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LVMH aurait espionné François Ruffin durant trois ans grâce à l’ancien patron des renseignements

By Herve Dewintre

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Le journaliste Fabrice Arfi, co-responsable du pôle « enquêtes » de Mediapart, a égrené ce dimanche 11 juillet un chapelet de tweets lapidaires annonçant la publication prochaine par le site d’informations dirigé par Edwy Plenel, d’une série d’enquêtes multimédia dont l’intrigue s’articulera autour des interceptions judiciaires ayant visé l’ex-chef des services secrets intérieurs, Bernard Squarcini. Le journaliste l’affirme : ces interceptions révèlent l’existence d’un Etat privé au cœur de l’Etat.

« Mediapart est en mesure d’apporter la preuve que la présidence de LVMH a directement demandé à pouvoir infiltrer le journal du futur député pour mieux l’espionner en temps réel » tweete le journaliste. Le futur député en question, c’est François Ruffin. L’accusation n’est pas nouvelle. En mai 2019, le site d’investigation affirmait déjà que François Ruffin et le journal indépendant Fakir, à Amiens, étaient espionnées par le groupe de luxe. Cette fois-ci, Mediapart va plus loin puisqu’il révèle des écoutes privées entre la secrétaire particulière de Bernard Arnault et l’ancien chef des services secrets intérieurs.

Flashback. Mars 2015. François Ruffin n’est pas encore député de la Somme. Il tourne un documentaire à charge contre LVMH. Le titre: « Merci Patron ! ». Un titre ironique puisque le réalisateur se filme dans ce documentaire aidant une famille licenciée par une entreprise qui sous-traite pour le groupe de luxe. A juste titre, cela inquiète Bernard Arnaud. C’est en tout cas ce que suggère la conversation téléphonique publiée ce jour par Mediapart. Dans cette conversation que le journal ne date pas, on entend une femme que le site d’informations présente comme la secrétaire particulière de Bernard Arnault. Elle appelle Bernard Squarcini dont il faut dire ici quelques mots.

Né à Rabat en 1955, Bernard Squarcini a fait une brillante carrière au sein de l’Etat Français avant de devenir consultant indépendant en 2013. Proche de Nicolas Sarkoy, il fut notamment l’un des artisans, comme inspecteur général de la police nationale, de l’arrestation en 2003 d’Yvan Colonna, l’assassin présumé du préfet Claude Erignac. En juillet 2008, il est nommé à la tête de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) née de la fusion entre la DST et la DCRG. Un poste digne de Fouché, qui lui permet de tout savoir sur tout et sur tous.

En 2012, avec l’arrivée de François Hollande au pouvoir, le haut fonctionnaire quitte ses fonctions et fonde dans la foulée la société Kymos Conseil où il exerce les fonctions de consultant indépendant. Le principal client de Kymos est LVMH. Officiellement, le groupe de luxe charge le consultant de la lutte contre l’importation de produits de luxe de contrefaçon. Rien d’illégal à cela. Plusieurs journaux dont Le Canard Enchainé affirment cependant que des opérations clandestines aux frais de l’Etat Français sont menées pour le compte de LVMH par l’entremise de l’ancien patron des renseignements intérieurs.

Des accusations prises au sérieux par la justice. Une enquête judiciaire révélait d’une part, qu’en 2012, peu après son départ de la direction de la DCRI, Bernard Squarcini avait demandé la mise en place d'un important dispositif de surveillance, destiné à identifier l'auteur d'un chantage visant Bernard Arnault (un salarié du groupe de luxe avait été finalement identifié et licencié) et d’autre part, toujours à la même époque, que Squarcini avait fait suivre à sa hiérarchie une synthèse de la plainte déposée contre LVMH par Hermès, après l'avoir obtenue de Christian Flaesch, alors directeur de la police judiciaire.

Des réseaux policiers au service de LVMH ?

Voici donc la question essentielle à laquelle la justice s’interesse aujourd’hui : Bernard Squarcini a-t-il utilisé ses anciens réseaux au sein de la police et des services de renseignements afin d’obtenir pour le compte de LVMH notamment, des informations confidentielles ? En 2016, un document révélé par Le Monde synthétisait des conversations téléphoniques interceptées en avril-mai 2013 : on y apprenait que l’ancien patron de la DCRI (devenue depuis DGSI) échangeait avec le magistrat salarié de LVMH à propos de la procédure judiciaire opposant le groupe de Bernard Arnault à son concurrent Hermès. On y apprenait également que Bernard Squarcini avait demandé des renseignements sur ce dossier économique stratégique à Christian Flaesch, toujours en poste à l'époque. Celui-ci n’avait pas hésité à informer le consultant sur l’état de la procédure. LVMH, qui a soldé son contentieux avec Hermès en 2014, n’a jamais fait de commentaire à ce sujet.

L’affaire n’est pas terminée. Elle est même élargie depuis octobre 2019 en raison de la plainte déposée par le député insoumis François Ruffin et l’association Fakir qui publiait le journal du même nom. Le parquet de Paris a choisi de délivrer un réquisitoire supplétif permettant aux deux juges d'instruction déjà chargés des investigations sur l'affaire Squarcini d'enquêter également sur ces faits de « vol » et « recel de vol ». Dès octobre 2019, la défense de François Ruffin dénonçait la « surveillance » dont il aurait fait l'objet « pendant près de trois ans ». Une opération qui aurait été diligentée par Bernard Squarcini à la demande du groupe de luxe LVMH.

La conversation téléphonique dévoilée aujourd’hui par Mediapart s’inscrit dans le cadre de cette affaire. « Il m’a parlé de Ruffin » indique d’emblée une personne qui est présentée par le site d’investigation comme étant la secrétaire particulière de Bernard Arnault. « Il est très stressé avec ça Monsieur Arnault. » insiste t-elle avant d’adresser cette requête très claire à l’ancien patron des renseignements : « On s’est dit que demain vous aviez rendez-vous de toute façon ; et ce qui serait peut-être pas mal si ça ne vous embête pas, c’est qu’après, mais ça, vous avait l’habitude de le faire, lui faire après une petite note de tout ce que vous allez faire ». Cette demande ne trouble pas Bernard Squarcini qui répond d’un ton rassurant : « pas de problème. J’ai trouvé la boite qui a infiltré l’organisation. Donc je suis en train d’organiser tout ça et on va faire un service personnalisé. » De quoi étayer les accusations portées par le député insoumis contre le groupe de luxe et d’alimenter le feuilleton estival d’une affaire à tiroirs aux allures de roman policier.

Crédit : Unsplash

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