Mode : faut-il renoncer aux saisons ?
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Mine de rien, le nouveau magazine hebdomadaire féminin du groupe Marie-Claire est en train de redonner du souffle à la presse (et pas seulement à la presse féminine). En effet, Stylist réussit avec maestria le pari de faire cohabiter gratuité avec qualité iconographique et éditoriale. Son business model innovant (qui avait déjà fait ses preuves en Angleterre) et son écriture journalistique singulière lui ont d’ailleurs permis de recevoir - c’est une première pour un gratuit - le prix de « l’innovation 2014» lors de la 12ème édition des 'Magazines de l’année' organisée par le Syndicat des Editeurs de la Presse Magazine (SEPM) auprès d’un jury dithyrambique : « le magazine est un parti pris de générosité qui explique son succès ». Le jury loue également la nouveauté dans le ton, le graphisme mais aussi les sujets abordés.
Parce qu’il aborde chaque semaine sous des angles nouveaux et avec une vision véritablement iconoclaste, tous les aspects de la mode en s’adressant plus volontiers à une génération de femmes actives malmenées par la crise ne lisent pas forcement la presse féminine, l’hebdomadaire est de facto l’un des premiers magazines d’envergures ( avec 416 048 exemplaires distribués en moyenne chaque semaine, Stylist est le féminin trentenaire le plus diffusé devant Elle, Grazia, Cosmopolitan, Glamour et Biba) à mettre les pieds dans le plat et à aborder sans frilosité le sujet qui taraude les professionnels de la mode : l’obsolescence des saisons dans les collections.
Dans une enquête réalisée par Antoine Leclerc-Mougne à paraitre dans le numéro du 26 février, l’hebdo pointe du doigt l’incongruité, constatée par tous désormais, de découvrir les collections printemps été au moment où le froid commence à tomber, et inversement d’avoir à faire son choix de vêtements de « plein hiver » tandis que l’été indien se prolonge langoureusement. Il note aussi qu'une clientèle fortunée n'éprouve plus le besoin de se conformer à un rythme qui ne correspond plus à leur mode de vie. Avec une pointe d’espoir concernant les us et coutumes qui, à défaut de ne pas bouger chez les détaillants, commencent à changer dans les studios de créations. « Dans les collections printemps-été 2015, chez Jil Sander, on a droit à des chaussettes en cuir, chez Louis vuitton à des collants en laine et chez miu miu et Sonia rykiel, à des cols en fourrure »
« Brouiller le cycle des saisons n’est pas qu’une lubie de la part des marques, précise Frédéric monneyron cité par le journal. C’est aussi une façon de refléter une évolution plus profonde de nos modes de vie et de nos comportements. À savoir, notre propension à voyager et à nous déplacer plus souvent, donc à connaître différents climats pendant une même saison.» Si cette démarche s’adresse, dans le secteur du luxe, à une clientèle capable, si elle en éprouve le désir, de ne connaître que l’été tout au long de l’année, elle prend aussi son sens auprès d’une clientèle moins fortunée mais néanmoins modeuse qui souhaite avoir des vêtements en temps et en heure, adapté au rythme réel des saisons et disponible dès leur présentation et non six mois plus (ou trop ?) tard. C’est par exemple ce qui c’est passé en septembre dernier, lors des dernières Fashion Weeks printemps-été 2015 : Moschino et Fausto puglisi ont été les premiers à vendre sur le net une partie de leur collection dès le lendemain du défilé, en collaboration avec #Lvr1St, une plateforme créée par la boutique de luxe italienne Luisa via roma. Autre exemple plus récent encore : la nouvelle collection de Sarah Jessica Parker pour Tome avec ses escarpins qui, à peine présentée à la fashion week automne/hiver 2015-2016 de New York, sont déjà disponibles à l’achat.
« Créer une nouvelle période d’achats dans une industrie en convalescence ».
Vendre en « temps réel » des vêtements « hors saison » des leur présentation à la presse, une question de bon sens ? Oui, mais une question de survie aussi : il s’agit, pour d’après l’enquête de Stylist, de créer une nouvelle période d’achats dans une industrie en convalescence. « La mode hors-saison, à l’instar des collections capsules, des collaborations et autres collections croisière, est un moyen de multiplier les rendez-vous et les désirs d’achats. C’est aussi une façon de raccourcir le cycle d’affaires et de faciliter la trésorerie de la marque. Car, entre la présentation d’une collection et les premières ventes, les bénéfices tardent souvent à éponger les coûts (commandes des acheteurs, confection, plan médias, distribution...) ». « Les marques paient souvent très cher pour les défilés et les présentations. Vendre vite permet de renflouer les caisses. Le plus tôt on est payé, mieux c’est ».
Moralité de l’enquête : « À être plus disponibles, ces pièces de collection arrivent à se rendre plus désirables (a contrario de tout ce qu’on a appris sur les règles de la séduction) mais aussi mieux protégées. En réduisant l’intervalle entre le moment où elles présentent leurs nouveaux modèles et celui où elles les proposent à la vente, les marques arrivent à court-circuiter les grandes enseignes de la fast-fashion qui s’inspirent des défilés et inondent les rayons de copies avant la sortie de l’original. D’autant qu’en se réappropriant les délais, les marques transforment un temps mort en un nouveau temps fort ». La conclusion de l’hebdomadaire, digne des meilleurs prévisionnistes : « Entre des collections disponibles sur internet dès le lendemain des défilés – alors qu’elles sont prévues pour être portées six à huit mois plus tard – et des marques qui jouent à ignorer l’amplitude thermique saisonnière, il va falloir accepter que l’idée même des saisons est devenue « so last season ».
crédits photos: STYLIST #82 du 26 février 2015