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Cent Neuf : faire de la seconde main une marque de mode

By Julia Garel

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Business|Interview
Le trio fondateur derrière la marque Cent Neuf : Mathilde Carles, Gaultier Desandre Navarre et Alexandre Iris. Credits: Cent Neuf.

Lancée en juillet 2022 par trois professionnels de la mode, Cent Neuf se positionne comme une marque premium de seconde main. À la direction : Mathilde Carles, ex-acheteuse mode femme aux Galeries Lafayette et chez Celine en merchandising maroquinerie, Gaultier Desandre Navarre, consultant et fashion editor chez Vogue USA et Alexandre Iris, ex-directeur de la stratégie et du développement durable chez ba&sh.

Le trio imagine des collections de seconde main et approche la revente par le produit plutôt que par les marques. Cent Neuf a son identité et son style propre, mélangeant des pièces intemporels avec des articles plus mode. Pour mieux comprendre son fonctionnement et son positionnement, FashionUnited a échangé par mail avec Alexandre.

Pourriez-vous présenter votre activité ?

Cent Neuf est la première marque à offrir de véritables collections, modernes et élégantes, exclusivement composées de pièces de seconde main. Plus largement, Cent Neuf se place à l’intersection de trois mondes, le neuf, la seconde main et le direct to consumer.

Nous nous inspirons du neuf et pensons des vestiaires complets et cohérents, pour toutes et tous, en ne proposant que des produits pour lesquels nous avons des alternatives dans toutes les tailles. Pour que le shopping reste plaisant et que la seconde main soit plus qu’une « chasse aux trésors » chronophage. Nous gardons aussi le savoir-faire retail, que ce soit le fait d’être présent dans les emplacements les plus prestigieux [ndlr. : Cent Neuf est aujourd’hui au Bon Marché, au Carrousel du Louvre et va ouvrir une boutique en propre à Paris] ou l’accompagnement sur-mesure de la clientèle en magasin. De la seconde main, nous gardons l’unicité des pièces, dont le rapport qualité prix est imbattable, tout en proposant la mode la plus responsable. Enfin, les marques direct to consumer ont eu un impact sur notre façon de penser des magasins expérientiels, où l’on a envie de s’éterniser, ainsi que le développement d’une marque porteuse de sens et communautaire.

Quel est votre business plan ?

Avant de parler chiffres, parlons des personnes. Notre cible sont les gens qui n’achètent pas encore de la seconde main à cause des freins à l’achat que ce marché présente. En particulier les idées préconçues que l’on se fait concernant la propreté, le temps pour chercher, etc. Ce sont ces freins que nous voulons faire sauter et remplir cette mission passe par une stratégie Retail first. Les magasins physiques nous permettent d’accompagner le client dans sa recherche et de développer une approche proche de celle du personal shopping, qui nous semble nécessaire pour franchir le pas de la seconde main. Expliquer les matières, les coupes, comment assembler les pièces qui peuvent être touchées et essayées nous apparaissent être des points clés. Ces lieux de vente et de vie sont aussi l’occasion de proposer des expériences uniques, marquantes, et qui fédèrent notre communauté autour de notre projet et de notre mission.

« Nous avons prévu d’investir massivement sur des systèmes informatiques pour que nos achats et l’approvisionnement de nos magasins collent au mieux aux attentes de notre communauté. »

Alexandre Iris.

Notre business plan consiste donc à développer un réseau de boutiques dans les grandes villes françaises puis européennes, en nous appuyant sur les synergies que créent une distribution simultanée en grands magasins, en centres commerciaux et en boutique en propre.

Opérer toutes ces boutiques avec une offre et une identité de marque cohérentes repose sur notre capacité à mettre, pour la première fois, la donnée au cœur d’un modèle d’affaires de mode de seconde main. Nous avons prévu d’investir massivement sur des systèmes informatiques pour que nos achats et l’approvisionnement de nos magasins collent au mieux aux attentes de notre communauté.

Couplé à de l’intelligence artificielle, ce modèle data driven servira ensuite de porte d’entrée vers le développement rentable et significatif de notre business en ligne.

Corner Cent Neuf au Bon Marché, Paris. Credits: Cent Neuf.

Comment se porte votre chiffre d’affaires et quels sont vos objectifs de croissance ?

En tant que toute jeune marque, notre chiffre d’affaires est heureusement en forte hausse. Notre objectif est d’abord d’ouvrir notre première boutique Cent Neuf d’ici la fin de l’année à Paris, puis d’atteindre rapidement les cinq points de vente, ce qui est prévu pour la fin de l’année suivante.

« Il est important de dépasser rapidement le million d’euros de chiffre d’affaires pour s’installer comme marque qui compte dans l’esprit des amoureux de la mode. »

Alexandre Iris.

Après une croissance de 600 % en 2023 vs 2022, nous prévoyons pour l’année 2024 une croissance de près de 300  %. Il est important de dépasser rapidement le million d’euros de chiffre d’affaires pour s’installer comme marque qui compte dans l’esprit des amoureux de la mode.

À plus long terme, l’ambition ne se mesurera pas exclusivement avec le chiffre d’affaires et ne se limitera pas à une croissance infinie. Nous portons également un projet d’entreprise et de marque engagée et nous souhaitons rester en cohérence avec les valeurs et la vision qui nous ont poussé à quitter la mode conventionnelle.

Comment estimez-vous le prix des articles que vous revendez et la marge ?

Nous avons remarqué que dans le monde de la seconde main, les deux extrémités de la pyramide des prix étaient occupées par des acteurs solides et installés sur le segment du luxe (Vestiaire Collective) et sur les prix d’entrée (Vinted, Kiloshop, …). Le segment premium, autour de 60 euros de prix moyen, était quant à lui très atomisé. C’est ce segment que nous voulons créer, qui correspond à un prix deux à trois fois moins élevé que les acteurs que nous imaginons concurrencer, les marques de neuf du segment du luxe accessible.

Nous avons établi une grille de prix qui nous permet de définir le prix des articles selon des critères objectifs, en particulier : la composition, le lieu de fabrication, l’époque et la marque si cela est pertinent. De manière générale, nous valorisons les matières naturelles, les fabrications françaises et italiennes et le savoir-faire de couturiers sur-mesure que nous avons la chance de trouver en seconde main. Si ce prix permet de dégager une marge suffisante, nous avançons, sinon nous ne proposons pas ce produit. C’est à nous de faire rentrer nos coûts dans un prix juste pour le client, pas l’inverse.

Quelle(s) difficulté(s) rencontrez-vous en tant que vendeurs de seconde main ?

La partie la plus complexe consiste à travailler avec des pièces uniques. Surtout quand on veut mettre de l’ordre dans un milieu où tout est encore géré au kilo et non à la référence. Cela impacte grandement la gestion des opérations, de l’entrée en stock jusqu’à la vente.

Travailler de la seconde main avec l’ambition d’en faire une alternative crédible au neuf implique également de réinventer toute la gestion des magasins, du cérémonial de vente jusqu’au visual merchandising.

Une immense majorité de personnes n’achète pas encore de la seconde main. C’est aux marques comme Cent Neuf de les convaincre de ses bénéfices et c’est pour ce faire que nous nous fixons l’objectif ambitieux de repenser la façon de gérer le produit et les points de contact avec notre communauté en nous inspirant des marques les plus fortes du moment.

Convertir chaque jour de nouvelle personne à la seconde main et générer des bénéfices sociaux et environnementaux par évitement est notre grande fierté et nous prouve que nous sommes sur la bonne voie.

Comment organisez-vous votre chine ? Avez-vous été amenés à changer votre manière de chercher des pièces ces dernières années ?

Du fait de nos expériences passées dans les grandes maisons de mode (Celine, ba&sh, Vogue), nous travaillons très finement l’amont de la chine. Nous pensons des collections, que nous formalisons dans des plans de collection et d’achats. Mais nous ne produisons rien. À la place, et pour respecter notre timing de renouvellement mensuel, nous nous rendons une fois par semaine chez des grossistes en friperies avec des objectifs très clairs sur les catégories de produits à sourcer, les quantités et les tailles à trouver.

Nous travaillons exclusivement en France pour le moment mais avons des voyages de prospection prévus d’ici la fin de l’année en Italie, au Royaume-Uni et au Benelux, des places fortes du vintage.

Au moment de la chine, chaque pièce passe par un test qualité pour s’assurer qu’elle respecte nos critères. Toutes les pièces sélectionnées sont ensuite désinfectées et nettoyées par un pressing professionnel en France, et à nouveau revérifiées en revenant du pressing pour nous assurer définitivement de leur qualité.

Un des avantages indiscutables de la seconde main est le fait de ne pas avoir à produire. Entre le moment où nous pensons une collection et son implantation en magasin, il s’écoule moins d’un mois. Cela permet d’être très agile, de vite réagir à des micro-tendances en plus d’avoir de nets avantages concernant la trésorerie ou les risques d’erreur liés aux achats.

Comment voyez-vous le marché du vintage et de la seconde main dans cinq ans ?

Le marché de la seconde main est actuellement en ébullition, et est en train de se structurer avec des espaces dédiés dans les grands magasins par exemple. Pour continuer dans cette voie, ses acteurs vont devoir parler à une nouvelle clientèle habituée à d’autres standards en termes de degré mode et d’expérience client.

Nous voyons les standards de la mode de seconde main en termes d’offre, d’image et d’expérience s’aligner progressivement sur ceux des marques les plus désirables et communautaires du moment. C’est avec cette ambition que nous avons lancé Cent Neuf, et nous pensons être au tout début d’une vague durable dans tous les sens du terme.

Campagne Cent Neuf. Credits: Cent Neuf
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Cette interview a été réalisée par mail.

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