L’industrie textile française peut-elle être relocalisée ?
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S’inspirant de l’industrie du luxe qui veille scrupuleusement à la préservation des savoir-faire locaux, la filière mode et textile n’est plus opposée à la relocalisation de la confection textile.
Au cours du XXème siècle, la confection textile française a été massivement délocalisée dans les années 60 vers le sud de la Méditerranée – au Maroc, en Tunisie et en Turquie notamment – puis vers l’Asie – principalement la Chine, mais aussi le Bangladesh, le Vietnam et l’Inde – à partir des années 80. L’émergence de puissants groupes de luxe a freiné ce mouvement en mettant fin à une politique de licences tous azimuts et en exaltant la qualité des savoir-faire locaux. Cette stratégie, couronnée de succès, a incité la filière mode et textile à s’interroger à son tour sur la pertinence d’une relocalisation en phase avec les besoins d’une clientèle qui clame l’importance de l’éthique et de l’écologie.
Premier résultat de cette prise de conscience basée sur la tendance du « consommer local » : le nombre d’emplois remonte depuis 2016 et le textile français relève doucement la tête. Aujourd’hui, selon l’Insee, l’industrie textile représente 2 pour cent de la valeur ajoutée de l’industrie manufacturière en France et emploie 103 000 salariés. On revient de loin : entre 1996 et 2015, elle avait perdu 51 pour cent de sa production, 40 pour cent de sa valeur ajoutée, et 66 pour cent de ses effectifs salariés. Le retour à la production locale, incarnée par des PME de 10 à 250 salariés organisées en groupe, est certes soutenu par le secteur du luxe et de l’innovation, mais aussi par les enseignes de distribution qui, elles aussi, passent de nouveau des commandes aux entreprises françaises.
Un frémissement de réindustrialisation
La pandémie, avec les difficultés d’approvisionnements qui l’accompagnent, semble fortifier ce mouvement. « On sent une vague de retour du made in France, indique au micro d’Europe 1, le chef d’entreprise Arnaud de Belabre qui a repris avec un associé l’ancienne manufacture Marcoux Lafay située dans la petite commune rurale de Sainte-Agathe-la-Bouteresse, en region Auvergne-Rhône-Alpes. La manufacture produit de la layette mais aussi des pulls qui sont livrés chez Leclerc ou Carrefour. Cette tendance est confirmée dans l’ensemble du bassin textile de Roanne, indique par ailleurs Eric Boel, qui dirige les Tissages de Charlieu. La PME a signé un contrat sur cinq ans avec Auchan.
Une tendance qui ne se limite pas à la Loire. Dans le Nord, berceau d’une industrie textile autrefois florissante, des projets se multiplient : avec 14 000 emplois répartis dans 400 entreprises, le Nord est la deuxième région textile de France après l’Auvergne-Rhone-Alpes. Les peignages Dumortier à Tourcoing viennent de lancer un programme de 3,6 millions d'euros d'investissement pour remonter un atelier de préparation d'étoupe de lin (600 tonnes par an), Dickson Constant (filiale du groupe américain Glen Raven) spécialisée dans le textile d’extérieur a investi 50 millions d’euros à Hordain près de Valenciennes pour un nouveau site de production qui a démarré son activité en juin dernier.
La société Textiles des Dunes, spécialiste de la viscoce, va recruter 10 nouveaux collaborateurs pour développer de nouveaux fils avec une faible empreinte écologique. Utti veut mettre au point une usine de fabrication de machinerie textile made in France permettant la mise en œuvre de nouvelles technologies de teinture révolutionnaire et écologique. La société Textile de la Thierache veut implanter une unité industrielle unique en France afin de produire des fils utilisant des ressources locales provenant de déchets textiles. En mai dernier, Safilin expliquait vouloir relocaliser la production de fil de lin dans les Hauts de France avec une nouvelle unité de filature dont l’implantation représente un investissement de 5 millions d’euros. Enfin, il faut citer la création, soutenu par Blancheporte, ID Groupe (Okaîdi, Obaïdi, Oxybul), Tissage de Charlieu et la bonneterie Lemahieu d’un atelier roubaisien par l’association Fashion Green Hub qui prototype des miniséries et des collections capsules depuis 2015 pour des enseignes et des créateurs. Autre projet significatif : la future usine à jean de la galaxie Mulliez au nord de Lille. Certes, on est loin des 200 000 salariés que totalisait la filière textile dans le Nord et le Pas de Calais dans la deuxième moitié du siècle dernier, mais le frémissement est là.
Cette volonté se heurte à de nombreux écueils, notamment le trop plein de labels illisibles, différents selon chaque territoire. Le principal écueil reste néanmoins la pénurie de main d’œuvre. Avec le déclin de l’industrie textile, les savoir-faire se sont envolés et n’ont pas été transmis. À l’instar des maisons et groupes de luxe comme Hermès ou LVMH, les PME créent leurs propres écoles de formation. À Roubaix, l’Epicc (École de production industrielle de couture et confection) a accueilli sa première promotion le 7 octobre 2021. La filiere se reconstitue donc peu à peu et étaye ses arguments : « Cent pantalons confectionnés en France génèrent cinq tonnes de CO2, contre 25 tonnes en Tunisie et 36 tonnes en Chine », détaille au journal Les Echos l’entrepreneur Pascal Lairy qui dirige L’Ascenseur, spécialiste de l’uniforme de travail situé à Merville et qui vise une relocalisation totale de sa production d’ici à 2025.
Attention tout de même à ne pas crier cocorico trop vite : 97,7 pour cent du textile d’habillement acheté en France est du textile importé. De quoi donner du grain à moudre aux dispositifs mis en place grâce au plan de relance économique baptisé France Relance depuis septembre dernier. Au total, sur la période 2020-2022, ce plan de relance déployé par le gouvernement français mobilisera 35 milliards d’euros en faveur de l’industrie. Au sein de la filière textile habillement, ce plan a déjà accompagné plusieurs projets d’industriels, notamment le projet de Velcorex dans le Haut Rhin, celui de Bignon Dervaux (Loire), Gebetex (Eure), Cordelin Lancelin (Mayenne) mais aussi le projet la marque Maison Thevenin, de la marque Tricots Saint James ou celui de Petit Bateau dans l’Aube qui visera à transformer le site industriel historique troyen de la célèbre marque pour enfants en une plateforme régionale de production à la demande.
Crédit photo : Safilin