Lingerie : quelles tendances bousculent le secteur ?
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L’enthousiasme des retrouvailles était palpable sur le Salon International de la Lingerie, tenu à Paris du 18 au 20 juin. Après deux ans d'absence, l'événement avait beaucoup à dire. Culottes menstruelles, « nouveau sexy », hausses des prix… FashionUnited fait le point.
En mars 2022, le marché du sous-vêtement a repris des couleurs sans toutefois rattraper le retard accumulé durant la pandémie. En retrait par rapport à 2019, le secteur français regroupant la lingerie, le chaussant, le segment nuit et intérieur représentait une valeur de 2 739,4 millions d’euros en mars 2022, contre 2 902,7 millions d’euros en mars 2019 (chiffres Kantar). Dans le détail : le marché des sous-vêtements affichait 1 741 millions d’euros en mars 2022, contre 1 874 millions d’euros en mars 2019.
Pour monter en puissance, le secteur de la lingerie a à sa portée deux segments prometteurs : celui des culottes menstruelles et celui d’une lingerie sexy redéfinie pour correspondre aux codes actuels.
La démocratisation des culottes menstruelles
Les culottes menstruelles ont connu une belle progression en 2021. Selon Kantar, leurs ventes ont atteint un total de 10,8 millions d’euros. Toutefois, si l’an dernier 71 pour cent des Françaises affirmaient connaître les culottes menstruelles (contre 63 pour cent en 2020), une large part des consommatrices restent encore à convaincre car seulement 15 pour cent d’entre elles déclarent en avoir acheté en 2021 (contre 8 pour cent en 2020).
Parmi les freins à l’achat, on note : des doutes liés à l'efficacité et le prix élevé. Le coût d’une culotte de règles tournait en effet souvent autour de 30 ou 40 euros, mais sa démocratisation s’est accompagnée d’une réduction du prix consommatrice : une cliente dépensait 18,4 euros par culottes en moyenne en 2021, contre 20,2 euros en 2020 (source Kantar). La marque Chantelle a par exemple lancé une period panty autour de 20/25 euros. Pour atteindre ce prix, l'entreprise explique avoir simplement épuré le design et conservé l’efficacité de ses modèles plus onéreux.
Dans le contexte inflationniste actuel, le sujet du prix est central. Selon une étude Kantar il serait même aussi important que l’autre grand critère d’achat depuis les confinements : le confort. Pour monter en puissance, le marché des culottes menstruelles doit donc jouer sur ces deux points.
La nouvelle lingerie sexy
L’autre grand sujet développé aujourd’hui par les équipes marketing et créatives de la lingerie est celui du « nouveau sexy », ou du sexy confortable. Autrement dit : une lingerie fine à l’image repensée, plus soumise à l'œil masculin et à la sexualisation du corps de la femme par l’homme. Cette redéfinition des codes s’inscrit dans une tendance plus globale de l’habillement. En septembre 2021, la Fashion Week new-yorkaise avait mis en avant des corps dénudés qui n'avaient plus rien avoir avec les corps sexualisés des années 1990-2000. Comme l’expliquait alors la consultante en tendances Fériel Karoui, il s’agit « de sensualité, de libération, d’empowerment et d’émancipation ».
Par la suite, on a également pu observer cette exposition du corps dénudé dans des images de streetstyle où les silhouettes arboraient des soutien-gorges - ou bralettes - en guise de top. Dans ce mouvement de réappropriation du corps, les marques de lingerie ont un rôle évident à jouer.
Ce retour du sexy faisait également l'objet d'une conférence du Salon International de la Lingerie intitulée « La place du sexy dans un monopole de confort ». La conférencière, Virginie Corbasson, de l’agence Carlin, a souligné le retour de l’hédonisme et indiqué que 65 pour cent des femmes ont acheté de la lingerie sexy pendant la pandémie, en France. Dans la même mouvance, on assiste au retour du string, pièce légère qui peut, aujourd’hui, être vue « comme un message du pouvoir libérateur des femmes », lit-on dans le communiqué du salon.
« D’un point de vue médiatique, on avait un peu perdu de vue la séduction ces dernières années parce qu’il y a eu metoo et un certain nombre d’éléments qui ont changé. »
Soucieux de répondre à une définition du sexy plus en phase avec les jeunes générations, le groupe Chantelle prend la parole sur ce nouveau segment. Il lancera en août 2022 une nouvelle marque baptisée Chantelle X . « L’idée était de revenir avec une nouvelle proposition sur ce secteur et cette tendance qu’est la séduction » explique Renaud Cambuzat, Global Chief Creative Officer de Chantelle, rencontré sur le salon. « D’un point de vue médiatique, on l’avait un peu perdu de vue ces dernières années parce qu’il y a eu metoo et un certain nombre d’éléments qui ont changé ». Mais, selon lui, la lingerie sexy n’a jamais vraiment disparu et il reste une « clientèle fidèle pour ce type de proposition ».
Prenant acte des changements dans l'expression du sexy, le directeur artistique emploi la formule « séduction féministe ». « L'objectif était de venir proposer une nouvelle vision, qui prenne acte d’un certain nombre de changements sociétaux et qui soit dans une autre approche. On parle un peu de “séduction féministe” dans notre cas avec Chantelle X. C’est ce constat : la séduction est devenue un des champs du féminisme. On le voit, il y a le retour d’une séduction très affirmée et portée par les femmes, bien loin des aspects femmes objet, avec le regard très masculin que l’on connaissait. »
Concrètement, cette redéfinition du sexy se traduit par des contrastes. « On a été injecté dans les codes de la séduction et de la belle lingerie à la française, des éléments qui viennent du sport et du street, avec beaucoup de jeux sur la transparence », résume Renaud Cambuzat. Le groupe a par ailleurs réintroduit de la séduction de manière un peu plus ponctuelle dans ses autres marques, notamment chez Passionata.
De manière générale, on assiste un peu partout à une multiplication des lignes sexy. C’est par exemple aussi le cas chez Sans Complexe Lingerie qui crée une nouvelle ligne, baptisée Précieuse sur ce segment. Ou encore chez Scandale Eco-Lingerie dont les pièces coquines sont développées dans un souci écologique. Même chose chez Aubade, qui écrivait dans son rapport 2021 : « Des lignes sexy mais écoresponsables feront de plus en plus partie de l'offre de la marque dans les années à venir ».
Mais pour véritablement mettre à jour la notion de sexy, le secteur de la lingerie doit la rendre inclusive. L’adressée à tous les corps, à la fois en termes de corpulence, de taille, mais aussi en termes de sexe.
Et en matière de genre, il reste encore des progrès à faire. « Non genré ne veut pas dire neutre », fait remarquer Adélaïde Brient, fondatrice du label Avant Minuit. Elle cite en exemple la campagne d’Etam, « Gender Free », lancée en février 2022 et qui présentait des mannequins arborant des sous-vêtements basiques, déclinés dans des tons neutres, sans ornements ou jeux de transparences.
Les hommes et les personnes transsexuelles doivent aussi être inclus dans le marché de la lingerie sexy. La jeune marque artisanale Avant Minuit répond à ce besoin et a été développée pour des femmes transgenres. Lancée avec succès sur la plateforme de crowdfunding Ulule, elle propose des pièces en dentelles pensées pour l'anatomie masculine.
La hausse des prix consommateur dans la lingerie
Toutefois, le contexte inflationniste pourrait bien entraver le nouvel élan du secteur. Selon l’Insee, en mai 2022, les prix à la consommation ont augmenté de 5,2 pour cent sur un an. Et bien que la hausse des prix de l'habillement et des chaussures ralentissent en mai (+4,1 pour cent après +4,3 pour cent), celle-ci devrait reprendre.
Interrogées sur le salon, beaucoup de marques de sous-vêtements indiquent qu’elles seront certainement obligées d’augmenter le tarif consommateur. « C’est inévitable. Il y aura des répercussions », explique par téléphone Corinne Andrier, directrice des marques et du développement omnicanal de Wolf Lingerie.
De son côté, le groupe Chantelle explique avoir déjà rehaussé le prix de quelques pièces en 2022. Dans les prochains mois, les problématiques d’approvisionnement continueront d’impacter le prix final. Les augmentations restent légères chez le groupe : + 2 ou 3 euros sur le prix final consommatrice pour un soutien-gorge.
Chez la nouvelle marque Scandale Eco-Lingerie, Edouard Roche déclare : « Toutes les activités sont impactées. Pour l’instant, on est parti sur un prix culotte qui est à 18, 19,90 et 20 euros. Donc très abordable. Nos soutien-gorge sont entre 32 et 62 euros. On restera dans la catégorie de la lingerie abordable. On a fait pas mal d’études auprès de Millennials françaises, allemandes, anglaises qui comprennent absolument le discours de la marque, qui adorent le côté Instagram, minimaliste et moderne de nos produits et une sensualité qui offre une panoplie de différentes versions. Mais en même temps elles nous ont mis en garde, et c’était vraiment la grande majorité, sinon la totalité, en disant “si vous nous proposez un prix avec une prime écologique on ne viendra peut-être pas vous voir”. Parce qu'elles trouvent, à juste titre, que la responsabilité d’une marque est de trouver un sourcing qui soit responsable. »
Dans une étude, Kantar révèle que 73 pour cent des personnes sondées déclarent prioriser des modèles d’apparence physique plus variée (taille, poids). C’est pourquoi, qu’il s'agisse du sujet des culottes menstruelles ou de celui de la lingerie sexy, le développement de ces segments devra être mis en corrélation avec une communication axée sur la diversité de morphologies et des individus. Et cela devra être suivi d’actes concrets, tels que la proposition d’articles pour petits budgets, de larges gammes de tailles, des produits adaptés à différentes morphologies et, en magasin, une facilité d’accès aux personnes handicapées.
Les best sellers des marques de lingerie (de gauche à droite)
- Cosabella : Never Say Never Brassière Curvy Sweetie (une bralette sans armatures pour grands bonnets).
- Scandale eco-lingerie : body décolleté en tulle transparent sans armatures (issu de la gamme sheer).
- Chantelle : soutien-gorge corbeille de la ligne Fleurs.
- Ysé : ensemble Volupté de Nuit.