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Baselworld à l’heure de vérité : « Les mêmes problèmes que pour les défilés »

By Herve Dewintre

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Salons

Les grands groupes de mode et de luxe ont un point en commun inattendu: ils ont tous décidé, à un moment ou autre de leur histoire, par opportunité ou par vision, d’investir le secteur de l’horlogerie. Richemont (propriétaire de Chloé et de Lancel), en a même fait le cœur de son activité depuis sa fondation par l’industriel sud-africain Anton Rupert qui avait auparavant fait fortune dans le tabac. Ainsi, LVMH et Kering se disputent régulièrement, afin de les faire entrer dans leur giron, les rares maisons d’horlogerie et de joaillerie indépendantes encore disponibles sur le marché. Hermès veille comme le lait sur le feu à faire grandir son pôle joaillerie-horlogerie dans le calme et la cohérence, tout en veillant à insuffler à ses montres et ses bijoux une qualité digne de ses collections de maroquinerie. Les frères Wertheimer quant-à-eux ont opté à la fois pour l’entrée au capital d’une jeune marque (Bell & Ross) et par le développement ex-nihilo, chez Chanel, de luxueuses collections joaillières et horlogères. Chaque année, les maisons de luxe du groupe LVMH (Dior, Bulgari, Louis Vuitton) travaillent très dur pour reproduire en leur sein un modèle iconique dont le succès pourrait se rapprocher de la célèbre J12 de Chanel.

Un exemple parmi d’autres du féroce appétit des magnats du luxe pour l’horlogerie : lorsque Jaeger-Lecoultre, IWC et A. Lange & Söhne furent mises en vente en 2000, tous les grands groupes, à savoir Richemont, LVMH, Kering (à l’époque PPR) et Swatch group se disputèrent âprement cette superbe proie. Le gagnant, Richemont, accepta au final de débourser 3,2 milliards de francs pour ces trois sociétés dont le chiffre d'affaires global avoisinait à peine les 350 millions.

A l’exception des maisons du groupe Richemont qui jouissent de leur propre salon – le SIHH qui se tient chaque année à Genève en janvier - tout ce beau monde se réunit chaque année pour faire jaillir de terre, à coup de millions, des stands extraordinaires, à plusieurs étages, au cœur du salon Baselworld. Comme son nom le laisse présager, ce salon se tient à Bale, en Suisse forcement. Pourquoi forcement ? Parce que la Suisse reste et restera longtemps l’épicentre de l’horlogerie mondiale.

Inutile de décrire les merveilleuses manufactures qui se dressent au sein d’une nature sauvage et intacte, au centre de la vallée de Joux, pour expliquer cette suprématie car les chiffres suffisent : les montres suisses ne couvrent qu'environ 2,5 pour cent de la production mondiale (la chine produit les montres bon marché, à quartz et en métaux non précieux, en plastique notamment), mais en terme de valeur, cette production suisse (exportée à 95 pour cent ) représente un pourcentage considérable dans le panorama mondial. Pour faire encore plus simple et donner un ordre d’idée encore plus spectaculaire, il suffit de dire que Swatch Group, Richemont et Rolex – trois groupes horlogers et de luxe suisses –se partagent plus de 45 pour cent du chiffre d’affaires global dans l’horlogerie à eux seuls. Vertigineux.

Dans un monde où règne l’immédiateté, nos clients ne supportent plus d’attendre.

Du 17 au 24 mars, 150000 visiteurs se retrouveront donc à Bâle, au cœur des halls gigantesques qui composent ce salon - le plus important salon horloger au monde- né en 1917. Il n’y a pas d’équivalent d’un tel rassemblement dans le monde de la mode, ou alors il faudrait imaginer les 8 plus importantes fashion week de l’année réunies en un seul lieu et en une seule fois. Les regards experts occulteront à la loupe les nouveaux modèles proposés par les 1500 marques horlogères et joaillières réunies sur une surface prodigieuse de 141 000 m². Les 4000 journalistes rassemblés s’évertueront à dresser les tendances à venir. Les mains se serreront avec plaisir car c’est l’une des finalités du salon à l’heure des échanges virtuels : asseoir sa légitimité, pourvoir rencontrer et boire un verre avec les clients, les détaillants et les médias qui comptent dans un contexte (parfois prétexte) de présentations de nouveautés. Les langues se délieront parfois pour évoquer (en sourdine) les problèmes structurelles qui secouent le monde du luxe, de la joaillerie et plus particulièrement de l’horlogerie haut de gamme.

Ces problèmes, les exposants en discuteront avec flegme, sans s’alarmer. Certes, il y a des sujets de préoccupations. Certes, des mesures politiques freinent la demande de montres en Chine, mais au fond, ne fait-on pas affaire ici à une normalisation plutôt qu’à un effondrement tant la valeur des exportations annuelles vers la Chine a été exponentielle ces dernières années (en 2000, les exportations de montres suisses vers la Chine se montaient à 16,8 millions CHF. Entretemps, la valeur des exportations annuelles fut multipliées par 97 pour atteindre 1,6 milliard CHF en 2012). Certes, les livraisons vers Hong-Kong baissent sensiblement. Certes le franc fort a eu un impact significatif sur les exportations. Certes, la verticalisation de la distribution contraint les boutiques multimarques indépendantes à repenser leur stratégie. Certes les montres connectées sont un sujet sensible même si, ici, on préfère ne pas trop en parler.

Non, à Baselworld, plutôt que de préoccupations, on préfère parler de défis et chacun considère que le ralentissement actuel n’est que passager. Etrangement, le sujet qui marque le plus les esprits concerne Louis Vuitton qui avait pourtant largement misé sur ce grand rendez-vous pour asseoir sa légitimité horlogère jusqu’ici, et qui a décidé de ne pas se déplacer à Bâle cette année. Au-delà de l’aspect anecdotique de cette décision, se cache la question de la vocation de Baselworld qui évolue à grande vitesse. Pour certaines marques qui égrènent leurs nouveautés tout au long de l’année, le salon a en effet perdu de son importance stratégique. Avec l’avènement des réseaux sociaux, de la distribution verticale, il devient moins important de rencontrer les détaillants. Le salon qui était autrefois un grand rendez vous marchand se transformerait-il en espace de socialisation ?

« Bâle pose le même problème que les défilés de prêt-à-porter, affirmait Michael Burke, président de la maison Louis Vuitton en février dernier dans les colonnes du Figaro. Quel est l’intérêt de montrer nos créations six mois avant qu’elles ne sortent en magasin ? Dans un monde où règne l’immédiateté, nos clients ne supportent plus d’attendre. Ces six mois leur semblent désormais plus long qu’il y a dix ans, car la relation avec le temps est différente, la satisfaction doit être instantanée.» Bien plus que la crise chinoise ou que le franc fort, ces nouvelles relations au temps vont profondément modifier un salon qui s’est construit autour de la mesure de l’instant.

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