Marges luxe, volumes mass market : pourquoi l’optique est le nouveau retail
Exit la niche médicale, l’optique s’impose comme un pilier à part entière du retail. Avec des marges qui flirtent avec le luxe, des volumes comparables au mass market et une attractivité grandissante pour les géants de la Tech, le secteur entre dans une zone de bascule.
Le marché mondial de l’eyewear s’élève à environ 200,5 milliards de dollars en 2024 et devrait atteindre 335,9 milliards d’ici 2030, avec un taux de croissance annuel composé (CAGR) de 8,6 % entre 2025 et 2030, selon Grand View Research. Ces fondamentaux, liés à la demande non cyclique de santé visuelle, confèrent à l'optique une résilience significative face aux crises économiques.
Santé visuelle, premiumisation et lunettes connectées : les signaux convergent vers un marché en pleine refonte. Ce point d'inflexion est déjà en marche. Pour les dirigeants, la vraie question n’est plus « si », mais « comment » saisir cette croissance.
Chiffres clés du marché eyewear (2025)
• Taille du Marché Mondial : 200,5 à 210 milliards de dollars (Grand View Research, 2024)
• Projection 2030 : 335 à 340 milliards de dollars (Grand View Research, 2024)
• Croissance Annuelle (CAGR 2025–2030) : +8,6 % (Fortune Business Insights, 2024)
• Taille du Marché Français : 7,8 milliards d’euros (GfK / Analyses Sectorielles Octika, 2024)
• Segments Porteurs : Lunettes correctrices, Solaires non-correctrices, Lunettes de lecture (Grand View Research, 2024)
Un marché aux fondamentaux solides : l’attrait des marges
Si l’optique attire les investisseurs et groupes du luxe, c’est avant tout grâce à sa structure financière singulière. Le secteur conjugue une demande indispensable à des marges brutes comparables à celles du luxe, en grande partie grâce à la valeur ajoutée technique (verres progressifs, traitements) et à l’image de marque (montures griffées).
L’équation produit de soin et accessoire de mode
La marge sur montures et verres s’appuie sur une double logique : fonction et esthétique. Le challenge pour les dirigeants est d’optimiser la valeur à vie du client (LTV) – en transformant l’achat initial de correction en opportunités de réachat (solaires, lunettes de lecture, accessoires).
Le marché français a généré 7,8 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2023, porté principalement par les verres correcteurs. Bien que ces derniers dominent le marché, ce sont les segments solaires et de lecture qui enregistrent les taux de croissance les plus élevés. Pour les acteurs, le défi consiste à gérer une segmentation tarifaire stricte pour protéger la rentabilité sur le premium face aux contraintes réglementaires du soin.
Le segment premium finance l’innovation, notamment en design et technologies avancées (smart glasses, verres haute performance) et devient un moteur stratégique de différenciation. Le mass market, sous pression des pure players et de la standardisation, assure le volume et la récurrence. Les marques les plus performantes combinent ces deux leviers par une stratégie ciblée de cross-selling, montée en gamme et segmentation tarifaire, maximisant valeur client et rentabilité globale.
Qui domine le jeu : les hubs et champions de l’optique mondiale
L’optique mondiale repose sur quelques pôles majeurs, chacun occupant une place spécifique dans la chaîne de valeur – du design à la distribution, en passant par la technologie et la production.
Italie – le centre du design et des licences de luxe
L’Italie concentre la production mondiale de montures premium avec Luxottica, Safilo et Marcolin, qui allient design, savoir-faire et licences de marques internationales (Prada, Dior, Gucci). Ces groupes captent la plus forte valeur sur le segment mode haut de gamme, selon Statista.
France – la puissance technologique et intégrée
Avec EssilorLuxottica, la France détient une position unique : maîtrise de la R&D sur les verres, des licences de mode et de la distribution (Sunglass Hut, Ray-Ban Stores). D'après le média Les Echos, ce modèle d’intégration verticale renforce sa résilience et son pouvoir de fixation des prix.
États-Unis – les pionniers du digital direct-to-consumer
Des marques comme Warby Parker ou Zenni Optical ont redéfini l’optique en ligne avec des modèles digital-first, transparents et communautaires. Ces acteurs misent sur la donnée et la personnalisation pour fidéliser à grande échelle, précise le Financial Times.
Asie – la double force production + désirabilité
La Chine et Taïwan assurent environ 90 % des montures vendues en Europe (chiffre Le Monde), tandis que la Corée du Sud se distingue avec Gentle Monster, qui combine expérimentation design et retail immersif. L’Asie devient à la fois atelier mondial et moteur de tendances culturelles.
En somme, l’Europe domine la désirabilité et la marque, l’Asie détient la capacité industrielle et les États-Unis accélèrent sur la technologie et la data. Une triangulation qui structure désormais l’économie mondiale de l’optique.
Cette répartition géographique traduit une capture de valeur différenciée : l’Europe, via le design et les licences, capte la majeure partie des marges, tandis que l’Asie fournit la production à faible coût. Les acteurs intégrés verticalement, capables de combiner R&D, licences et distribution (comme EssilorLuxottica), bénéficient ainsi d’un pouvoir de pricing élevé et de barrières à l’entrée fortes, consolidant leur position face aux nouveaux entrants.
Les quatre moteurs de la croissance (et la montée inévitable des M&A)
La trajectoire projetée, avec une croissance annuelle de l’ordre de 5 à 8 %, tire sa force de quatre leviers clés et appelle une consolidation grandissante du secteur.
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Démographie, fatigue visuelle et urgence sanitaire : Le vieillissement de la population nourrit une demande continue pour les verres progressifs. En parallèle, l’usage massif des écrans favorise l’augmentation des troubles visuels, notamment chez les jeunes générations. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près d’une personne sur deux pourrait souffrir d’un trouble visuel d’ici 2050, un phénomène désormais considéré comme l’une des grandes « épidémies » de santé publique à venir.
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Healthtech × Fashion : la lunette comme symbole de statut : La lunette a dépassé sa fonction corrective pour devenir un accessoire de statut puissant. Deux forces accélèrent cette premiumisation : • Visibilité sociale – la lunette est plus visible que n’importe quel accessoire de beauté ou bijou. Omniprésente sur les photos et les réseaux, elle est devenue un marqueur d’identité et de style. • Porte d’entrée vers le luxe – une monture griffée reste plus accessible qu’un sac haute couture, tout en véhiculant une dimension statutaire forte. EssilorLuxottica incarne cette hybridation en combinant technologie des verres et licences de mode pour dominer une chaîne de valeur intégrée.
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E-commerce, 3D et disparition des frictions : L’essor de la réalité augmentée et des modélisations 3D ultra-réalistes réinvente l’essayage en ligne. Le partenariat L’Oréal × Nvidia (moteur Omniverse) illustre cette convergence beauté-tech : modéliser visages et montures virtuelles pour fluidifier l’achat sans déplacement (même si L’Oréal ne commercialise pas à ce jour de montures de lunettes sous licence propre). La suppression de la friction liée à l’essayage repositionne les opticiens traditionnels : ils deviennent à la fois points de vente premium, hubs de conseil et supports d’expérience digitale immersive. Les marques intégrées verticalement disposent ainsi d’un avantage compétitif majeur par rapport aux pure players low-cost, qui peinent à offrir la même qualité d’expérience et de personnalisation.
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Innovation produit : vers la lunette connectée : Les smart glasses combinent réalité augmentée, capteurs santé et connectivité. Le partenariat Meta × Ray-Ban (via EssilorLuxottica) en est le précurseur, croisant logiciel, hardware et mode.
Cette convergence ouvre la voie à une vague de fusions-acquisitions plurielles, avec des partenariats intersectoriels visant à constituer des entités capables de maîtriser l’ensemble de la chaîne de valeur, d’accélérer l’innovation et de s’adresser à un spectre plus large de consommateurs.
Freins structurels à anticiper
Pression réglementaire et modération des prix en France
La réforme “100 % santé” impose une transparence stricte et des plafonds de remboursement, notamment sur les offres de soins de base. Pour préserver les marges, les acteurs doivent segmenter clairement leurs gammes et justifier la valeur différenciante du premium.
Dépendance à l’Asie et résilience de la supply chain
En France, seulement 10 % des montures vendues sont fabriquées localement. La quasi-totalité est importée, souligne Le Monde, exposant les acteurs aux fluctuations tarifaires, aux coûts logistiques et aux enjeux de durabilité.
Cette forte dépendance à l’Asie expose les acteurs à des risques géopolitiques, coûts douaniers et tensions logistiques. Les stratégies gagnantes pourraient inclure une relocalisation partielle, diversification des fournisseurs et intégration verticale, afin de sécuriser la supply chain tout en maintenant la compétitivité prix et la durabilité.
Pression du low-cost et incertitude technologique
Les pure players volume, comme Lunettes pour tous, mettent les marges sous tension, tandis que les smart glasses restent un marché émergent : design, coût, vie privée et adoption grand public demeurent des défis majeurs.
Scénarios 2030 : vers quel business model ?
Avec un marché mondial pouvant atteindre 340 milliards de dollars d’ici 2030, deux modèles d’affaires devraient concentrer l’essentiel des parts de marché.
- Le modèle « Tech Push » : la lunette devient un objet connecté omniprésent. Les acteurs maîtrisant les alliances AR/IA et les plateformes omnicanales domineront.
- Le modèle « Discount Shock » : la guerre des prix, alimentée par l’automatisation et le low-cost, ne laissera subsister que deux refuges – l’ultra-premium et les services à forte valeur ajoutée (abonnements, garanties, réparations).
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