D’entre les morts
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Arnaud de Lummen a une fois de plus réussi sa mission. Il faut dire qu’il a un noble métier puisqu’à l’instar des princes charmants de conte de fée, son emploi est de réveiller les belles endormies. Sa dernière princesse au bois dormant se nomme Paul Poiret, figure parisienne légendaire dont la maison de couture était entrée il y a plus de huit décennies dans un sommeil jusqu’alors ininterrompu, à la mort (dans la pauvreté) de son fondateur.
Paul Poiret s’est donc réveillé. Le nom a trouvé preneur. Il s’agit de Shinsegae International, un conglomérat basé en Corée du Sud dont la spécialité est la distribution de marques étrangères et dont le quartier général se trouve à Seoul. Shinsegae signifie “nouveau monde” en coréen et effectivement c’est bien un nouveau monde qui attend la marque française, incarnation d’une maison de couture parisienne fondée en 1903, qui connut son heure de gloire avant la première guerre mondiale avant de laisser son étoile pâlir petit à petit jusqu’à son extinction en 1929.
Arnaud de Lummen avait acheté le nom Paul Poiret via sa société luxembourgeoise dans le but de la revendre à des investisseurs alléchés par la célébrité du nom. L’homme d’affaire n’en est pas à son coup d’essai puisqu’il était déjà à l’origine du renouveau de Vionnet (cédé à l’entrepreneur russe Goga Ashkenazi), de Belber ou encore du malletier Moynat.
L’année dernière, l’entrepreneur avait chargé la banque d’affaires Savigny Partners LLP de l’assister pour sélectionner les investisseurs appropriés via une vente aux enchères qui eût lieu sur le net. "En choisissant un procédé de vente publique, expliquait-il alors, l'idée est d'attirer un large spectre d'acquéreurs potentiels, et non pas de discuter de l'opportunité avec une liste sélective d'investisseurs."
Première étape : les parfums et la beauté
Il a fallu un peu plus de temps que prévu pour trouver les repreneurs- les grands groupes de luxe qui connaissent bien la difficulté de ressusciter une maison de couture dont l’activité a longtemps été interrompue n’étant pas intéressés. C’est finalement du coté de Séoul qu’on a estimé viable une resurrection d’un nom évocateur de Belle Epoque et qui fleure bon Paris.
Pour en faire quoi ? Des turbans à aigrettes, des robes colorées nimbées d’orientalisme ou des vêtements aux imprimés audacieux ? Pas tout à fait. Le conglomérat vise avant tout les parfums et le secteur de la beauté avant de songer à investir le domaine de la mode et des accessoires. Pourquoi pas en effet puisqu’en 1911, Paul Poiret fut le premier, avec "Les Parfums de Rosine" (du prénom de sa fille) à imaginer ce qui allait devenir si communément admis aujourd’hui : le parfum de couturier.
Déjà à l’époque, ce parfum fut conçu en harmonie avec les créations vestimentaires du couturier qui ouvrit même pour l’occasion un laboratoire au 39 rue du Colisée et une usine à Courbevoie, incluant un atelier de verrerie et de cartonnerie pour le conditionnement. Les premières compositions furent imaginées par Maurice Schaller puis par Henri Alméras, avant que le couturier ne choisisse de s'impliquer personnellement. Jusqu'en 1929, 35 parfums sortirent des usines : certains adoptèrent des noms singuliers comme Shakhyamuni (en1913) ou Hahna l’Étrange Fleur (en 1919). L’histoire ne dit pas si les nouveaux propriétaires vont choisir de créer un nouveau jus ex-nihilo ou s’ils préféreront –puisque les archives leur appartiennent désormais – exhumer une fragrance d’entre les morts.