et des collections.

Dans la joaillerie, cette nouvelle donne est confirmée par François Curiel qui dirige avec talent Christie’s Asia. De Hongkong, ce personnage pivot du marché de l’art, respecté par les connaisseurs, a assisté à la transformation du goût de sa clientèle qui se focalise désormais vers des destinations, non pas superficiellement exotiques, mais intrinsèquement exclusives. « S’il y a aussi une nouvelle tendance à collectionner des bijoux de joailliers artistes comme Viren Baghat (Bombay), Lorenz Baumer (Paris), Carnet (Hong Kong), Harumi klossowska de Rola (Suisse), Cindy Chao (Taiwan), Edmond Chin (Hong Kong), JAR et de nombreux autres, ce n’est pas étonnant : il y a en effet aujourd’hui un certain chic à se procurer, à aller chercher et découvrir au sens littéral du terme un bijou unique qu’on ne trouve pas ailleurs.».

Une expérience unique, non transposable, voici donc le nouveau leitmotiv, l’impérieux crédo auxquels les grandes maisons du luxe ont à faire face dans un monde où tout est plus facile, plus rapide, un monde où plus rien ne nécessite d’efforts à priori pour être acquis.

Ce paradigme est-il valable dans la mode ? Oui, plus que jamais. Aujourd’hui, tout est accessible partout et tout le temps. Tout le monde prend conscience qu’il faudra lutter dans les années à venir contre les géants du net. Des géants comme Amazon qui proposeront des articles au gout du jour, à des prix très compétitifs, le tout livré (gratuitement) le jour même.

Comment remédier à cette concurrence féroce ? Certes, il y aura des gadgets électroniques : on parle beaucoup des boutiques connectées avec des articles qu’on pourra « liker » sur place, partager sur son réseau, des cintres qui afficheront le nombre de likes reçus en ligne par les vêtements. Les nouvelles inventions technologiques prodigueront certes des surprises comme par exemple ces petits capteurs qui vous enverront des messages publicitaires ciblées et du contenu éditorial sur mesure (Minority Report se rapproche à grand pas) mais tout cela est au fond assez anecdotique.

Aux portes de l’art et de l’artisanat

L’essentiel, c’est que l’intérêt de la boutique ne passera plus forcement par un prestige statutaire (s’il existe) mais par la mise en place de nouvelles expériences qui placeronnt la cliente au centre d’un processus créatif, voir même artistique. Cela passera par des confrontations du monde de la mode avec d’autres disciplines : c’est ce que font déjà les concept store comme L’Eclaireur, Dover Street Marker, mais aussi les maisons plus vénérables qui n’hésitent plus à proposer des expositions, des musées éphémères au cœur de leur « flagship ». En d’autre terme, le magasin, s’il veut survivre, devra devenir un concept store.*

Mais il faudra peut être aller encore plus loin et effectuer une révolution, c’est à dire, une sorte de retour aux sources. Aux sources de la couture : un temps où le client et le créateur dialoguaient véritablement ensemble pour concevoir un produit. Cela prendra tout d’abord la forme d’ateliers de customisation, de personnalisation (comme au Bon Marché avec le denim), mais si le processus veut être parfait, il devrait s’étendre. C’est à dire permettre la réalisation entière du produit, à la fois par la marque, et par le client. C’est à ce prix que les boutiques redeviendront des maisons et pourront espérer lutter contre la dématérialisation des échanges.

Amazon
Colette
Dover Street Marker
Le Bon Marché
Patrick Jouin