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Cost Per Wear : Comment cet indicateur économique pourrait contrer l'ultra-fast fashion

Une nouvelle étude démontre l'efficacité du concept du Cost per Wear (CPW) pour détourner le consommateur des articles à bas prix issus de la fast fashion et de l'ultra-fast fashion.
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Des clients quittent un pop-up store de la marque Shein, à Dijon, le 26 juin 2025. Credits: ARNAUD FINISTRE / AFP
By Julia Garel

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Depuis environ cinq ans, les défenseurs de l’environnement et professionnels de la mode regardent avec consternation les files d’attente générées par l’ouverture de chaque pop-up store de Shein. Les campagnes et les actions pour informer sur les dégâts environnementaux du géant de la fast fashion ne semblent pas ternir le succès de cet acteur qui séduit avant tout par des prix bas. Mais puisque l’argument monétaire semble plus fort que la cause écologique, ne serait-il pas temps de changer de stratégie et d'utiliser une logique similaire ? Une solution possible existe et tient en trois mots : Cost per Wear (CPW), ou le coût par utilisation.

Une étude publiée début octobre par Lisa Eckmann et Lucia A. Reisch dans la revue scientifique Psychology & Marketing affirme l'idée suivante : pour inciter le consommateur à acheter des vêtements dits « durables », il vaut mieux lui parler des avantages personnels (monétaires) plutôt qu'opter pour des appels explicites à la durabilité. Et c’est là qu’entre en jeu le Cost per Wear (CPW).

Qu'est-ce que le Cost per Wear ?

Le Cost per Wear est un indicateur qui informe sur la valeur du vêtement en fonction du nombre de fois où il sera porté. Le calcul est simple : on divise le prix total du vêtement par le nombre de fois qu’il sera porté. On obtient un prix hypothétique payé par le consommateur pour chaque fois qu’il portera le vêtement. La hauteur de ce prix diminue avec la fréquence d'utilisation.

Imaginons qu’Alice souhaite acheter une nouvelle chemise pour le travail et envisage de la porter une fois par semaine pendant au moins cinq ans. Ses recherches en ligne l’amènent vers deux options : une chemise d’une marque de fast fashion à 20 euros et une autre issue d’une marque plus chère à 50 euros. Pour calculer le coût par utilisation, il faut imaginer qu’Alice portera environ 50 fois la chemise par an (une fois par semaine) et partir du principe que la chemise moins chère lui durera environ un an avant de devoir la remplacer, tandis que la chemise plus chère lui durera au moins quatre ans. Après calculs, la chemise à 50 euros a un CPW moins élevé (0,25 euros) que celle à 20 euros (0,40 euros).

Quant à savoir comment la marque calcule la longévité du vêtement sur lequel se base le CPW, celui-ci peut être déterminé en fonction de tests de durabilité des matériaux. D'ailleurs, certaines enseignes de vêtements indiquent déjà ces tests sur leur site web (c'est par exemple le cas de la marque française Loom).

Le CPW, plus efficace que des allégations environnementales ?

Selon les études réalisées par Lisa Eckmann et Lucia A. Reisch, le concept de CPW en tant que stratégie de communication peut s'avérer efficace lorsqu’il s’agit de faire passer la préférence des consommateurs pour des vêtements à bas prix et de moindre qualité vers des options plus chères et plus durables (c'est-à-dire de meilleure qualité).

Les résultats de l'une de leurs enquêtes leur permet d'affirmer que cette communication peut être plus convaincante que des allégations générales de durabilité. Allégations vis-à-vis desquelles les consommateurs se méfient de plus en plus en raison d’un greenwashing généralisé.

Credits: Étiquette « verte » des articles « Conscious » de H&M. Site officiel de H&M.

Pourquoi le CPW est-il convaincant ? Parce qu’il répond à une question que nous nous posons souvent lorsque nous achetons un vêtement : Combien de fois vais-je porter ce vêtement ? Est-ce qu'il vaut le coût ? Autrement dit, nous nous interrogeons sur le nombre de fois où nous allons l'utiliser et tentons nous-même une analyse coûts-avantages du produit en question.

Malheureusement, le contexte d'achat habituel, en ligne ou en magasin, ne fournit pas d'indices permettant de se préoccuper de la durée de vie ou de la fréquence d'utilisation d'un produit. En fin de compte, ces aspects sont donc facilement négligés et amènent parfois (souvent) à dépenser notre argent dans plusieurs vêtements moins chers et de moindre qualité au lieu d'une seul pièce plus chère et de meilleure qualité, privilégiant ainsi le prix d'achat bas par article.

Si les marques, distributeurs ou les sites d'e-commerce indiquaient le CPW, la décision d’achat serait bien différente. Communiquer le CPW aide les consommateurs à évaluer la valeur économique à long terme d'un produit de haute qualité, et comme celui-ci sera porté plus souvent, il permettra à l’acheteur de réaliser des économies. C'est pourquoi les chercheuses en concluent que le CPW renforce la préférence de l’acheteur pour l’option de haute qualité, encore plus lorsque le CPW s’accompagne d’une certification par un tiers.

Ces conclusions devraient éveiller l’intérêt des spécialistes du marketing et des décideurs politiques qui souhaitent promouvoir l'achat de vêtements de haute qualité et freiner la consommation de fast fashion.

Les limites du CPW

Néanmoins, indiquer sur un article que le CPW est de 0,30 euros n’influencera en rien le consommateur s’il ne peut pas le comparer avec le CPW d’un autre article. La condition sine qua non est donc de faire parler ce chiffre en offrant à l’acheteur un moyen de le comparer avec celui d'un autre article.

Autre limite au CPW, et non des moindres : les achats d’ultra-fast fashion, notamment ceux réalisés sur le site de Shein, sont souvent des vêtements achetés pour une seule occasion. Dans ce cas, l'acheteur n'envisage pas spécialement de le porter plusieurs fois et se fiche bien de savoir que le coût par utilisation sera élevé.

Dans leur étude, Lisa Eckmann et Lucia A. Reisch confirment cette observation : « (...) la communication des CPW est moins efficace pour accroître la préférence pour les options de qualité lorsque les consommateurs achètent des vêtements pour une occasion spéciale. Dans ces cas, la perception de la valeur économique d'une option plus chère et de meilleure qualité est atténuée, et la préférence pour cette option reste inchangée, ce qui indique que la valeur économique n'est pas un critère de décision pertinent lorsque la fréquence d'utilisation prévue est faible. »

Visuel Vestiaire Collective. Credits: Vestiaire Collective

Depuis plusieurs années, la plateforme de seconde main Vestiaire collective a intégré le CPW dans sa communication générale pour démontrer que le coût par utilisation d’une pièce de luxe d’occasion est inférieur à celui d’une pièce de fast fashion. La société conclut dans une étude dirigée par une société indépendante que « l'achat d'articles d'occasion est 33 % plus abordable à long terme que l'achat de vêtements neufs de fast fashion ».

Cette donnée reste toutefois rattachée à une campagne de communication, ce qui signifie qu’elle n’est pas intégrée à la stratégie retail. Le CPW n’apparaît pas sur les fiches produits de chaque article probablement parce qu’il faudrait alors fournir une base de comparaison – puisque, comme nous l’avons dit précédemment, indiquer seulement le CPW d’une pièce n'est pas assez parlant pour le consommateur.

Quoiqu’il en soit, les plateformes de mode de seconde main ne semblent pas avoir besoin de l’argument CPW pour convaincre le consommateur. Cela n’est un secret pour personne : le marché des vêtements et accessoires d’occasion a explosé et selon une récente étude Ipsos, une majorité de Français affirme aujourd’hui acheter de la seconde main.

Le CPW de Shein

Selon le Rapport sur la durabilité et l'impact social 2023 publié par Shein, la « majorité [des] clients interrogés ont déclaré qu'ils portaient généralement des articles Shein plus de 10 fois ». D’un point de vue durable, ce chiffre semble bien trop bas. Malheureusement, il parait presque normal dans un contexte où les mentalités sont depuis des décennies modelées par la fast fashion et sa mode jetable.

Malgré tout, et bien que les achats sur la plateforme chinoise concernent souvent des pièces portées pour une seule occasion, la qualité d’un article devient aujourd’hui un critère d’achat de plus en plus important. Shein elle-même l’a bien compris.

La plateforme déclarait dans l'un de ses rapports « adopter des objectifs rigoureux d'amélioration continue de la qualité de ses vêtements, en s'appuyant sur des tests standardisés et les retours clients pour guider nos efforts ».

Malgré ses « efforts », la plateforme est aujourd’hui perçue négativement par près de la moitié des Français (48 %) en ce qui concerne la marque et la qualité de ses produits (49 %) – selon des données Ipsos d'octobre 2025. Et la polémique autour de son incursion dans le BHV Marais, à Paris, ne risque pas d'améliorer les choses.

Shein