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Ce qui ne nous aura pas marqué dans la mode en 2016

By Herve Dewintre

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C’est la trêve de confiseurs. L’activité tourne au ralenti :le moment idéal pour jeter un rapide regard dans le rétroviseur et tenter de dresser un classement des événements marquants de l’année. Ces événements en général, sont faciles à identifier car ils correspondent à des pics émotionnels liés à la disparition brutale de symboles, de personnes aimées (on pense à la mort de Franca Sozzani) ou tout simplement à des festivités spectaculaires : défilés mémorables, cérémonies prestigieuses, etc. Il nous a semblé plus intéressant, car plus difficile, de faire un bilan, non pas des événements qui nous ont marqués, mais des phénomènes peut être plus silencieux, voir même inaperçus – quasiment des non-événements en quelque sorte - qui vont mathématiquement changer la donne pour les années à venir.

Premier non-événement : la baisse des ventes de textile qui se poursuit en 2016. On n’en parle même plus tellement cette baisse est devenue systématique. Pourtant c’est un fait accablant : le marché de la mode a perdu 12 pour cent de sa valeur entre 2007 et aujourd’hui. Et ce n’est pas fini : l’IFM anticipe déjà un recul pour l’année prochaine. Des chiffres terrifiants qui se traduisent par des pertes d’emplois à tous les niveaux de l’industrie (des ateliers aux magazines), des fermetures de boutiques (principalement des boutiques traditionnelles de type centre-ville), des fermetures d’usines aussi.

Pourquoi ce désamour ? Personne ne peut l’expliquer clairement : on peut juste constater que la désormais célèbre « crise des subprimes » de 2008 a changé durablement les comportements des consommateurs. La mode depuis cette crise est restée une activité plaisante mais elle ne fait plus partie des priorités dans le budget loisir des « ménages ». L’âge d’or de la mode a vécu. La croissance du marché du luxe est négative. Désormais, on privilégie l’achat malin, on délaisse le culte de l’objet éternel : en somme, l’expérience est devenue plus importante que l’acquisition. Grosso-modo, cela se caractérise de la manière suivante : plutôt que d’acheter l’énième sac à la mode, les consommateurs préfèrent désormais investir dans un week-end découverte.

Pas de nouvel eldorado de la mode en vue

Deuxième non-évènement, constitutif du premier, c’est le mercato des créateurs. Inutile de le détailler ici : la liste serait trop longue. Il a touché tous les types de maisons qui composent la planète mode (mode masculine, mode féminine, luxe, maisons familiales, marques appartenant à un groupe). Ce qui est intéressant ici, ce n’est pas l’énumération in extenso des départs et des arrivées, mais la constatation du fait que ces mouvements de va et vient ont modifié leurs cadences et leurs intensités. On pense plus particulièrement au passage en coup de vent de Justin O’Shea chez Brioni : six mois et puis s’en va. Dans l’indifférence il est vrai, la plus totale des critiques mode et des médias aux ordres des annonceurs.

De notre point de vue, cette ronde frénétique - largement due à la panique des dirigeants accablés par les mauvais chiffres de la croissance - entérine définitivement le précepte suivant : le pouvoir au sein des maisons de mode et de luxe n’appartient plus aux couturiers (mot désormais obsolète), ni aux directeurs artistiques, mais à la cellule marketing de la société elle-même entièrement dévouée aux stratégies fluctuantes de présidents souvent issus du monde de l’agro-alimentaire ; présidents eux-mêmes nommés par un actionnaire tout puissant. Cette passation de pouvoir est conforme aux mouvements de fonds qui ont métamorphosé la mode en 25 ans. Jusqu’aux débuts des années 90, le monde de la mode et du luxe était constituée d’un état-major de PME familiales. En une génération, ces PME, pour des raisons diverses, se sont agglomérées autour d’une petite poignée de grands groupes qui, à l’image des holdings financières, ont désincarné les maisons pour les traiter comme des marques de soda ou de lessive. Avec une nouveauté tout de même : ces départs sont de plus en plus souvent initiés par les créateurs eux-mêmes (Raf Simons, Hedi Slimane). Les tractations se font avec âpreté, mais les départs se font dans un calme relatif, un peu comme dans le monde du foot.

Troisième non-événement, peut-être le plus inquiétant : le non-retour de la Chine dans le panorama mondial de la consommation du luxe. L’eldorado asiatique, dont ont profité avec raison et talent tant de maisons de mode et de luxe, n’est plus. Non seulement il n’est plus, mais il ne reviendra surement pas de sitôt. Les chinois consomment désormais la mode différemment, le marché est à saturation. Les discours anti-corruption sont passés par là : finis les cadeaux luxueux qui parachevaient les petites affaires entre amis. On aurait pu croire qu’un autre pays allait compenser (après tout l’industrie du luxe a été portée par le Japon dans les années 70 et 80, puis par les Russes et les Chinois lors des décennies suivantes) mais non : il n’y a aucun candidat à la succession et aucun marché « émergeant » n’est assez prometteur pour permettre d’affirmer qu’un nouvel eldorado se pointe à l’horizon. Résultat : la mode, le luxe, le monde de la création dans sa globalité est condamné - à défaut d’explorer de nouveaux territoires physiques - à découvrir de nouvelles voies : la mode participative ? l’art de vivre ? l’expérience client ? La profession cherche encore.

Crédit photo : campagne printemps/eté 2017 Brioni (Metallica) www.brioni.com

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