Dans la saga Kering et l'évasion fiscale : Alexander McQueen face aux autorités italiennes
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Dans un important développement pour Kering, le conglomérat français du luxe a confirmé être en discussions avec les autorités fiscales italiennes concernant une enquête sur sa marque Alexander McQueen. Cette annonce fait suite à un rapport de Reuters indiquant que le parquet de Florence a ouvert une enquête sur de prétendues omissions de déclarations fiscales.
Selon des sources citées par Reuters, l'enquête concerne des revenus imposables non déclarés par Alexander McQueen, estimés entre 60 et 70 millions d'euros pour la période de 2016 à 2022.
Un passé de règlements fiscaux de grande envergure
Ce n'est pas la première fois que Kering fait face à des interrogations sur ses pratiques fiscales en Italie. L'entreprise avait déjà réglé un important litige avec l'Agence des recettes italienne en 2019, acceptant de verser 1,25 milliard d'euros pour clore une enquête concernant les paiements fiscaux sur les ventes de produits Gucci en Italie entre 2011 et 2017. Cette affaire faisait état d'une évasion fiscale présumée de 1,4 milliard d'euros, Kering ayant été accusé d'utiliser stratégiquement une filiale suisse, Luxury Goods International, pour distribuer des produits Gucci et éviter ainsi les obligations fiscales en Italie.
En 2022, Kering avait également payé 186,7 millions d'euros pour régler un autre problème fiscal lié à Bottega Veneta. Ces règlements montrent l'historique de Kering en matière de gestion de défis fiscaux importants dans le contexte rigoureux du système fiscal italien.
L’enquête qui avait inquiété Kering
En 2018, l'émission Cash Investigation de France 2 avait mis en lumière les pratiques d'optimisation fiscale de Kering, le géant français du luxe détenu par la famille Pinault. L'enquête, menée en partenariat avec Mediapart, avait révélé un manque à gagner fiscal estimé à 2,5 milliards d'euros depuis 2002, avec la marque Yves Saint Laurent seule responsable d'une perte de 180 millions d'euros pour l'État français. Le reportage s'attarde particulièrement sur l'entrepôt de Lugano, en Suisse, géré par la holding LGI, qui permet à Kering de transférer ses profits tout en bénéficiant d'un taux d'imposition réduit de 8% contre 33% en France. François-Henri Pinault, PDG du groupe, défend la légalité de ces pratiques, malgré les critiques d'autorités européennes, telles que Pierre Moscovici, qui les qualifient de « montages d’optimisation fiscale ». Cette affaire, qui a déjà incité le parquet financier italien à lancer des enquêtes et des perquisitions, relance les questions sur le rôle des autorités françaises dans le suivi des activités fiscales des entreprises nationales.
L’enquête s'est également intéressée aux conditions de travail des sous-traitants italiens du secteur du cuir, dénonçant des pratiques douteuses et des violations des droits des travailleurs dans les ateliers des grands groupes de luxe.
Rappelons que la frontière entre optimisation fiscale et évasion fiscale n'est pas aussi fine qu'on pourrait le croire. L'évasion fiscale, qui est un délit, consiste à utiliser délibérément des mécanismes illégaux pour réduire le montant des impôts dus. À l'inverse, l'optimisation fiscale repose sur l'utilisation de dispositifs légaux prévus par un État pour minimiser la charge fiscale, sans enfreindre la loi.
Pourquoi l’Italie ?
L’Italie s’affirme de plus en plus comme une destination de choix pour les personnes fortunées, notamment grâce à des dispositifs fiscaux attractifs qui facilitent la transmission de patrimoine. Parmi les mesures phares, on retrouve la possibilité de bénéficier de réductions sur les droits de succession et de donation, notamment grâce à des exonérations spécifiques et à des taux progressifs qui favorisent les transferts de patrimoine au sein des familles.
Le pays attire également les sociétés étrangères, qui peuvent bénéficier de divers avantages fiscaux stimulant les investissements et facilitant l'implantation dans le pays. Parmi ces avantages, on trouve l'exonération de la double imposition grâce aux conventions fiscales internationales, ainsi que des régimes de participation exonérée pour les dividendes et les plus-values des sociétés mères. Des incitations telles que des crédits d'impôt pour la recherche et l'innovation, des réductions sur les investissements en équipements, et des programmes régionaux visant à attirer les entreprises sont également disponibles. Le pays offre également un taux d'imposition des sociétés relativement compétitif à 24 %, et certaines zones bénéficient de réductions fiscales pour encourager l'investissement. De plus, le régime «Patent Box » permet aux entreprises de réduire la taxation sur les revenus tirés de la propriété intellectuelle, comme l’informe le site du Ministère de l’Economie et des Finances italien, tandis que la TVA peut être réduite ou exonérée dans certains cas, notamment pour les exportations.
Les enjeux pour Kering dans un contexte économique difficile
Cette nouvelle enquête survient à un moment particulièrement délicat pour Kering, qui met en place des mesures de réduction des coûts pour atténuer la pression financière. La société prévoit une chute potentielle de 50 % de son bénéfice opérationnel pour cette année, ce qui l'amène à poursuivre des licenciements, selon WWD, des fermetures de magasins et des renégociations de contrats, afin de stabiliser sa situation financière après des résultats décevants au troisième trimestre.
Bien que Kering soit confiant quant à la pertinence de ses pratiques opérationnelles et qu'il s'engage dans un dialogue constructif avec les autorités fiscales, un autre règlement fiscal majeur pourrait encore alourdir ses ressources financières. Cela revêt une importance particulière dans un contexte où d'autres grandes entreprises internationales, telles que les géants de la tech Apple et Google, ont également été confrontées à des problèmes fiscaux en Italie. Par exemple, Apple avait payé 318 millions d'euros en 2016, et Google avait suivi avec 306 millions d'euros l'année suivante pour régulariser leur situation fiscale dans le pays.
Des implications pour l'industrie de la mode
La situation de Kering met en lumière un thème récurrent dans le secteur du luxe : la nécessité de transparence et de conformité dans un environnement réglementaire de plus en plus strict. Les marques du groupe, notamment Gucci, Bottega Veneta et Alexander McQueen, sont des exemples emblématiques du marché mondial du luxe, et leurs relations avec les autorités fiscales pourraient établir des précédents qui résonneraient dans l'industrie tout entière.
Pour Kering, l'enquête en cours sur les déclarations fiscales d'Alexander McQueen ajoute une couche d'incertitude à un moment où le groupe est déjà sous pression financière. Alors que le groupe de luxe poursuit ses discussions avec les autorités fiscales italiennes, l'issue de ces échanges sera déterminante pour la réputation, la stabilité financière et l'avenir de l'industrie du luxe dans son ensemble.
Dans un contexte généralisé de renforcement de la réglementation, le cas de Kering pourrait avoir des répercussions sur les stratégies fiscales et les responsabilités sociétales des autres grands groupes de mode. Les résultats de ces discussions avec les autorités fiscales italiennes seront suivis de près, car ils pourraient influencer à la fois la confiance des investisseurs et les stratégies opérationnelles des autres conglomérats de mode.
- Kering fait face à une enquête fiscale italienne concernant Alexander McQueen pour des revenus non déclarés estimés entre 60 et 70 millions d'euros.
- Ce n'est pas la première fois que Kering règle des litiges fiscaux importants en Italie, ayant déjà versé des milliards d'euros pour des affaires précédentes concernant Gucci et Bottega Veneta.
- Cette enquête survient alors que Kering subit des pressions financières et met en lumière les défis de conformité fiscale dans l'industrie du luxe.