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Enquête : L’avenir incertain des enseignes de mode dans les centres commerciaux

By Julia Garel

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Business|Exclusif
Centre commercial Val d'Europe, Serris, France. Credits: Klepierre médiathèque.

L’histoire des centres commerciaux en France débute à la fin des années 1960, avec l’inauguration de Parly 2 et de Cap 3000. Rapidement reproduit à travers l’hexagone, ce concept réunissant sous un même toit commerces et services a tôt fait de l’équipement à la personne le cœur de son offre. Mais aujourd’hui, l'inflation et l’évolution des modes de consommation bouleversent ce paysage commercial. Le segment de l'habillement et de l'accessoire, celui qui attirait autrefois les foules dans les allées vitrées des galeries marchandes, vacille et amène à questionner son avenir.

Pour dessiner le futur paysage du marché de la mode au sein des centres commerciaux, FashionUnited a interrogé les experts et professionnels qui œuvrent en coulisse et observent l’évolution du secteur. Leurs informations mettent à jour l’évolution d’un milieu en constante recherche d’adaptation.

Les chiffres de la mode au sein des shopping centers

Entre 2020 et 2023, 30 % des 4 800 magasins appartenant à des enseignes de mode concernées par une procédure judiciaire (André, La Halle, Camaieu, Naf Naf, etc.) se trouvaient en centre commercial et 37 % en retail park (chiffres Knight Frank). Ces procédures ont participé aux taux de vacances importants dans les shopping centers français – en particulier ceux situés en périphérie des villes. En parallèle, les ventes physiques du secteur textile/habillement affichent, depuis plusieurs années, un recul par rapport à la période pré-covid (2019). De cette situation fragile naît un vent de changement au sein des centres commerciaux.

Les chiffres recueillis par FashionUnited auprès de foncières immobilières, gestionnaires de centres commerciaux et shopping centers (voir encart ci-dessous) traduisent néanmoins la résilience d'un secteur habitué aux changements. Le nombre de points de vente du segment mode installés dans les galeries marchandes françaises a légèrement diminué entre 2023 et 2022 mais ne témoigne pas d’une dégringolade. Ce, malgré la décroissance des centres commerciaux depuis les confinements liés au Covid-19. En effet, les chiffres d’affaires des centres commerciaux de centre-ville ont reculé de -3,8% sur la période 2019-2023 et ceux installés en périphérie de -7,7% (chiffres Retail Int.). À noter toutefois que les zones d’activité commerciale et les retail parks ont mieux résisté sur la période observée (2019-2023), avec une décroissance limitée à -2,9%.

Chiffres - La part du segment mode dans les centres commerciaux en France :

• Advantail : 60 % de l’offre des centres Advantail (hors outlet) est composée d’enseignes de prêt-à-porter. La foncière affirme que ce chiffre affiche une stabilité entre 2022 et 2023 mais elle note une baisse de l’ordre de 10 % par rapport à la part pré-Covid. En 2024, l’offre devrait rester stable.

• Beaugrenelle : Le centre Beaugrenelle comptabilise aujourd’hui 44 enseignes sur 115 (segment mode et sport) soit 38,2 % de l’offre. Celle-ci était de 38.4 % en 2022.

• Aushopping : La part des enseignes d’équipement de la personne des sites de Aushopping affiche une légère baisse. Elle était de 30,8 % en août 2022 et de 27,8 % en août 2023.

• Galimmo : 16 % de l’offre des centres Galimmo est composée d’enseignes de mode (chiffre au 30 juin 2023). Ce pourcentage est en baisse de 2 points par rapport au 30 juin 2022 qui était à 18 %. Il ne devrait pas augmenter en 2024.

• MRM Invest : 16 % de l’offre des centres MRM Invest est composée d’enseignes de mode (chiffre au 30 juin 2023). En raison de l’acquisition de deux centres commerciaux, ce pourcentage est en hausse par rapport au 30 juin 2022 qui était de 13%. A périmètre constant, ce chiffre est en légère baisse “liée à des enseignes en difficulté au niveau national”, affirme MRM Invest.

• Klépierre : La part du segment mode au sein des centres commerciaux Klépierre en France est en légère baisse. Celle-ci est passée de 27% en 2022 à 25% de l’offre des centres en 2023.

• Carmila (chiffres issus d’un communiqué) : En 2022, l’équipement à la personne représentait 31 % de l’offre des centres Carmila (celui-ci représentait 37 % en 2017). La société indique dans un rapport se concentrer davantage sur les secteurs de la santé et de la beauté et moins sur celui de la mode.

La polarisation frappante des enseignes de mode

Interrogé par FashionUnited, François Matray, directeur général de la société d’investissement immobilier MRM Invest, assure que maintenir un certain nombre de boutiques de mode au sein de ces galeries marchandes reste crucial. Il explique : « On sait aujourd’hui qu’il y a des difficultés dans l’équipement à la personne, donc on pourrait dire “plus on réduit leur nombre de magasins mieux c’est, car il y a d’autres secteurs qui marchent mieux et bien”. Mais ça ne fonctionne pas ainsi. On a besoin d'une offre de prêt-à-porter dans un centre mais si on ne laisse qu’une ou deux boutiques ça ne marche pas. Il faut laisser une taille critique dans les centres afin qu’il y ait trois, quatre, cinq, sept offres et que le consommateur puisse se dire “je vais aller là-bas parce que si je ne trouve pas dans cette boutique je trouverai à côté”. »

Cette problématique du nombre juste amène à s’interroger sur le type d’enseigne de mode qui trouvera demain sa pertinence dans les centres commerciaux. La réponse reflète le paysage actuel du secteur : l’affaiblissement du milieu de gamme devrait se poursuivre, tandis que les enseignes à petit prix et premium auront une carte à jouer. « Le marché va continuer de se polariser entre ces deux segments – l’entrée de gamme à faible prix et le haut de gamme – j’en suis intimement persuadé », affirme Matray.

Centre Beaugrenelle, Paris. Credits: RICCARDO MILANI / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP.

Le centre commercial français met ainsi en lumière la polarisation qui remodèle actuellement le secteur de la mode. Celle-ci se joue entre, d’un côté, la domination des géants de la fast fashion (Inditex et H&M) ou des enseignes à petit prix comme Kiabi, et de l’autre l’implantation de marques premium.

Quant au très haut de gamme, celui-ci ne fait généralement pas partie de l’équation, du moins pas encore. Selon François Matray, « Dans les centres commerciaux, on peut aller jusqu’à des enseignes premium (Sandro, Maje, etc.) mais on n’a encore jamais vu une boutique Dior ou Louis Vuitton dans un centre commercial en France, à la différence des États-Unis, de l’Asie ou des pays du Golfe par exemple. » Néanmoins, le secteur du luxe n'est plus totalement étranger aux galeries marchandes françaises. Dans un rapport de 2022, Unibail-Rodamco-Westfield affirmait ainsi étendre son activité locative à de nouveaux profils incluant, entre autres, davantage de marques de luxe.

Bien entendu, la sélection retail du segment mode diffère entre un centre situé dans la capitale, tel que Beaugrenelle (qui a accueilli en 2023 la marque de chaussures de luxe Caulaincourt), et un autre installé en périphérie d’une ville de province. Les chiffres transmis par Retail Int. et mentionnés plus haut reflètent cette différence entre shopping center de centre-ville et de périphérie. Quoi qu’il en soit, le cœur de l’offre des galeries marchandes a déjà commencé à évoluer, passant du milieu de gamme et du mass market (avec des enseignes comme Camaïeu, Promod, Minelli, San Marina) à des magasins de fast fashion et des marques premium.

Les marques à séduire

Dans une étude publiée post-covid, le cabinet Deloitte affirme que le milieu de la restauration devient le nouveau moyen d’attirer les visiteurs en centre commercial à mesure que les détaillants de vêtements moins importants ont tendance à partir. Cette affirmation corrobore l’idée d’un shopping center plus seulement obnubilé par la vente au détail mais désormais centré sur les loisirs (restauration, expérience sportive, maison de santé, etc.). Cette évolution, devrait ainsi permettre aux centres commerciaux de trouver un nouvel élan. Avec un bémol toutefois.

Selon un rapport d’octobre 2023 publié par Fnau (Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme) « la relance de l’attractivité des centres commerciaux par le loisir ne semble pas prête à se généraliser, tant ceux-ci ne sont pas identifiés par les consommateurs comme des lieux privilégiés des loisirs ou des lieux facilement accessibles pour pratiquer ces loisirs. » Cette remarque rappelle l’importance évidente, et logique, des commerces dans les centres commerciaux. Bien que la gestion du mix-commercial laisse dorénavant davantage de place à la création d’espaces non-marchands ou à une offre santé plus développée, la pertinence des points de vente de l’habillement/accessoire dans les galeries marchandes demeure tant que l’expérience client s’accorde aux nouvelles attentes des consommateurs (expérience unifiée, ajout de services innovants…) et que les marques se positionnent en faveur de l’écologie et/ou des questions sociales.

L’enjeu pour les foncières est donc d’attirer les commerçants qui valent le coup. Outre les poids lourds comme Zara, Primark ou Nike, les gestionnaires de centres portent leur attention vers les DNVB (Digital Native Vertical Brands) ainsi que les enseignes dynamiques qui ont su se réinventer pour faire face au contexte morose dans lequel se trouve le secteur mode (depuis le début de l'année 2023, les ventes habillement et textile ont subi un repli de 7,1 % vs 2019). Parmi les entreprises au succès croissant, citons par exemple Gémo, Kiabi, Tape à l'œil, mais aussi Faguo et JD Sport.

« Le nerf de la guerre c’est de savoir où elles vont faire du chiffre d’affaires », explique Matray en parlant des marques de mode. « Le point de départ est de savoir comment faire pour avoir une attractivité sur un site et une adéquation entre le client et l’enseigne. On travaille beaucoup sur des études clients afin de savoir qui ils sont, et ils sont différents dans chaque zone de chalandise. Pour certains de nos sites, on n'essaiera pas d’aller chercher Zara parce que cela ne marcherait pas forcément. En revanche, on a par exemple un site en région parisienne sur lequel on est aujourd’hui en train de travailler pour changer les enseignes, là on contacte Zara et H&M parce que l’on pense que l'on a du potentiel pour un magasin de ce type. »

Et pour séduire les nouveaux acteurs de la mode à l'approche retail rafraîchissante, les foncières ont mis en place des compétitions et remises de prix, tel que le Grand Prix Commerce introduit par Unibail-Rodamco-Westfield, le Prix Engagé pour demain du groupe Galimmo ou encore le Prix DNVB Ready de Carmila. Ces événements débouchent généralement sur l’accompagnement des lauréats dans leur démarche commerciale et d’installation. C’est entre autres par ce biais que plusieurs DNVB ont commencé à investir les centres commerciaux.

L'indispensable modernisation

En vue de séduire les « marques qui marchent », les centres commerciaux font peau neuve tout en s’accordant aux nouvelles normes écologiques. Dans leurs rapports annuels, la plupart des gestionnaires communiquent les chiffres de leurs réalisations et objectifs en matière d’impact environnemental. Au-delà des efforts engagés en interne, les transformations tendent aussi à rendre visible l'aspect « green » des sites via, par exemple, la création de façades végétalisées. De quoi répondre aux attentes des 92 % de Français qui fréquentent les centres commerciaux (chiffre issu d'un sondage réalisé en 2023 par OpinionWay pour Lonsdale). Selon cette étude, les espaces végétalisés et aires de repos font partie des souhaits prioritaires des visiteurs.

Les mesures écologiques sont d’autant plus nécessaires que les récentes évolutions législatives issues de la loi Climat et résilience limitent fortement la création de projets commerciaux et encouragent à leurs transformations. Comme l’indique le site de L’institut Paris Région, « la future production commerciale pourrait dorénavant se partager entre les extensions et restructurations des grands centres commerciaux existants et la réalisation d’opérations plus mixtes. »

Et lorsque de nouveaux projets sortent de terre, il s’agit moins de centres commerciaux classiques que de retail parks (ensemble commercial à ciel ouvert) présentés comme des ensembles urbains mixtes, installés sur des sites au passé industriel. C’est le cas de l’espace de loisirs et de shopping Neyrpic (développé par Apsys) qui ouvrira ses portes en 2024. Le lieu situé à l’entrée de Grenoble, dans d’anciennes usines restaurées, proposera 40 % de points de vente appartenant au segment mode (dont Sandro, Maje, Claudie Pierlot, Stradivarius, Pull & bear, Bershka ou encore Mango, Levi’s, Teddy Smith, et Undiz).

Le sujet de l’impact environnemental se joue également au niveau de l’offre commerciale mode des centres. Sans surprise, le marché de la seconde main a ainsi fait son entrée chez plusieurs d’entre eux. Et sa présence prend des formes variées. En 2023, Beaugrenelle organisait par exemple une vente de vêtements de seconde main premium avec Oh My Frip, tandis que Galimmo renforçait ses collaborations avec Emmaüs, que le groupe Klépierre organisait des festivals de seconde main et que depuis 2021, au Westfield Forum des Halles, l’entreprise de re-commerce The Second Life offre la possibilité aux visiteurs de vendre des articles de mode contre une carte cadeau dans le centre commercial.

Point de vente KiloShop au sein du centre commercial Ateliers Gaîté, à Paris. Credits: RICCARDO MILANI / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP.
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