Matériaux durables : un défi commercial basé sur la confiance
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L'accélérateur Fashion for Good a convié des innovateurs à présenter leurs matériaux à plus de 150 visiteurs. Ces professionnels participent à rendre l'industrie textile et la mode plus durable à travers des produits de haute qualité à des prix compétitifs, distribués à grande échelle.
Les visiteurs, réunis dans la salle principale du musée Fashion for Good (Amsterdam), avaient de grandes attentes. Au programme, « un symposium », une réunion officielle au cours de laquelle les chercheurs ont pu présenter leurs projets et transmettre leurs connaissances. L'événement a également accueilli la presse, des partenaires de marque tels que PVH et des parties prenantes comme ZDHC et OCA. Tous les participants ont été invités à se questionner sur l'empreinte des produits textiles, largement déterminée par les choix de matériaux. Le symposium a ainsi permis de présenter des alternatives durables.
Cet événement s’inscrivait dans la continuité d’anciens symposiums organisés par Fashion for Good sur le tri (à Amsterdam en 2022) et la transformation de l’industrie (pendant l'ITMA en 2023).
La directrice Katrin Ley a introduit le symposium avec des mots justes : « De nombreux innovateurs présents dans la salle ont récemment été mentionnés dans les médias en raison de hauts et de bas majeurs. » Les participants ont soulevé des questions relatives au futur de la mode durable, et en tant que tel, le symposium visait à fournir des éléments de réponse à travers cinq panels et une exposition.
Une hausse de la demande de matériaux durables
Le symposium a été lancé par la directrice de l'innovation de Fashion for Good, Georgia Park, avec une « feuille de route de l'innovation en matière de matières premières » : un aperçu des mesures nécessaires pour démocratiser l'usage à grande échelle de matériaux durables dans la mode. « Les matériaux sont cruciaux dans le voyage vers zéro émission nette. La bonne nouvelle, c'est que les marques le voient aussi et prennent des engagements. La demande est là », a déclaré Park. L'innovation durable doit provenir de matériaux existants [16 % de l'objectif de réduction des émissions de CO2 pour 2050], comme le coton certifié, et de nouveaux « Next Gen Materials » [13 %], tels que le recyclage de fibre à fibre.
Cela ne signifie pas que ces matériaux seront bientôt produits, transformés et achetés. Actuellement, la catégorie des matériaux « Next Gen Materials » représente moins de 1 % de la production mondiale de fibres. À partir de ses propres analyses, Fashion for Good a conclu qu’elle pourrait atteindre 13% d’ici 2050, avec une capacité de 18,6 millions de tonnes. Cet objectif peut être réalisé en développant à grande échelle des fibres naturelles alternatives et des cellulosiques à faible impact (CMCF), des fibres animales et des alternatives au cuir (sans plastique), des méthodes recyclage mécanique et chimique avancé, et des biosynthétiques.
En outre, Park a ajouté : « Le chemin vers le déploiement à grande échelle de matériaux à impact négatif n'est pas facile dans le climat macroéconomique actuel, où le financement est limité. Le “business as usual” ne fonctionne pas pour les innovations en matière de nouveaux matériaux. » Jusqu’en 2030, la responsabilité doit être partagée entre les innovateurs, l'industrie et le système [les décideurs politiques].
Carbone renouvelable
Les fibres synthétiques forment l'épine dorsale de l'industrie textile et de la mode avec une part estimée à 65 %. La majorité provient du pétrole et seule une petite proportion est recyclée en PET (11 %), en polyamide recyclé (PA) (0,1 %) ou en biosynthétique (0,1 %). C'est pourquoi la transition des fibres synthétiques d'origine fossile vers les fibres biosourcées, basées sur le CO2 et recyclées est si importante. C'est à partir de ce constat que Michael Carus, PDG de l'Institut Nova et fondateur du projet Renewable Carbon, a ouvert son discours. D’ici 2050, Nova souhaite totalement exclure les fibres synthétiques d'origine fossile.
Les perspectives des polymères biosourcés sont prometteuses, avec un taux de croissance annuel moyen de 17 % entre 2018 et 2028 (supportées par l'innovation en Asie).Il s'agit de polymères extrêmement divers qui, comme l'a argumenté le directeur de l'innovation d'Adidas, James Tarrier, ne feront pas toutes leur chemin. « Il y aura des gagnants et des perdants. » Les fibres textiles biodégradables telles que l'acide polylactique (PLA) et le polytriméthylène téréphtalate (PTT) sont étroitement surveillées, en raison des préoccupations croissantes concernant les microplastiques. La question des biosynthétiques a été largement abordée lors du symposium. Ces derniers sont considérés comme des alternatives aux polymères non renouvelables tels que le nylon, le polyester et le polyuréthane (PU).
Les biopolymères seuls ne suffisent pas pour parvenir à la neutralité carbone. Michael Carus a confié être « 100 % sûr » que les textiles à base de CO2 et les fibres recyclées devraient jouer un rôle important. Le plus grand producteur chimique du monde, BASF, se range également de son côté. Quant à savoir s'il restera suffisamment de matières premières pour l'industrie de la mode, cela reste à voir, a déclaré le porte-parole Tobias Bastian Schwab, qui a participé à distance au panel. « Les systèmes de collecte sont largement sous-développés et d'autres industries, telles que l'emballage et la mobilité, passent en premier, » a-t-il noté.
Les biopolymères sont actuellement encore très fragmentés - la présentation en comprenait 17 types - et le recyclage efficace nécessite de grandes quantités de matières premières.
Des défis en matière d'infrastructure, d'évaluation des performances des nouvelles fibres, d'intégration de la chaîne, de commercialisation et de manque de normes ont aussi fait l’objet de discussions. La transition carbone pour les fibres textiles est cependant confrontée à un problème éducatif. « Les distributeurs comme BASF déterminent l'empreinte réelle. La réalité est que l'industrie de la mode achète jusqu'à 95 % de ses fibres d'origine fossile en Chine. Par conséquent, leur empreinte est jusqu'à trois fois plus élevée », a souligné Schwab. En palliant ce problème, l'industrie peut devenir considérablement plus durable.
Enfin, Carus a souligné l'importance de déclarations carbone vérifiables et honnêtes. La méthodologie PEF, la norme de l'Union européenne pour déterminer l'empreinte carbone d'un produit, ne reconnaît pas l'absorption de CO2 par les plantes, par exemple. D'autre part, une mise à jour des bases de données d'analyse du cycle de vie (ACV) permet de montrer que les variantes biosourcées sont meilleures que les plastiques classiques PE, PP et PET. Cela montre qu'un impact rapide est possible si des mesures sont mises en place comme une TVA ou une taxe française sur la fast fashion promettent de le faire.
Le chapitre du carbone renouvelable s'est conclu sur le slogan des panels : l'éducation est la clé. Des initiatives entre les marques et les fournisseurs sont nécessaires pour apprécier les performances des nouvelles fibres. Tarrier d'Adidas a déclaré qu'il travaillait activement avec l'équipe d'innovation pour comprendre les nouvelles fibres. « Sinon, les défis liés au polyester que nous connaissons, se répéteront. Il y a trop de pression sur les marges pour commettre des erreurs », a-t-il noté.
Déchets agricoles
Pour illustrer le potentiel des matériaux naturels inexploités, les participants du projet 'Déchets Agricoles Inexploités' ont été mis en lumière : le fabricant Shahi Exports et l'innovateur en matériaux Shikha Shah. Ensemble, ont produit des tissus similaires au lin avec des restes de banane, d'orange et de chanvre, en mono-variétés et mélangés avec du lyocell ou du coton, par exemple. Les vêtements fabriqués à partir de ces tissus répondaient aux exigences de performance et l'impact du processus de production, mesuré en gaz à effet de serre (GES), en consommation d'eau et en potentiel d'eutrophisation, était positif.
Les résidus agricoles tels que les balles de riz et la paille de blé sont abondants dans le monde entier. À ce jour, aucune infrastructure dédiée à la fabrication de fibres textiles à partir de ces résidus n’a été aménagée. Shahi a cependant déclaré avoir trouvé un modèle qui pourrait fonctionner à grande échelle. La porte-parole Gauri Sharma a ajouté : « Après la récolte, nous laissons des agriculteurs du monde entier collecter leurs résidus. Nous transformons cette biomasse [par un processus d'acclimatation] en une structure semblable au coton. En quatre ans, nous sommes passés d'un pilote à une installation industrielle, qui est opérationnelle depuis 16 mois. Des collaborations avec des marques de mode sont cruciales pour développer ce type de solution. »
Comme les « déchets agricoles » ne correspondent pas aux normes de recyclage existantes, les partenaires ont développé une « Norme de Gestion des Résidus » en collaboration avec Control Union. Sharma a poursuivi : « Initialement, c'était pour nous-mêmes, mais nous voulons également le rendre disponible au reste de l'industrie. »
Alternatives au cuir
Beaucoup des matériaux mis en lumière aujourd'hui sont inconnus des consommateurs. Ce n'est pas le cas pour les alternatives au cuir. Sur le panel, se trouvait Gavin McIntyre, co-fondateur d'Ecovative, qui a parlé avec fierté des progrès faits sur ses produits à base de mycélium. « En un an, notre équipe a réussi à tripler la résistance. Tous nos processus, de la croissance du mycélium [dans une ferme verticale] à la finition, ont lieu dans un rayon de 200 kilomètres, » a noté McIntyre.
FashionUnited s’est également entretenu à Mira Nameth, fondatrice de Biophilica. La société a développé TreeKind, un matériau similaire au cuir fabriqué à partir de déchets récoltés dans des parcs et jardins ainsi qu’un adhésif bio à base de produits pétroliers. Lors d'un test visant à évaluer l’usure du matériau, TreeKind est apparu comme une meilleure alternative que le cuir animal. Des collaborations réussies avec la marque de montres ID, BEEN London, Bestseller, et plusieurs subventions et investissements ont permis à l'entreprise de passer rapidement de faire évoluer sa production. Nameth a commenté à ce sujet : « Nous voulons montrer que ces matériaux ont les mêmes performances, voire meilleures [que celles du cuir]. Comme Ecovative, nous utilisons les ressources déjà disponibles en intégrant notre formule [plug-in] dans les lignes de production PU et PVC. Nous avons mené des essais en Europe. En 2024, nous mettons le cap sur l’Asie. »
Le partenaire de Fashion for Good, PVH, qui a investi dans les deux alternatives au cuir, a également participé à la conversation. Margherita Guaschino, responsable de l'innovation produit, a confié : « Les fabricants sont quelque peu réticents à travailler avec ces nouveaux matériaux. » C'est précisément pourquoi la collaboration avec les marques de mode est aujourd’hui si importante « pour capturer les exigences », a soutenu Nameth. « Vous pouvez tester toute la journée, mais ce n'est pas la même chose que de fabriquer vos produits dans une usine. Le chemin vers le marché est crucial. »
Guaschino a également souligné la nécessité d'aligner les normes et certifications qui peuvent soutenir les revendications, comme celle d'un matériau biodégradable. « Sinon, les matériaux ne peuvent pas être considérés comme des solutions commerciales », a-t-elle ajouté.
Recyclage avancé
Le recyclage façonne la matrice des matériaux futurs. Les collaborations entre des marques établies telles que Gap et Inditex (Ambercyle) et H&M (Syre) et les innovateurs eux-mêmes (PurFi et Arvind) suggèrent un intérêt à la fois des start-ups et des entreprises établies. La directrice de l'innovation, Priyanka Khanna, a fait référence à la « course aux matières premières » : la compétition pour des matériaux recyclables de haute qualité et la livraison de flux de déchets « harmonisés» aux recycleurs. Dans la phase initiale, l'accent sera toujours mis sur les déchets pré-consommateurs, mais après 2030, le recyclage post-consommateur devra augmenter à grands pas pour répondre à la demande et résoudre le problème de carbone et de déchets de l'industrie.
Le symposium coïncidait avec la fin du projet New Cotton de Fashion for Good, qui régénérait les déchets textiles en 'nouveau coton' avec la technologie de l'Infinited Fiber Company. « Les entreprises doivent réaliser que nous [les recycleurs] ne créons pas un monstre - qu'au contraire, nous avons besoin d'infrastructures et de relations solides pour effectuer notre magie. Nous représentons une partie considérable de la solution », a déclaré Kirsi Roine, Chief Customer Officer chez Infinited Fiber Company.
En ce qui concerne le recyclage chimique, la demande devrait augmenter rapidement, à la fois en raison des objectifs de circularité de la mode et des réglementations sur la gestion des produits chimiques. Le recyclage mécanique est un autre domaine de compétition, avec des marques comme Nike et Adidas se faisant concurrence pour la technologie de recyclage de fibres de plus en plus populaire, Patagonia étant le pionnier en recyclage de polaires depuis 1993.
Les discussions sur le recyclage ont abouti à une idée, qui n’a cessé d’être évoquée lors du symposium : l'éducation est cruciale. « Quand il s'agit de recyclage avancé, les gens pensent encore principalement au plastique. En ce qui concerne le textile, il y a un travail à faire pour expliquer que la mode a un problème qui peut être résolu. Nous devons inspirer les gens pour qu'ils changent, c'est ce que nous voulons accomplir à travers ces événements », a conclu la directrice de l'innovation Priyanka Khanna.
Cet article a initialement été publié sur FashionUnited.nl. Il a été traduit et édité en français par Aéris Fontaine.