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6e Forum de la Mode : ou le portrait fidèle du secteur de la mode actuelle

By Julia Garel

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Forum de la mode, 1re table ronde. Invités : Adrian Kammarti, Clara Monzali, Mélody Thomas, Saveria Mendella. Crédit : FashionUnited

Mercredi 31 mai, professionnels et penseurs de la mode se sont réunis au Palais de Tokyo pour la 6e édition du Forum de la Mode. L’occasion de dresser un bilan du secteur et de parler de son avenir.

« La valeur de la mode dans un monde en mouvement » était le thème de cette première édition physique et live depuis la période de confinement. Pour y répondre, trois tables rondes ont pris place durant la matinée. La première s’est interrogée sur « la valeur symbolique et immatérielle de la mode », la seconde a questionné « la valeur intrinsèque de la mode » à travers le thème du patrimoine et de l’héritage, tandis que la dernière à explorer le thème de la « revalorisation de la mode ».

La mode a « une dimension majeure pour pouvoir peser sur les évolutions absolument nécessaires »

« Je peux vous donner la valeur de la mode : c’est 5 euros, le prix d’un t-shirt sur Shein (...) a déclaré Yann Rivoallan, Président de la Fédération du Prêt à Porter Féminin (FPPF), en introduction. Et d’ajouter : « C’est aussi, tout simplement, 5 millions. 5 millions de personnes qui tous les jours vont sur Vinted. Ça peut être aussi 500 millions. 500 millions de vêtements en bon état qui sont transportés tous les ans en Afrique. Ou ça peut être aussi 50 milliards, le nombre de vidéos qui sont sur TikTok et qui parlent de Shein. Tous ces chiffres, ce sont des chiffres à l’image de la mode, dans sa numérisation, dans son image, dans sa distribution. »

Xavier Romatet, Directeur Général de l'Institut Français de la Mode (IFM), a par la suite compléter ces données chiffrées : « On parle d’environ 150 milliards d’euros de chiffres d’affaires de l’industrie de luxe en France. C’est 2,7 pour cent du PIB français et ça veut dire que le luxe en France représente, en cumul, plus que l’automobile et l’aéronautique réunis. On parle donc d’un secteur économique qui est absolument majeur. »

Le dirigeant rappelle également que le secteur de la mode est le 2e contributeur français aux exportations : 80 pour cent du chiffre d’affaires des 50 premières entreprises du luxe sont exportés. « On parle d’un poids lourd de l’activité économique française, ce qui nous donne une dimension majeure pour pouvoir peser sur les évolutions absolument nécessaires », explique-t-il.

« Aujourd’hui, pour la première fois, le volume de produits mode, textile, habillement, diminue (...) »

Xavier Romatet, Directeur Général de l'Institut Français de la Mode (IFM)

Mais la mode traverse aussi une crise importante. Le secteur du textile et de l’habillement représente environ 30 milliards d’euros de consommation par an et cette évolution est à la baisse. « Ce qui est une bonne et une mauvaise nouvelle, déclare le directeur de l’IFM. Mauvaise pour le secteur mais bonne par rapport aux problématiques [environnementales] de la production et des volumes de production (...) Aujourd’hui, pour la première fois, le volume de produits mode, textile, habillement, diminue et dans le même temps, la valeur des produits vendus, malheureusement, elle aussi diminue. »

Aujourd’hui, le paysage de la mode en France est marqué par une logique de sablier : d’un côté le développement des marques premium avec une industrie du luxe qui se porte extrêmement bien, de l’autre l’ultra fast fashion, guidée par la logique des prix et un rapport qualité prix exécrable, avec un taux de croissance extrêmement important. Entre les deux : l'effondrement de la distribution intermédiaire.

« En 2023, nous n’avons pas retrouvé les chiffres de la consommation mode qui étaient ceux qui précédaient le covid. Et je pense qu’on ne les retrouvera pas » fait-il remarquer.

Quel avenir pour la mode ?

Sans surprise, lorsqu’on en vient à parler de l’avenir de la mode, le sujet de l’intelligence artificielle (IA) arrive sur la table. « Avec l’IA tout a changé, et en plus ça n’est que le début, assure le président de la FPPF. Je pense qu’on n’a rien vu pour l’instant. L’intelligence artificielle qui arrive va tout bouleverser. » Il développe plus tard sa pensée : « On a une France avec des mathématiciens, on a une France avec Paris, capitale de la mode, on est capable, ensemble, de créer une nouvelle valeur de la mode qui sera digne de la french touch et qui sera capable de créer cette mode singulière. »

Selon le dirigeant, « On doit aussi aller plus loin dans l’innovation, par exemple dans le traçage. » Il explique : « On le voit, on peut maintenant mieux mesurer où le coton peut pousser, qui le fabrique, où c’est vendu. Avec ce traçage, on travaille la durabilité. Parce que l’on sait d’où ça vient, on sait comment ça a été fait. Ceci est bien sûr déjà possible. On peut aussi mesurer la suite : la valeur de la mode quand on va sur Vinted, c’est du marchandage, or, on peut aussi mesurer si c’est vendu en 1er, 2e, 3, 10e main, et donc aussi créer des échelles de prix qui peuvent se faire en fonction de tous ces moments de ventes. Et ça, ça crée la valeur de la mode parce qu’on arrive à avoir des paramètres clairs. »

Comportement des consommateurs

Les sujets sociétaux qui modèlent aujourd’hui la mode ont bien entendu été développés lors de cette 6e édition du Forum de la Mode. Le manque d’inclusivité, la responsabilité environnementale ou encore les conditions de production sont souvent au cœur des critiques adressées au secteur.

Lors de la première table ronde, Mélody Thomas, Cheffe de la rubrique mode de Marie-Claire, fait un constat : « Aujourd’hui on est dans un système économique des valeurs. On est face à de nouvelles générations pour qui acheter un vêtement signifie acheter une valeur qui correspond à qui ils ou elles sont. » Selon la professeure, à travers les questions de représentativité et d’inclusion, « le vêtement prend une valeur symbolique qui dépasse sa composition même, parce qu’il est porté par des gens qui ont conscience de qui ils sont et qui ont envie de l’affirmer. »

Mais au-delà de ces points d’intérêts, un problème majeur se pose vis-à-vis du comportement des consommateurs. La schizophrénie du citoyen consommateur. Selon Xavier Romatet « le citoyen revendique en matière de consommation écoresponsable une multitude d’aspirations qui sont fortes. Mais il a oublié que sa principale carte d'électeur, ça n'est pas l’urne, c’est sa carte bancaire qui lui permet tous les jours d’avoir un comportement écoresponsable et qu’il n’a pas. Puisqu’on voit les chiffres de l’ultra fast fashion se développer de façon considérable. »

Clara Monzali, co-fondatrice de l’agence Paye ton influence, témoigne de cette tendance à la surconsommation. « Globalement, sur les réseaux sociaux, ce qu’on voit c’est que l’imaginaire dominant et les récits qui sont pour la plupart véhiculés, sont ceux de la surconsommation. Acheter pour exister, donc acheter sans conscience. »

Néanmoins, la co-fondatrice fait également le constat d’un signe faible : l'émergence de nouvelles tendances qui renvoient à des business models régénératifs comme l’upcycling ou la seconde main. Elle note enfin que sur les réseaux sociaux, une chose « ne passe plus » : l’incitation à la surconsommation avec du marketing agressif, des codes promos tous les jours… « Ce sont des choses qui agacent et qui épuisent les audiences », explique-t-elle.

Selon elle, les influenceurs peuvent être « une véritable solution, un levier phénoménal de transition écologique » car il s’agit que de « personnalités de confiance auprès des communautés, on parle de relation parasociale (...) Ils ont donc la possibilité de véhiculer des messages et de faire bouger les imaginaires. » Pour illustrer son propos sur le pouvoir de l’influence et de son impact sur l’imaginaire, elle donne l’exemple d’une récente tendance aperçue sur le réseau social TikTok : la désinfluence. Il s’agit d’un courant qui incite à ne pas consommer en disant clairement « n’achetez pas ce produit. »

« Le droit à la mode »

Avant de refermer cette première table ronde, Saveria Mandella, critique de mode et doctorante à l’EHESS, met le doigt sur un point souvent oublié dans les discours sur l’état de la mode actuelle : l’accès à la mode. « Pour comprendre la valeur de la mode, il faut avoir un certain budget et ça n’est pas le cas de tout le monde. Et il y a aussi l’accès physique. On est dans une époque où beaucoup de choses sont dématérialisées, notamment le vêtement. Les jeunes sont aujourd’hui en contact avec les vêtements Louis Vuitton par les photos, par l’influenceur qu’ils suivent. Pour se rendre compte de la qualité du produit, ils ne l’expérimentent pas directement par le corps. Et je pense que c’est aussi un frein dans la mode. Pour se rendre compte qu’un objet de mode est qualitatif, il faut pouvoir l’expérimenter par soi-même et ça n’est pas accessible à tout le monde de la même manière. »

Adrian Kammarti, Professeur en Histoire et Théorie de la mode à l’IFM, corrobore son propos : « L’objet de mode griffé est accessible à peu de gens. Ce que la fast fashion a fait de positif c’est qu’en la copiant elle l’a rendu accessible au plus grand nombre. Il faut faire attention à ne pas porter de mépris là-dessus. Effectivement, la fast fashion est critiquable pour ces conditions de productions, etc. Néanmoins, ce qu’elle a permis d’acquérir, à mon avis, c’est ce que j’appelle le droit à la mode. On est sur un contexte tendu sur le plan environnemental et social, néanmoins il y a certains acquis qui ne sont pas forcément à remettre en question, notamment ce droit et cette accessibilité au produit de mode, de façon dépréciée certes, mais quand même. »

Le Forum de la Mode est organisé par le Comité stratégie de la filière Mode et Luxe, la Fédération de Haute Couture et de la Mode, la Fédération Française du prêt-à-porter féminin et avec la coopération du Défi de Francéclat et du Comité Professionnel de Développement Économique de la filière Cuir, Chaussure, Maroquinerie, Ganterie.

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