Comment les détaillants de mode intègrent la beauté dans leurs magasins physiques
loading...
L'intégration du segment beauté dans la stratégie des détaillants de mode n'est pas nouvelle. Le site d'e-commerce Net-a-Porter lançait en 2015 une catégorie beauté, suivi par le détaillant multimarque Revolve, avant que la tendance n'explose, se propageant des e-retailers aux commerces physiques.
Les griffes de luxe et haut de gamme ont été les premières à combiner mode et beauté, mais les marques de fast fashion et les détaillants de mass market leur ont rapidement emboîté le pas afin d'offrir à leurs clients une expérience d'achat plus holistique. Zara, River Island et Primark font partie des premiers à avoir créé une offre beauté en incluant dans leur assortiment du vernis à ongles, des ombres à paupières, du démaquillant pour le visage ou de la crème pour le corps.
Il n'est pas surprenant que les détaillants se bousculent pour obtenir une part du marché. Selon un rapport de Statista, l'industrie des cosmétiques devrait représenter 758,4 milliards de dollars (environ 714,7 milliards d’euros) d'ici 2025.
Interrogé sur les autres motivations qui poussent les détaillants de mode à entrer dans le secteur de la beauté, un porte-parole du cabinet de conseil Deloitte déclare : « Le business de la beauté a un coût moins élevé - comme l'exploitation de concessions ou de vendeurs - le risque lié aux stocks est donc moindre. »
« On a également le sentiment qu'il est plus résistant à la récession, ce qui pourrait aider à se prémunir contre une baisse des dépenses dans l'habillement ou d'autres catégories. D'un point de vue plus positif, la beauté et les services connexes peuvent améliorer l'expérience en magasin et stimuler la conversion. »
Qui est à l'origine de cette tendance ?
Pour de nombreux détaillants, l’intégration d’un segment beauté n'est pas uniquement une question de gain financier. Les marques ont souvent constaté que cela leur permettait d'accéder à un nouveau groupe de consommateurs. À noter aussi que le consommateur typique de la mode a ses propres valeurs, et lorsqu'il est confronté à des produits de beauté dans un environnement centré sur la mode, il est susceptible d'adopter un comportement différent de celui d'un consommateur habitué au segment beauté. Ce fait a été observé par Frederica Levato, associée principale chez Bain & Company, une société de conseil notamment centrée sur le commerce de détail.
S'adressant à FashionUnited, Mme Levato explique que les clients du secteur mode - un milieu qui était initialement guidé par les millennials - évoluent désormais rapidement en fonction de la consommation de la génération Z, un groupe qui, selon elle, recherche activement une expérience client à 360 degrés dans les magasins. Levato a noté que les détaillants réagissaient à ce changement et indique : « Les marques de mode modifient les expériences qu'elles proposent grâce à cette approche à 360°, faisant évoluer le rôle d'un magasin pour qu'il soit davantage un centre d'expériences et un lieu de rencontres, plutôt que seulement transactionnel. »
Elle précise que la beauté est une catégorie très expérientielle. Elle permet aux clients de s'engager de multiples façons et peut contribuer à élargir le cercle des clients potentiels et le business lui-même, en complétant l’offre de mode.
La marque Flannels optimise cet état d'esprit en proposant une expérience plus collective. En juin, l’entreprise détenue par le groupe Frasers a dévoilé une clinique « social-media first » dans son nouveau magasin de Liverpool, aux côtés de la marque de cosmétique Esho. Dans ce lieu, les clients peuvent accéder à des soins au laser, à des produits pour les lèvres sans injection et à des services HydraFacial. Cet ajout s'inscrit dans le prolongement de la présence déjà établie de Flannels dans le secteur de la beauté, après le lancement de Flannels Beauty en 2021 - qui l'a amené auquel à introduire un Beauty Bar et des « Beauty Changing Rooms » (des cabines d’essayages dédiés aux produits de beauté).
Le médecin britannique Tijion Esho, fondateur de la marque Esho, qui a aussi récemment conclu un accord avec Asos, a déclaré que Flannels avait approché la marque alors qu'elle commençait à se concentrer sur sa propre stratégie d'expansion. Il poursuit : « Lorsque Flannels a expliqué sa vision de la redéfinition du luxe et de l'expérience d'achat, il m'a rapidement semblé logique d'en faire partie. J'ai toujours voulu montrer la voie du changement en créant, pour la première fois, un espace de “tweakment” pensé pour les médias sociaux, placé à côté de nos produits. Au regard de la réaction de la presse et du public, je pense que nous y sommes parvenus. »
En signant un partenariat avec un détaillant de mode, les entreprises de la beauté peuvent en tirer des avantages. Bridey Lipscombe, CSO d'Esho, explique à FashionUnited : « C'est [pour elles] la possibilité d'accéder à un groupe de consommateurs déjà constitué, qui répond aux mêmes désirs et besoins que notre communautée actuelle. Les acheteurs des secteurs de la beauté et de la mode partagent de nombreux besoins essentiels qui sont satisfaits à la fois par nos produits et notre clinique. »
Comment le segment de la beauté est-il implémenté ?
Le partenariat avec une marque de produits de beauté déjà établie et de confiance n'est qu'un des moyens utilisés par les détaillants pour intégrer la beauté dans leurs business model. Mme Lipscombe fait remarquer que l'ajout d'une marque comme Esho à leur offre peut répondre aux besoins des consommateurs de plus en plus éduqués. Elle ajoute : « Ils veulent des produits formulés cliniquement, soutenus par la science, qui donnent vraiment des résultats à court et à long terme. »
C'est un élément également souligné par Levato de Bain, qui observe que si un détaillant de mode veut être considéré comme crédible dans le domaine de la beauté, il doit développer la catégorie aux côtés de spécialistes. Bien que de nombreuses marques aient adopté des licences pour entrer dans le secteur, cette stratégie ne leur permet pas d'intégrer entièrement la beauté dans leur environnement de vente au détail. Levato poursuit : « Les entreprises développent plutôt de nouvelles capacités et de nouveaux business model pour être crédibles et servir dans cette catégorie. »
Pour y parvenir, les détaillants de mode doivent tenir compte d'un grand nombre de facteurs, ajoute Levato. « La beauté est également l'un des secteurs les plus avancés en termes de durabilité et des valeurs qu'elle véhicule auprès des consommateurs. Il est fréquent que le client soit plus conscient que dans la mode, non seulement vis-à-vis de l'environnement mais aussi en ce qui concerne le recours aux animaux. »
Les détaillants ont pris note de ce facteur. Des sociétés comme Boohoo et Primark ont par exemple récemment lancé des produits de beauté dits « écologiques » et « éthiques » sous leurs propres labels. Alors que Boohoo a créé une ligne de produits « vegan » parallèlement au développement de sa ligne de marque, Primark s'est associé à Fairtrade pour lancer une collection de cosmétiques visant à présenter une image plus « clean » à ses clients. Ces propositions s'inscrivent dans le prolongement des efforts déployés par les deux enseignes pour introduire des pratiques dites plus « durables » au sein de leurs modèles de fast-fashion.
Primark fait partie des détaillants pour lesquels la beauté n'est pas un domaine entièrement nouveau, puisqu'il a introduit pour la première fois en 2014 des cosmétiques et des lignes de maquillage dans ses magasins. Au fil du temps, le détaillant britannique a élargi son offre en fonction des tendances de consommation et de la beauté. Paul Baldwin, son directeur Commercial, Maison, Lifestyle, Santé et Beauté, a déclaré que l’enseigne était « montée en puissance » sur ce segment. Cette stratégie a impliqué l'introduction de concessions in-store dédiées à la manucure et l'ajout de studios de beauté développés en partenariat avec Rawr Express.
Baldwin ajoute : « Nous avons investi dans notre vaste département beauté, qui occupe désormais un espace indépendant dans nos magasins et offre une large gamme de produits de beauté à nos clients à des prix abordables. Nous considérons notre rayon beauté comme un élément clé de notre offre aux clients. »
L'accent mis actuellement par la marque sur la beauté découle d'une « réponse vraiment forte » des clients sur ses gammes de produits de beauté, fait remarquer Baldwin, selon qui la catégorie complète parfaitement l’offre de mode de l’enseigne.
Quelles autres stratégies ?
Les magasins dédiés sont également de plus en plus populaires parmi les détaillants de mode, qui lancent la catégorie beauté sous une bannière distincte et dans un nouvel environnement qui reste souvent lié à l'identité propre du détaillant. Des marques comme H&M, qui a ouvert l’an dernier un flagship H&M Beauty à Copenhague, ont commencé à adopter cette stratégie afin d'explorer le secteur.
De même, Harrods a également étendu sa présence dans le secteur par cette méthode, et a ouvert des adresses consacrées au segment beauté sous le nom de H Beauty. Le concept initial a été lancé en 2020, puis, le détaillant de luxe a voulu continuer à développer ses expériences de shopping expérientiel, et compte désormais cinq magasins H Beauty à travers le Royaume-Uni. Les lieux abritent un portefeuille de marques et de produits sélectionnés qui visent à répondre aux besoins des clients locaux.
À propos du concept, Mia Collins, responsable de la beauté chez Harrods, confie à FashionUnited : « La philosophie des magasins de beauté H encourage les clients à jouer, expérimenter et célébrer leur identité à travers la beauté ». En s'appuyant sur cette idée, le grand magasin de luxe a introduit un espace dédié aux lunettes de soleil, soins et parfums pour hommes dans son magasin de Knightsbridge, afin de proposer une « une expérience d'achat unique ». Collins ajoute : « La vision derrière ce nouvel espace était de rassembler une édition facilement accessible et hautement organisée des meilleurs produits de soins, parfums et lunettes sur le marché, le tout en un seul endroit. »
Comment les détaillants peuvent-ils encore entrer dans le segment de la beauté et que prévoit l'avenir ?
Pour les détaillants qui ont déjà mis en place leur catégorie beauté, celle-ci est devenue un élément important de leurs stratégies de croissance en cours. Cela est notamment le cas chez Primark, pour lequel Baldwin a déclaré qu'il y avait eu une « croissance significative » sur les gammes de produits de beauté de la marque au cours des dernières années, conduisant à de futurs plans d'expansion.
Il confie : « Cela est façonné par la connaissance des besoins et des désirs de nos clients dans l'espace beauté, de nos jeunes clients achetant les dernières tendances cosmétiques et choisissant de faux cils et ongles, aux clients plus matures à la recherche de produits de soin. En tant qu'entreprise, nous investissons constamment dans notre expérience en magasin, ce qui implique de rendre les achats d’articles de beauté de Primark encore plus pratiques pour nos clients à l'avenir. »
Il en va de même chez Harrods : la chaîne de grands magasins cherche à étendre sa présence dans le domaine de la beauté en fidélisant les consommateurs et en incitant les acheteurs à acheter des produits. Grâce au nouveau programme MyBeauty du détaillant, qui est lié à son initiative Harrods Rewards, les clients peuvent accéder à une gamme d'avantages réservés aux membres, tels que l’accès en avant-premières aux lancements, événements et promotions. Collins détaille : « Le lancement de MyBeauty nous permet de nous connecter avec notre communauté passionnée de beauté à un niveau plus engageant, offrant des expériences et des avantages spécialement adaptés à leur intérêt pour la beauté et le bien-être. »
Bien que la beauté soit une industrie fortement saturée, elle conserve son attrait pour les détaillants de mode. Levato de Bain & Company conseille aux marques de commencer par envisager des possibilités proches de leur ADN et du cœur de leur entreprise. Elle ajoute : « Commencez par des produits qui peuvent être vendus aux clients de manière croisée et utilisez la catégorie pour élargir votre base de consommateurs. Concentrez-vous vraiment sur une stratégie qui est à la fois cohérente avec l'ADN de la marque et le groupe de clients. »
Cet article a initialement été publié sur FashionUnited.com. Il a été traduit et édité en français par Julia Garel.