Sylvette Lepers : « La Redoute propose des vêtements créateurs à des prix accessibles à un large public »
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Alors que la prochaine collaboration La Redoute X jeunes créateurs sortira le 4 décembre 2024 avec Jeremy Currat (ex Louis Vuitton), Sylvette Lepers, responsable des collaborations créateurs et des projets spéciaux pour La Redoute, propriété du groupe Galeries Lafayette, explique à FashionUnited la façon dont elle opère.
Quelles missions dirigez-vous au sein de La Redoute ?
Mon rôle est de proposer des collections singulières et exclusives de jeunes talents, marques, personnalités ou labels plus installés, en mode et en design. Je les accompagne depuis le processus de création jusqu’à la campagne photos.
Comment opérez-vous la sélection des créateurs pressentis ?
C’est une histoire de rencontres. J’aime les marques incarnées. J’ai envie d’être séduite par le créateur ou la créatrice, par son univers et ce qui l’anime.
C’est donc un choix personnel et sensible, et non motivé par des performances économiques ?
Il n’est pas interdit que ce soit pour une réalité commerciale, mais le sujet premier est bien le soutien à la création. Il y a, dans l’ADN de notre maison, la volonté d’être un révélateur de talents et de proposer à un large public des pièces de créateurs à des prix accessibles. Nous savons très bien que lorsque nous éditons un jeune créateur, nous ne sommes pas sur un succès commercial comme pour une marque déjà installée. Il s’agit de trouver le bon équilibre entre succès commercial et succès relatif, mais ce dernier réside toujours dans le fait d’ouvrir une fenêtre d’expression à la création.
Est-ce que certains créateurs refusent d’être associés à un support populaire, par peur de dévaloriser leur image de marque ?
Nous avons cette chance d’avoir initié les collaborations créateurs dès 1969, avec Emmanuelle Khanh, ce qui nous confère une certaine légitimité. Elle faisait partie de ces jeunes qui voulaient démocratiser la couture pour faire du prêt-à-porter. Depuis, nous n’avons jamais cessé ces collaborations, à raison de deux fois par an.
Dans les années 90, tous les grands noms nous ont fait l’honneur de faire des collections exclusives : Yves Saint Laurent, Azzedine Alaïa, Sonia Rykiel, Karl Lagerfeld. Dans les années 2000, nous nous sommes tournés vers la jeune création : Isabel Marant, Vanessa Bruno, Koché, Maison Château Rouge, entre autres.
Je porte un regard sur la création depuis 2011, alors que je dirigeais le département presse. Pour ma première collaboration, j’ai proposé à Simon Porte Jacquemus. En 2013, j’ai invité Anthony Vaccarello alors qu’il n’était pas encore chez Saint Laurent.
Je ne reçois pas de refus, car La Redoute est connue pour bien faire les choses. Je suis garante de La Redoute, mais également de l’image du créateur, le temps de la collaboration. Une image se construit lentement et se déconstruit très vite. Il s’agit pour moi d’une histoire de confiance et de respect réciproque
Comment se fait le rapprochement entre La Redoute et les créateurs ?
Toujours de façon très naturelle, j’aime que les choses se fassent si elles semblent évidentes. Soit les créateurs viennent vers moi, soit je les contacte. C’est pourquoi je suis toujours à l’affût. Je suis de nature curieuse, j’aime toutes formes de créations, j’ai la chance de faire partie de plusieurs jurys dans de nombreuses écoles de mode dont La HEAD à Genève, qui est une très belle école.
Quel type de consommatrices achètent les collaborations créateurs ?
Des clientes qui aiment découvrir de nouvelles marques et recherchent un style créateur à un juste prix. Elles sont nombreuses et très différentes. J’ai la chance d’avoir des consommatrices régulières qui achètent systématiquement une ou deux pièces.
Qu’est-ce qui vous différencie des collaborations diffusées par H&M. ou Zara ?
Je ne m’exprimerais pas sur d’autres acteurs, mais je dirais que La Redoute aime à révéler de jeunes talents. Elle le fait avec ses valeurs et selon ses moyens. Je précise ce que je ne peux pas faire – la fourrure, question d’éthique – mais, sinon, je les laisse très libres. Je n’aime pas les cahiers des charges. J’ai envie que ça leur ressemble, mais je ne peux pas faire de pantalons à trois jambes, il faut quand même que nous vendions. C’est ma seule contrainte. Une bonne collaboration, c’est de la transparence et du respect de part et d’autre.
Comment s’opère la production des vêtements ?
Une fois que nous nous sommes mis d’accord sur les deux ou trois silhouettes, soit une petite dizaine de vêtements, le créateur vient à Roubaix, nous choisissons ensemble les matières sourcées auprès de nos fournisseurs. À La Redoute, nous avons la chance d’avoir des modélistes. L’une d’entre elles m’accompagne sur tous les sujets créateurs. Nous assurons la confection des modèles dans des ateliers qui sont basés en Europe, avec de très beaux tissus italiens, par exemple, mais aussi en France, comme récemment avec notre programme de pulls laine et cachemire.
Nous avons un parc de fournisseurs qui nous suit en termes de quantités à produire. Il fut un temps où l’on passait une commande, on faisait du réassort et parfois il nous restait des stocks. Nous sommes de plus en plus sensibles aux dead stocks, bien que La Redoute n’ait jamais détruit ses invendus, mais remis à des associations.
Nous travaillons de plus en plus sur des petites quantités. Pour un jeune créateur, on parle de quelques centaines de pièces ou moins, c’est-à-dire des collections plus restreintes et pas de réassort. La cliente commande quand la capsule sort, puis elle passe à autre chose. Ce sont des pièces désirables que l’on aime s’offrir dès leur mise en vente
La Redoute est une entreprise qui a une forte résonance à l’international et fait partie du groupe Galeries Lafayette. Nous vendons en France et à l’étranger, ainsi qu’aux Galeries Lafayette (espace créateurs). Les créateurs apprécient de s’adosser à un groupe de renom qui sait faire. Et, aujourd’hui, ils ont envie que les pièces soient portées et vues dans la rue.
Quel est le positionnement prix des collaborations La Redoute X jeunes créateurs ?
Un manteau est vendu autour de 180 euros, un pantalon 80 euros, une blouse 70 euros. Ces tarifs n’ont rien à voir avec les prix pratiqués par leur maison. Par exemple, nous avons fait une collaboration avec Courrèges. La fameuse petite robe, commercialisée 1500 euros dans leurs boutiques, était proposée à 99 euros. Quand les personnes de l’atelier de la maison de couture ont vu la collection, ils nous ont demandé : « Comment faites-vous ? ».
Pensez-vous que les prix soient un frein pour l’essor des collections créateurs ?
En tout cas, les collections exclusives leur offrent une visibilité, leur permettent de toucher un plus large public, de percevoir une rémunération et d’être intéressé aux ventes. Ce n’est faire offense à personne de dire que certains ne sont pas du tout connus.
Pour leur collection personnelle, on observe que des prix élevés rendent les choses difficiles pour tout le monde. Il y a un enjeu à les faire baisser. Il y a une réalité économique qui fait que nous ne pouvons pas vendre un manteau 1 500 euros. C’est toute la difficulté quand on édite quelques pièces comme c’est souvent le cas. Et encore plus lorsqu’ils souhaitent que ce soit du made in France ou avec un savoir-faire particulier (comme le plissé soleil).
Il y a des choses très bien faites qui ne sont pas made in France. D’où l’intérêt pour un jeune créateur d’être bien entouré et encadré dans des structures qui peuvent les soutenir. Un créateur se sent fréquemment très seul.
Pensez-vous, dans la mesure où ils peuvent s’organiser, que les jeunes créateurs ont intérêt à vendre moins cher ?
L’union fait la force. Ils sont accompagnés par des structures comme la Fédération du Prêt-à-Porter ou la Fédération de la Haute Couture et de la Mode, mais, s’ils s’alliaient, plutôt que de travailler chacun de leur côté, ils pourraient conjuguer leur force. Il y a quelque chose à faire de ce point de vue.
Ce serait intéressant qu’il y ait des petites structures de fabrication pour optimiser leurs couts de revient : achats de matières premières, unités de fabrication qui absorbent leurs volumes de production. Peut-être existent-elles déjà ? Si tel est le cas, il faut le faire savoir.