Budget 2026 : Quelles mesures pour le secteur mode & textile ? Entre taxation, relocalisation et souveraineté économique
Le projet de loi de finances 2026, présenté par le gouvernement fin octobre, se veut un exercice d’équilibre : réduire un déficit public toujours supérieur à 5 % du PIB, tout en soutenant l’investissement industriel et la transition écologique. Mais pour la filière mode, textile et e-commerce, certaines mesures pourraient se transformer en casse-tête fiscal.
Selon Reuters, le texte « mise sur de nouvelles recettes et une meilleure maîtrise des dépenses » afin d’éviter une dégradation de la note souveraine française.
Le défi de la crédibilité budgétaire : réconcilier coupes et réindustrialisation
La trajectoire budgétaire de la France, celle-là même qui lui a valu une dégradation de note de la part de Fitch, est au centre de toutes les attentions.
Le budget 2026 s’inscrit, quant à lui, dans ce contexte politique et économique délicat : fait d'inflation persistante, de consommation intérieure en berne, de déficit public estimé à 5,1 %, et de dette flirtant avec les 112 % du PIB. Paris a promis à Bruxelles de renouer avec une trajectoire de réduction du déficit dès 2026, au prix de coupes budgétaires et de nouvelles recettes fiscales.
Parmi les principales mesures évoquées, et confirmées par Reuters et Les Échos, figurent :
– une surtaxe temporaire sur les grandes entreprises, censée rapporter près de 2 milliards d’euros ;
– la réduction de certaines niches fiscales, notamment sur les énergies fossiles ;
– un renforcement de la fiscalité environnementale ;
– et un gel partiel des dépenses publiques, hors priorités industrielles et défense.
L’objectif étant de donner des gages de sérieux budgétaire sans compromettre les ambitions de réindustrialisation — un mot-clé omniprésent dans les documents ministériels.
Une taxe sur les entrepôts qui fait polémique
C’est sans doute la mesure la plus controversée pour le commerce en ligne, la possible extension de la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM) aux entrepôts du e-commerce. La Fédération du e-commerce et de la vente à distance (FEVAD) a dénoncé, dans un communiqué du 23 octobre, « une aberration économique et environnementale ».
Selon la fédération, cette taxe « pénaliserait les acteurs qui investissent et emploient en France », au profit de plateformes comme Shein ou Temu, « dont les produits sont expédiés directement depuis la Chine ». Autrement dit, une taxe nationale sur les entrepôts français reviendrait à renforcer encore la compétitivité de leurs concurrents non-européens.
Pour le secteur de la mode et du textile, le risque est double. Il se manifeste par une hausse des coûts logistiques pour les marques opérant en France, mais génère aussi une incitation à délocaliser les centres de distribution vers la Belgique, le Luxembourg ou l’Espagne, où la fiscalité est plus avantageuse.
Un signal paradoxal pour la relocalisation et la souveraineté industrielle ?
Cette mesure irait à rebours des discours sur la « mode durable » et la souveraineté industrielle. Alors que le gouvernement soutient la relocalisation des filières textiles et la création d’emplois dans les territoires, taxer les entrepôts français risquerait d’« encourager le transport transfrontalier et les émissions de CO₂ », alerte encore la FEVAD.
Les grandes plateformes comme Veepee, Showroomprivé ou La Redoute, qui investissent massivement dans la logistique hexagonale, pourraient voir leur rentabilité chuter. À l’inverse, les grands groupes étrangers opérant sans présence physique sur le territoire continueraient de bénéficier d’un avantage fiscal considérable.
L’impact indirect sur la mode et le textile
Au-delà de la fiscalité logistique, plusieurs dispositions du budget 2026 auront un effet indirect sur la filière :
- le renforcement des obligations environnementales, avec des incitations à la réparation et au recyclage des textiles, dans la continuité de la loi AGEC ;
- une hausse progressive de la fiscalité carbone, qui renchérira les coûts de transport international ;
- des crédits d’impôt renforcés pour l’innovation et la transition écologique, dont pourront bénéficier les acteurs investissant dans des matériaux durables ;
- et la poursuite des dispositifs France 2030, soutenant la relocalisation de productions textiles et les filières de recyclage.
Ces leviers traduisent une logique de « rééquilibrage » : taxer davantage les flux polluants tout en soutenant les circuits courts.
Pourquoi le gouvernement veut-il taxer les entrepôts ?
Si l’exécutif défend cette mesure, c’est au nom d’une logique à la fois budgétaire et économique :
– Recettes fiscales : selon plusieurs parlementaires, la taxe sur les entrepôts permettrait de générer des revenus supplémentaires pour l’État, tout en ciblant un secteur en forte expansion, celui du e‑commerce. Dans un contexte de redressement budgétaire, l’argument est autant symbolique qu’économique : faire contribuer davantage les acteurs de la croissance numérique. Ensuite, le gouvernement avance un argument de « justice concurrentielle ».
Selon l’Assemblée nationale, l’idée affichée est de « corriger une concurrence déloyale » entre les acteurs français qui investissent dans des entrepôts sur le territoire et les plateformes étrangères, souvent dépourvues de présence physique (Assemblée nationale, amendement n° 001116).
Mais cette logique comporte une contradiction majeure : en taxant les entrepôts français, on frappe précisément les entreprises qui créent des emplois et contribuent à l’économie locale, tandis que les plateformes étrangères, qui expédient depuis l’Asie ou d’autres hubs hors Europe, échappent à cette taxe. L’effet attendu de « rééquilibrage » est donc paradoxal. Plutôt que de niveler la concurrence, la mesure pourrait renforcer l’avantage compétitif des acteurs étrangers au détriment des entreprises françaises.
Mais alors, pourquoi taxer les entrepôts plutôt que les importations ? Quelles failles demeurent ?
En pratique, taxer les entrepôts français revient à cibler les entreprises installées sur le territoire – celles qui emploient, investissent et stockent localement. Problème, les plateformes étrangères, qui expédient directement depuis leurs hubs asiatiques ou européens, échappent à cette taxe. Résultat, la mesure risque de produire l’effet inverse de celui recherché, en fragilisant les acteurs français face à leurs concurrents étrangers.
Taxer les importations, en revanche, se heurte à un obstacle majeur : la complexité douanière et la nécessaire coordination européenne. Une taxe nationale risquerait de déplacer les flux vers des pays voisins au régime fiscal plus attractif. L’amendement n° 002871, actuellement en discussion, propose d’instaurer une « taxe sur les biens expédiés par certaines plateformes numériques », mais son application reste incertaine, indique Pappers Politique.
Enfin, tout dépendra de l’harmonisation européenne. Bruxelles travaille à une refonte du Code des douanes de l’Union visant à supprimer l’exemption de TVA sur les petits colis et à instaurer une contribution par envoi. Sans coordination, la France agirait seule – au risque de voir ses flux logistiques déportés vers d’autres États membres, prévient Le Monde.
Un contre-sens économique et écologique
Pour la FEVAD, la logique actuelle est un contre-sens. Taxer ceux qui produisent et emploient localement, tout en laissant les importations à bas coût échapper à toute contrainte, revient à « subventionner indirectement les géants du e-commerce chinois ». Sur le plan environnemental, les effets pourraient être inverses : la délocalisation des entrepôts augmenterait le trafic transfrontalier – et donc les émissions de CO₂.
Une question épineuse pour la mode et le textile
Le débat dépasse désormais la seule question budgétaire. Il touche à la cohérence même du modèle productif et logistique que la France souhaite défendre.
Pour le secteur de la mode, qui repose sur un maillage dense d’entrepôts et de retours produits, la taxe soulève de fortes inquiétudes.
Selon Reuters, le gouvernement cherche encore à « calibrer » le dispositif pour ne pas freiner les acteurs européens, tout en affichant une volonté politique forte de réguler les flux du e-commerce. Le débat, très technique, pourrait bien devenir symbolique : celui d’un modèle de consommation que la France veut rendre plus durable – sans pour autant nuire à sa propre compétitivité.
Le projet de taxe sur les entrepôts du e-commerce illustre les contradictions d’une politique industrielle française tiraillée entre compétitivité, fiscalité et transition écologique.
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