Exposition : vues de dos, les femmes sensuelles et toujours dépendantes
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Paris - Aucun vêtement d'homme, à part la camisole de force, ne s'est jamais fermé par derrière, mais ceux des femmes le sont souvent, une façon de les rendre dépendantes : une exposition à Paris explore le rapport de la mode au dos, cette partie du corps qu'on contrôle le moins.
De la contrainte d'une fermeture à la sensualité d'un dos dénudé, d'une traîne de cour à la charge d'un sac à dos, l'exposition « Dos à la mode » propose jusqu'au 17 novembre une centaine de silhouettes du XVIIIe siècle à nos jours qui dialoguent avec les sculptures, tournées de dos, du musée Bourdelle.
« Anatomiquement, le corps n'est pas fait pour mettre ses bras dans son dos. C'est antinaturel, la fermeture dans le dos », souligne le commissaire de l'exposition Alexandre Samson.
Les créateurs érotisent l'idée de la soumission comme John Galliano avec une robe fourreau fermée par 51 boutons.
A la fin du XVe siècle, le laçage apparaît au dos des femmes quelle que soit leur condition- les paysannes qui n'ont pas de femme de chambre se font aider par un frère, père ou mari. Au XVIIIe siècle apparaissent les agrafes, les corsets au XIXe se ferment sur le devant mais se lacent sur le dos... Les hommes ne sont asservis de cette manière que dans les prisons et les hôpitaux psychiatriques. A une seule exception.
Puccini et Pierre Richard hypnotisés par des dos nus
« A Paris dans les années 1830-40 à Ménilmontant, les hommes revêtaient des gilets d'égalité fermés dans le dos "pour qu'un frère vienne vous aider" en symbole de fraternité universelle. Sauf que pour les femmes c'est leur quotidien », souligne Alexandre Samson.
Le décolleté apparaît au XXe siècle quand Paul Poiret débarrasse les femmes du corset, mais reste dans un premier temps l'apanage des prostituées.
Jusqu'à ce que Rita de Acosta Lydig, l'une des femmes les plus en vue de la haute société américaine, ne montre pendant l'entracte le dos dénudé d'une « simple robe noire », depuis dans sa loge au Metropolitain Opera de New York. Giacomo Puccini, qui présente la première de La Fanciulla del West, vient passer le reste de la soirée au fond de la loge privée de Rita...
En 1972, l'actrice française Mireille Darc qui n'apparaît que pendant 8 minutes dans « Le Grand Blond avec une chaussure noires » avec Pierre Richard commande à Guy Laroche une robe « pour marquer les esprits » qu'on retrouve dans le parcours ainsi que la scène mythique du film.
« Elle a assez peu de poitrine, alors on décide de décolleter le dos. Au fur et à mesure il baisse la ligne, jusqu'à l'indécence, heureusement il y a une chaînette qui retient l'encolure. L'anecdote veut que personne n'en a parlé à Pierre Richard qui était complètement estomaqué », raconte Alexandre Samson.
Dos absent, dos marqué
Le sac à dos, lui, associé à la corvée des militaires ou des écoliers peine beaucoup plus à conquérir les fashionistas. Hermès en 1968 a fait un premier essai qui ne marche pas. Mais Prada parvient à changer la donne à la fin des années 70 avec un sac à dos en nylon.
« Le dos, c'est la seule partie de nous-mêmes que nous ne voyons pas et que les autres voient mieux que nous. Jouer avec le dos c'est jouer avec une forme de fragilité, d'impuissance et l'être humain déteste l'impuissance », souligne Alexandre Samson.
La traîne apparaît au XIIIe siècle pour que les riches en allongeant l'arrière de leur vêtement protègent leur dos. Lors de son couronnement, Catherine II de Russie a une traîne de 14 mètres de long portée par 12 valets, un record absolu.
Et le dos est paradoxalement absent des photos des défilés que plusieurs plateformes spécialisées publient désormais en instantané. Dans un couloir du musée, on retrouve tous les défilés de la Fashion Week à Paris en septembre: 3.607 looks, aucun profil, aucun dos.
D'où la force du message porté sur le dos. « I really don't care, do you? » (Je m'en fiche, et vous?) : avec cette estampille au dos de sa parka Zara, la première dame américaine Melania Trump a fait scandale en juin 2018 alors qu'elle se rendait dans un camp d'enfants sans papiers à la frontière mexicaine. (AFP)
Images : Musée Galliera