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Racisme et diversité: la mode doit-elle consulter?

By Herve Dewintre

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Faut-il consulter lorsque l’on n’est pas capable par soi-même de définir ce qui est offensant ou ce qui ne l’est pas? C’est en tout cas l’avis de Prada qui a décidé de se doter d’un “conseil consultatif” sur la diversité. Diversité: ce mot emprunté au latin ‘diversitas’ (c’est à dire divergence), signalait au Moyen Age quelque chose de bizarre et exprimait volontiers une notion de méchanceté. Aujourd’hui, il désigne couramment un état indiquant une pluralité. Il évoque aussi depuis une décennie, une aptitude à prendre en compte l’existence de différentes cultures s’articulant elles mêmes autour de sensibilités diverses. Il s’applique également à l’identité de genre. Enfin, disons le franchement, il assigne désormais et très clairement à sa définition la désignation des personnes non-blanches, celles qu’on appelait autrefois les “minorités visibles”, issues ou non de l’immigration. C’est bien cette dernière acceptation du mot qu’il faut comprendre dans la création du conseil consultatif décidé par la maison de luxe italienne.

Le rappel dans les grandes lignes des faits qui ont amené la création de ce conseil : une série d'objets présentés dans la vitrine du magasin Prada du quartier de SoHo a suscité ces derniers jours l'émoi sur les réseaux sociaux: ces motifs déclinés sur des porte-clés, des coques pour téléphones portables font parti de la gamme de produits Pradamalia. Pour la maison de luxe, ce sont des « créatures imaginaires sans référence intentionnelle au monde réel ». Pour de nombreux internautes, ces motifs évoquent sans ambiguïté des « blackfaces » : ces caricatures mettant en scène des visages noirs aux yeux écarquillés et aux lèvres d’une épaisseur disproportionnée. Ces caricatures, fort employées au XIXeme siècle mais aussi durant une grande partie du XXème siècle, associaient ostensiblement les personnes ayant la peau noire à des clichés malveillants ou condescendants : ces figures s’accompagnaient de gesticulations ou de légendes évoquant la paresse, la lubricité, l’ignorance ou la naïveté.

L’activisme : nouvelle valeur phare de la mode

Si dans un premier temps, la maison de luxe italienne a indiqué que ces figurines étaient des créatures imaginaires, elle a ensuite précisé que la ressemblance de ses produits avec le blackface n’était pas intentionnelle. Cela signifie que Prada ne conteste plus cette ressemblance, mais nie simplement sa préméditation. En d’autres termes, Prada admet, en toute bonne foi, que ses dessinateurs n’ont pas été aptes à discerner dans leurs créations, les éventuelles réminiscences culturelles qu’elles ne manqueraient pas de douloureusement évoquer à de nombreuses personnes. Cela aurait pu ne pas être le cas. Cette ressemblance aurait pu être une provocation sous forme de réflexions, dans tous les sens du mot, d’un imaginaire révolu vu par le prisme culturel d’une nouvelle génération. Ces provocations sont monnaie courant dans le monde de la mode et de l’art contemporain. Elles se justifient d’autant plus que l’art n’a pas vocation à créer le consensus. Mais cela n’a pas été le cas ici. Prada a préféré plaider l’incompétence. La marque a retiré toutes ses figurines de la vente.

"La ressemblance de nos produits au blackface n'était pas du tout intentionnelle, mais nous reconnaissons que cela n'excuse pas les dommages causés. Désormais, nous nous engageons à améliorer nos formations à la diversité et nous allons former immédiatement un conseil consultatif pour guider nos efforts en matière de diversité, d'inclusion et de culture", a indiqué Prada. Le groupe italien s'est aussi engagé à "examiner les procédures qui ont mené à ce que de tels produits arrivent sur le marché" et à "faire don des recettes de ces produits à une organisation new-yorkaise qui lutte pour la justice raciale, une valeur en laquelle nous croyons fermement".

Chaque époque a son vocabulaire, son jargon, ses mots nouveaux (ou ses mots anciens changeant de signification). Ce vocabulaire constitue l’idiome provisoire et changeant de chaque génération. Rien de plus naturel. Chaque génération a également son propre système, ou plutôt sa propre hiérarchie de valeurs, qui la distingue de la période précédente. La mode cristallise ces changements qu’elle met plus qu’aucune autre en lumière de manière instantanée tout simplement parce que la mode incarne le changement. D’après Gilles Lipovetsky, elle l’incarne même, en Occident, depuis le milieu du XIVème siècle: pour le sociologue, la mode qui n’a d’autre but que l’exaltation de la fantaisie et de l’éphémère est même un des ressorts de la démocratie. Sans le goût de la mode, sans les flux et reflux de ce qui est élégant ou de ce qui ne l’est plus, une société ne fait que perpétuer des règles immuables. Comme si le culte de la frivolité, favorisant la déraison, permet à chacun de mieux déconstruire les systèmes de valeurs de la génération précédente pour les réinterpréter à l’aune de ses propres critères.

Certes, chaque valeur, chaque nouveauté portent en elles leurs propres excès. Ainsi, le même Hedi Slimane qui incarnait dans les années 2000 la quintessence du dernier cri, est devenu, d’après ses détracteurs - avec les mêmes créations et les mêmes silhouettes - l’incarnation du couturier mâle qui dégrade la femme en ne prenant pas en compte ses préoccupations. Certains ont écrit qu’il était l’équivalent dans la mode de Trump dans la politique. Ces critiques s’inscrivent dans un mouvement de fond: l’activisme galvanisé par les réseaux sociaux. Cet activisme, parfois excessif, comme peuvent être excessifs toute attitude morale ou tout système de conduite privilégiant l’action directe, met au premier plan des valeurs somme toute essentielles et dont cette génération n’a pas à rougir: ces valeurs sont l’empathie et le respect des autres, de la vérité des autres. Ce respect exige un minimum de connaissances culturelles, ce qui, au final, nous semble être une bonne chose.. Il appartiendra à chaque créatif de jouer ou non avec ce background culturel, parfois même de l’utiliser pour le détourner, parfois, pour les meilleurs, de le briser pour tracer de nouvelles voies. Mais il importera désormais, - disons pour une génération - de posséder ce terreau de connaissances universelles. Si pour chaque maison, cela suppose l’intervention des professionnels à consulter, comme on consulte un médecin ou un historien, c’est un prix somme toute assez faible à payer.

Crédit photo: capture d’écran twitter, dr

Celine
Prada