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Véronique Beaumont : « Esmod est connectée à l’évolution des métiers de la mode »

By Herve Dewintre

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Business |INTERVIEW

La plus vieille école de monde du monde a fêté ses 180 ans lors d’une semaine de célébrations créatives qui mettent en lumière la pertinence d’un enseignement et la singularité d’une pédagogie désormais pilotés par Véronique Beaumont, nouvelle directrice générale du groupe. Interview.

Derrière la grande porte monumentale en bronze créée par la maison Christofle, les invités venus des quatre coins du globe ne cachent pas leur enthousiasme. Il faut dire que l’événement est à la hauteur de la magnificence de ce somptueux hôtel particulier parisien situé au cœur du 8eme arrondissement, avenue de Friedland. Nous sommes à l'hôtel Potocki, dans la grande salle de réception de la chambre de commerce et d’industrie de Paris qui sert de cadre au défilé annuel du groupe Esmod International. Un défilé exceptionnel puisqu’il constitue le point d’orgue d’une semaine de festivités – au cœur de laquelle figurait une exposition « Héritage et Patrimoine : 180 ans d’atelier » organisée dans les locaux de l’école à Pantin mais aussi au sein du musée La Piscine à Roubaix - célébrant 180 ans de la plus ancienne école de mode du monde.

Exceptionnel pour sa date anniversaire, mais aussi pour son contenu. C’est la première fois que l’école met en place à Paris une telle démonstration de savoir-faire exprimée par une sélection des meilleures créations des étudiants des 18 écoles du groupe. Un groupe qui rappelons-le est totalement international : ses établissements sont en effet présents dans 12 pays : la France (à Paris, Lyon, Roubaix, Bordeaux, Rennes), le Japon, la Corée, la Chine, l’Indonésie, la Malaisie, les Emirats-Arabes Unis, la Turquie, le Liban, la Syrie, la Tunisie et la Norvège.

Un moment phare piloté avec brio par Véronique Beaumont qui après 30 ans de carrière aux cotés des créateurs, qui ce soit chez Christian Lacroix ou Marcel Marongiu, a pris les fonctions de Directrice Général du groupe dont elle avait intégré durant 7 ans les équipes pédagogiques en prenant en charge les cours de marketing créatif, développement produit et distribution, à Roubaix et Paris avant d’être nommée en 2017 par Satoru Nino, président du groupe, à la tête de l’entité Esmod Pro qui se consacre à la formation professionnelle. Elle y avait développé avec succès le portefeuille client de l’organisme tout en structurant son offre de formation.

Un début de mandat sur le chapeau de roue et dont les premiers résultats sont d’ores et déjà visible dans l’organisation de l’événement : une prise de parole ciselée avec soin en collaboration avec l’agence Fantastic Communication fondée par Nicolas Dal Sasso et Christian Lemoine de la Salle qui pilotent la communication de l’école depuis février dernier, une charte graphique établie par l’agence créative Flirt Studio basée à Marseille, une mise en scénographie par Amandine Labbe (fondatrice du label inclusif U-Exist qui propose des appareillages orthopédiques alliant esthétisme et technique) . Sur le podium, les créations étudiantes manifestent une liberté créative en phase avec leur époque : genderless, fluidité, portabilité, recherche de l’équilibre personnel et de l’harmonie intérieure : l’envie d’avoir envie servait visiblement de fil conducteur à cette sélection qui conjuguait démonstration technique et expression personnelle. Le fruit d’une nouvelle méthode ? Ou perpétuation d’une signature qui a fait ses preuves depuis 1841 ?

Quelles sont les particularités d’Esmod ?

« La spécificité d’Esmod réside tout d’abord dans la longévité de son histoire, analyse la Directrice Générale. Une entreprise ne vit pas jusqu’à 180 ans si elle ne représente pas quelque chose de fort et d’unique. Cette histoire est née à Paris. Alexis Lavigne, le fondateur de l’établissement, était un tailleur pour dame et, comme vous le savez, l’art tailleur réclame les techniques les plus difficiles qui soient. Je précise que c’était un tailleur visionnaire : tailleur amazonier de l’impératrice Eugénie, il avait publié une méthode révolutionnaire combinant le costume d’homme et le vêtement pour femme qui permet à ses techniques de descendre dans la rue. Il augure en quelque sorte le prêt à porter.

Esmod est une école de prêt à porter ?

J’ai souvent entendu dire qu’Esmod était finalement l’école du « Prêt Ap' » par opposition implicite à d’autres établissements qui seraient tournées quant à elles vers la Couture. Je formulerai différemment : tout d’abord, Alexis Lavigne, grâce à la publication de sa méthode, avait prouvé qu’il n’était pas superficiellement élitiste et qu’il avait la volonté de s’adresser à tous. Ensuite, cette volonté de ne pas s’adresser à un microcosme a précisément permis à l’école d’être en phase avec des générations de stylistes précurseurs : le prêt à porter des années 70 a été porté par une nouvelle vague de créateurs qui respectaient beaucoup la technique et le savoir-faire, comme par exemple Thierry Mugler qui a d’ailleurs fait un passage à Esmod Paris. Je précise par ailleurs qu’Alexis Lavigne était également un immense inventeur à qui on doit le mètre ruban et le buste mannequin (son élève, le sculpteur belge Frédéric Stockman donna son nom aux futurs bustes employés dans les ateliers). Il veillait également de manière scrupuleuse au bien-être de ses collaborateurs. L’éthique et ce qu’on appelle aujourd’hui la Responsabilité d’une manière générale faisaient naturellement partie de sa méthode. Esmod résume encore aujourd’hui cette philosophie globale.

Le groupe Esmod compte aujourd’hui 18 écoles présentes dans 12 pays. Que représente Paris dans cette équation ?

L’école Esmod est née à Paris. Son identité reste fondamentalement liée aux savoir-faire français. La France est une référence mondiale dans la mode qui représente des centaines de milliers d’emplois dans l’hexagone. Paris et la France font donc partie de l’essence du groupe qui tire également sa force de sa diversité et qui fait la part belle aux différences de cultures. Nos étudiants apprécient beaucoup les interactions. Je ne vois pas par exemple pourquoi on ne pourrait pas demander à un professeur au Japon d’animer une masterclass qui aurait lieu dans notre célèbre salle boisée de l’école de la rue de la Rochefoucauld à Paris.

Allez-vous renforcer cette transversalité et le rapprochement des écoles ?

Cette transversalité est déjà une réalité : le design, le stylisme, la technique, le business sont intrinsèquement mêlés. L’hybridation de l’enseignement fashion design et de l’enseignement fashion business est l’une de mes priorités. La diversité est d’autant plus importante que je crois fermement au décloisonnement des « prés carrés ». La création, d’une manière générale, ne s’est jamais autant nourrie du croisement des regards et des disciplines. Nos cours intègrent des notions de sociologie et même de philosophie. Je veux renforcer cette transversalité qui est aujourd’hui une réalité dans le monde du travail et de la création. C’est la raison pour laquelle j’ai recruté de nouveaux professeurs qui tout en maîtrisant parfaitement l’enseignement Esmod ont une grande expertise professionnelle. Ce sont des personnalités au parcours hybride qui n’opèrent pas avec un fonctionnement en silo.

Satoru Nino, Président du groupe Esmod International, a insisté sur le rôle fondamental de la recherche dans les prochaines années, lors de son discours prononcé durant le défilé des 180 ans. Pourriez-vous nous en dire davantage à ce sujet ?

Esmod est et doit être connectée à l’évolution des métiers de la mode. Être designer aujourd’hui ne signifie pas simplement savoir dessiner ou illustrer, mais nécessite de comprendre et d’intégrer les enjeux de la transformation à laquelle est confrontée l’industrie de la mode. Il faut savoir collaborer avec d’autres métiers. C’est le but de nos partenariats et de nos collaborations, notamment avec le Seti ou avec la chaire Bali qui est un centre d’information et de recherche sur les disruptions technologiques à venir pour le secteur de la mode et du textile. C’est dans la nature d’Esmod qui a été fondé par un inventeur, d’avoir son regard tourné vers l’innovation et de s’intéresser à la recherche dans le textile, à l’évolution du modélisme, aux nouvelles technologies et à l’écoresponsabilité. La reconnaissance du Ministère de l’enseignement supérieur, avec le visa équivalent master, ouvre depuis juillet dernier aux étudiants de la 4eme et 5eme année Fashion Design la possibilité de continuer jusqu’au doctorat.

De l’avis général, les créations présentées durant le défilé à l’hôtel Potocki séduisaient par leur maitrise technique mais également par la vitalité de leur inspiration. Des propositions de style visiblement en phase avec leur époque et vraiment désirables. Une génération particulièrement douée ?

La nouvelle génération est complexe : bien sur elle a été très affectée par la pandémie qui a peut-être renforcée des ressentiments envers leurs ainés. Mais c’est également une génération animée par une grande force vitale et qui aime le travail bien fait. J’ai été surprise de voir à quel point les premières années étaient attirées par la Couture non pas dans ce qu’elle représente d’élitiste mais dans ce qu’elle représente d’artisanale, en termes de quantité raisonnée, de production respectueuse du travail des artisans. Le genderless était également une tendance de fond. Pour répondre. d’un point de vue général à votre question concernant le style des créations vues pendant le défilé, je dirai que nous avons entamé une réforme non seulement des programmes mais aussi une réforme pédagogique. On veut à tout prix éviter le formatage. Depuis la rentrée, nous nous attachons à libérer la créativité des étudiants dès la première année. Ils peuvent ainsi par exemple, présenter leur moodboard comme ils le souhaitent, en papier, en digital ou en vidéo. Il ne faut pas faire entrer les gens dans les cases à tout prix. C’est un équilibre à trouver entre le respect d’un cahier des charges et l’expression d’une univers personnel. La création, c’est aussi et à mon sens, la liberté.

Crédit photos: Lucie Monroe, Alexandre Gaudin

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