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De la surconsommation à la durabilité : les nouvelles voies du succès pour les marques de mode

By Julia Garel

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Business|Interview
Magasin de la marque Aigle. Credits: Courtesy of Aigle

Comment devient-on une marque de mode à succès quand on est né dans le contexte de la surconsommation ? Et que signifie être une « jolie marque de mode » aujourd’hui ? Élément de réponse avec Françoise Clément, consultante spécialisée dans la mode et le retail et ex-directrice textile France et international du groupe Carrefour.

Vous accompagnez des marques de mode comme The Kooples, Zadig & Voltaire ou Aigle. Quel est le principal défi auquel sont confrontés ce type de sociétés aujourd’hui ?

Françoise Clément : Le constat, pour le reposer, est celui d’une crise permanente, entre crise climatique et crise plus globale, inflationniste et tensions, ça touche toute l’économie et particulièrement l’économie du textile. On est à une croisée des chemins. Il est devenu extrêmement complexe de diriger une marque de mode et d’arriver à poursuivre la croissance parce que vous avez une déconsommation ou une consommation vers le bas prix.

Comment la stratégie de ces marques doit-elle évoluer ?

Il y a plusieurs solutions. La prise de conscience. Vouloir continuer à suivre le même modèle et suivre des stratégies à court terme, en général, ça ne fonctionne pas longtemps. Il ne faut pas travailler dans l’urgence mais plutôt arrêter de penser à la surconsommation à tout prix. Quand Shein arrive sur le marché français, tout comme Primark il y a quelques années, le succès est au rendez-vous, et cela va en contradiction avec ce que je viens de dire. Mais la tendance de fond est tout de même une prise de conscience qui va aller de plus en plus vite. Potentiellement, même les jeunes générations vont consommer mieux, moins je ne sais pas, mais mieux.

« Si vous avez ces produits iconiques, si vous êtes une marque référence, vous pouvez tirer sur le fil très longtemps. »

Françoise Clément

Concrètement, cela veut dire qu’une marque doit avoir un positionnement extrêmement clair, des produits iconiques. Si je vous parle de coupe-vent, vous savez ou allez, pareil pour une doudoune ou des bottes. Ça, c’est le fonds de commerce des marques qui perdurent. Si vous avez ces produits iconiques, si vous êtes une marque référence, vous pouvez tirer sur le fil très longtemps. Le rapport qualité-style-prix est une notion assez galvaudée mais qui reste très importante. Les gens sont très informés, si vous décevez quelqu’un sur la qualité c’est une sanction qui est souvent irrémédiable. Par ailleurs, amener du détails et de la sophistication est aussi important et fait partie de l’identité de la marque.

Le deuxième sujet, c’est l’expérience client. Quand vous ramenez un produit dans une boutique, plus de la moitié des enseignes vous diront « vous ne pouvez pas le ramener ici ». Or, il faut travailler un écoystème de vente. Cela nécessite des investissements dans des outils indispensables. Ensuite il y a tout ce qu’on appelle le retailtainment, particulièrement développé dans le sport et les magasins de jouets. Se rendre en magasin doit être une expérience sympathique, quel que soit l’âge. Que ça soit simplement parce qu’on vous a offert un café et joliment parlé ou que ça soit avec des expériences plus fortes et pas forcément dans le digital, car ces outils, souvent, ne marchent pas. Quand je parle d’expérience client, je ne parle de faire du « whaou » avec des hologrammes etc. Mais simplement de bien servir le client, de faire en sorte que tout soit fluide et qu’il passe un bon moment même s’il n’achète pas.

On parle beaucoup depuis le covid de l'isolement social. Désormais, on se fait tout livré rapidement chez soi, on gagne du temps et c’est une avancée géniale. Mais les personnes adorent parler, elles adorent le lien en boutique, autrement elles n’ont qu’à acheter depuis leur écran. Ce qui crée l’expérience client c’est vraiment la relation, l’altérité, s’occuper de l’autre. C’est un vrai sujet du sens commerçant.

Quelles marques ont récemment renouvelé leur stratégie avec succès ?

Il y en a pas mal. Dans le très haut de gamme, des marques comme Moncler, Fusalp, ou plus accessibles K-way, ont fait des retournements de situation exceptionnels, allant recruter de la GenZ dans des communautés un peu plus street. Par exemple, la marque Aigle, que j’ai accompagnée, a recruté de nouveaux directeurs artistiques, a fait des défilés, a twisté certains produits, est allée davantage sur les réseaux sociaux et est devenue une entreprise à mission. Il faut avoir le temps, ça ne se fait pas en 6 mois, il faut 2, 3 ans pour arriver à être crédible. Il faut du courage pour opérer ces retournements. C’est de l’investissement pour les 3, 4, 5, 10 ans à venir.

Quand une marque est en difficulté, c’est bien de reprendre l’histoire, les fondamentaux, et ensuite on est en développement : collaboration, capsule, licence. Les licences sont très bien pour apporter un storytelling de marque globale et faire un esprit lifestyle.

Comment les marques de mode peuvent-elles mieux maîtriser leur image en ligne ?

Je pense que, preuve en est, zéro erreur ça n’existe pas. Ça arrive toujours par un endroit où vous ne vous y attendiez pas. La meilleure réponse est la transparence, l’authenticité du discours. C’est bien sûr plus facile pour des petites marques que pour des grands groupes. Mais je pense qu’à partir du moment où on est dans la traçabilité de la production... quand bien même vous faites fabriquer au Bangladesh. Le Bangladesh, leur première ressource c’est la production de vêtements. Alors est-ce qu’il est mieux de quitter ces pays-là, ou de rester et d’aider via des subventions à ce que les conditions de travail soient correctes ? On peut fabriquer en France et créer de l’emploi et de la valeur, mais aussi créer dans d’autres pays et les aider à créer leur richesse, cela ne s’oppose pas. Être une jolie marque aujourd’hui, ça n’est pas seulement faire du beau, c’est aussi faire du bien. Le vêtement, de façon très large, est aussi politique.

La seconde main chez les marques : vrai engagement où simple stratégie marketing ?

Ça dépend des marques. Bien sûr que c’est d’abord sous un angle marketing. Je n’ai jamais été autant interrogée sur ce sujet-là. C’est un processus compliqué qui n’est aujourd’hui pas rentable. Quand vous ne perdez pas d’argent en le faisant (en dehors du luxe), c'est déjà pas mal. Mais finalement, même si c’est pour l’image de marque, finalement quand ils le font, je me dis que ça participe à un truc sympa. Oui, la seconde main chez les marques c’est une mode, mais finalement, même si le marketing est leur premier moteur, le processus est compliqué à mettre en place, et c’est un cercle vertueux.

Pensez-vous que c’est là pour rester ?

Sans fait majeur aussi exceptionnel que le covid, je pense que ça va aller vers : « mon premier objectif n’est pas la seconde main mais de produire moins et de produire des articles qu’avec des matières recyclables ». C'est-à-dire que vous enlever les mélanges de matières, tout en restant aspirationnel et en faisant des produits qui soient transmissibles.

Un dernier conseil ?

Il faut être adaptable avec toutes les tendances, mais je pense que ceux qui perdurent sont ceux qui ont la même stratégie dans la durée, voire qui vont proposer des articles qui sont ce qu’on appelle des produits « héritage ». Le vintage n’a jamais été autant à la mode. C’est pour moi le top du top de l’écologie. Les marques se sont mises à la seconde main, mais être vraiment responsable d’un point de vue environnemental, ça va beaucoup plus loin. Ça va de bout en bout de la filière, de l’origine de la production jusqu’à la fin de vie du produit. Et qui mieux que toutes les marques « héritage » savent faire ça ? Je pense à Petit Bateau, à Lacoste, le top étant Hermès, qui est, je pense, le maître de ce genre de produit. Toutes ces marques-là s'adaptent, savent faire du buzz, des collections de mode, mais leur stratégie et ADN sont profondément ancrés.

Portrait de Françoise Clément. Credits: Françoise Clément.
Portrait

Françoise Clément a occupé durant une trentaine d'années diverses fonctions en tant que salarié : chef de produits, chef de groupe puis direction des collections. Elle a créé en 2017 son cabinet de conseil avec un axe réaliste, pragmatique et opérationnel.

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