Dans les coulisses du recyclage
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L’attitude innovation passe et passera par le recyclage. De plus en plus. Car sous ce terme peu glamour se cache les dernières tendances les plus pointues, les plus novatrices, des marques, industriels, enseignes de mode, de toute la filière. Le terme s’inscrit dans une démarche de Rse (Responsabilité sociale et environnementale) et englobe des notions aussi variées que l’éco-conception, le tri sélectif, l’économie circulaire, le commerce équitable …
« Le véritable enjeu est de créer une filière du recyclage, un éco-système », explique Alain Claudot, le directeur général d’Eco-TLC, l’éco-organisme de la filière des Textiles d’habillement, du Linge de maison et Chaussures (TLC). Cette entreprise privée, à but non lucratif, est la seule agréée par les pouvoirs publics français pour collecter l’éco-contribution versée par les fabricants et distributeurs de produits TLC et pour l’utiliser afin de développer en France une filière de recyclage performante.
Cette filière, encore à structurer, s’inscrit ainsi dans une démarche d’économie circulaire : tri, recyclage et valorisation, pour ce faire innovation et R&D, nouvelles matières premières, nouveaux produits, nouveaux textiles, réutilisés, et qui seront à leur tour, une fois délaissés ou usagés, déposés dans un point d’apport, collectés, puis à nouveau triés. Il s’agit donc de mieux maîtriser toutes les ressources environnementales, sociales et économiques, et ce dès la conception des produits neufs, de mieux intégrer leur impact tout au long du cycle de vie et notamment lors de la fin de vie. Un cercle vertueux qui passe par l’harmonisation du maillage de collecte professionnelle, l’optimisation des méthodes de tri industriel et le développement d’opportunités de valorisation rentables grâce à la R&D. « Les chemins de l’innovation » regroupent ainsi des projets R&D soutenus par Eco TLC. Parmi eux, Auchan et son projet Recyc’lab, qui vise à transformer des fibres de vêtements en fin de vie en coques de smartphones, ou encore le projet 4Rfid de Decathlon, le développement d’un pilote pour mettre au point le procédé complet de traçabilité des textiles.
Des projets de recherche en cours
Mais pour recycler, encore faut-il que les textiles à réutiliser soient d’abord déposés afin d’être triés. C’est la première étape, indispensable. Sur ce point primordial car en aval de toute la chaîne de recyclage, les choses progressent vite. Une récente étude de l’Ifm (Institut français de la mode), mandaté par Eco-Tlc, a révélé que les Français étaient très sensibilisés au recyclage, de manière globale. Ainsi, 88 pour cent du panel de 1000 individus interrogés déclare pratiquer le tri sélectif des emballages. En matière de textile et chaussures, le recyclage entre cependant plus lentement dans les mœurs. Une petite majorité stocke ses textiles et chaussures en bon état dans les caves ou placards, et 37 pour cent les dépose dans un point de collecte. Toutefois, encore 10% des personnes interrogées jettent à la poubelle les textiles en bon état dont elles ne veulent plus, et plus de 40 pour cent les textiles usés. Il existe pourtant sur le territoire français environ 40 000 points d’apport. Ces « spots » de collecte sont aussi bien des antennes locales d’associations caritatives, que des conteneurs sur la voie publique ou encore des boutiques participantes. Un « nouveau geste » qui concerne aussi bien les produits en bon état qu’usés, déchirés, afin qu’ils soient recyclés. Le site « J’ai la fibre du tri », lancé par Eco-TLC, recense ces points de dépôt.
Le tri : première étape du recyclage
Les entreprises s’impliquent de plus en plus dans cette démarche. Les grandes marque – enseignes ont besoin de se doter d’une caution morale de plus en plus mise à mal par les dégâts de la production mondialisée, mis notamment sur le devant de la scène avec l’effondrement des sites de production Rana Plaza, au Bangladesh en 2013, qui causa plus de 1000 morts et une prise de conscience mondiale. Par ailleurs, la loi les pousse a réalisé ce pas « Rse » en avant : depuis le 1er janvier 2007, la loi a élargi la responsabilité légale des entreprises commercialisant des TLC sur le marché français, aux déchets issus de leurs produits. Aussi, ils ont pour obligation de mettre en place ou de contribuer au recyclage des produits mis sur le marché. Ce système s’appelle « Responsabilité Elargie du Producteur » (ou R.E.P.).
Ainsi, l’enseigne internationale H&M installe dans ses boutiques des bacs de récupération de vieux vêtements et distribution en échange des bons de réduction à ses clients. « Chaque année, explique l’entreprise, des milliers de tonnes de textiles sont jetées avec les ordures ménagères. Or, 95 pour cent de ces vêtements peuvent être recyclés ». C’est pourquoi H&M a lancé en 2013 cette initiative pour la collecte des vêtements dans le monde entier. Tous les vêtements et textiles de maison « en fin de vie », quelle que soit leur marque et leur état peuvent être déposés dans n’importe quel magasin H&M à travers le monde. Ils sont ensuite collectés et classés en trois catégories : les vêtements qui peuvent être portés à nouveau et seront vendus sur le marché de l’occasion, ceux qui seront transformés en d’autres produits (chiffons, etc.) et enfin, les vêtements qui seront transformés en fibres textiles et utiliser, par exemple dans l’isolation pour l’habitat. Depuis le lancement de ce projet, plus de 32 000 tonnes de vêtements ont été récupérées. Des collections H&M ont même été réalisées à partir de ces textiles recyclés.
Une autre enseigne la nordiste Camaïeu (600 magasins), a organisée voici deux ans sa première grande collecte de vêtements, au profit de l’association Tissons la Solidarité, qui œuvre pour la réinsertion des femmes en situation précaires via la couture. 40 tonnes ont été récupérées lors de cette première opération baptisée « les vêtements oubliés ».
De son côté, l’association » Les Chaussettes Orphelines », animée par Marcia de Carvalho fabrique depuis 10 ans des vêtements recyclés à partir de vieux vêtements, et plus précisément des anciennes chaussettes usagées. Elle organise même un défilé de mode solidaire, dont le dernier s’est tenu en début d’année à l’Hôtel de Ville de Paris.
La chaîne de (re)-production
Mais après ? Derrière ces initiatives, de plus en plus nombreuses, se cache tout un éco-système industriel. Celui de la collecte et du tri, puis celui du traitement des produits. « Les acteurs des associations travaillent avec des opérateurs spécialisés dans le tri, afin de ventiler, de répartir les produits en fonction de leur état et de leur utilisation future. Aujourd’hui, environ 25 pour cent des fils ou des fibres utilisés dans nos textiles sont recyclés. Ils sont traités après le défibrage des chutes de production récupérées par l’industrie de l’effilochage. Il existe deux principales applications : l’industrie du fil et le non tissé, à destination des textiles techniques. Les industriels de l’effilochage sont présents en France via quatre grosses unités situées près des principaux bassins de production, à commencer par les Hauts de France. Il s’agit de recyclage mécanique.
En parallèle, le recyclage chimique (uniquement pour les fibres synthétiques) se développe. Il s’agit alors de passer du polymère au monomère pour pouvoir retraiter la fibre et la réinjecter dans un circuit de production.
C’est une boucle qui prend en compte les ressources d’un produit. « Il faut considérer la ressource première la plus évidente qui est la matière. On va, par exemple refaire un fil nouveau. Il y a aussi sa potentielle ressource financière. Enfin, il faut prendre en compte les ressources humaines derrière cette économie, les maintiens ou créations d’emplois. C’est une démarche Rse. Il existe cependant un obstacle de poids à cet idéal. Contrairement au papier, la filière textile est très diversifiée, les produits sont extrêmement différents en terme de mélange, de composition. Or, plus la composition est complexe, plus le recyclage est difficile puisqu’il faut séparer les fibres au préalable.
Les acteurs de cette filière, marques, industriels, designers, distributeurs, ingénieurs y travaillent. « Les chemins de l’innovation » regroupent ainsi des projets R&D soutenus par éco TLC. Les projets, audités par un comité scientifique parties prenantes directes et indirectes de la filière vont de l’éco conception (des chaussures éco-conçues), à la création de nouvelles gammes de produits acoustiques en textiles recyclés, en passant par la mise au point de fils recyclés pour la bonneterie à partir de chaussettes trouées et ou dépareillées, ou encore d’utilisation de vêtements usagés pour le filage de matières recyclée à partir d’une technologie de défibrage.
Le facteur « coût » est le principal obstacle au déploiement du recyclage
« Techniquement, c’est au point, on sait le faire, explique Alain Claudot. Mais les coûts de production d’un fil en coton recyclé sont plus importants que ceux d’un fil vierge. La filière du coton recyclée n’est pas compétitive au regard de la filière classique, mais si l’on investit dans le coton durable, respectueux de l’environnement, tout en étant capable d’industrialiser le coton recyclé, les deux courbes pourraient se rejoindre ». La priorité étant d’œuvrer à l’aboutissement des solutions techniques pour dupliquer et généraliser un modèle écologique et compenser ainsi les écarts de couts.
Le modèle en est au balbutiement de son histoire industrielle. Le secret ? Il faut optimiser la matière vierge car elle et sera de plus en plus chère et de plus en plus rare. D’autant que les exigences environnementales augmentent dans tous les pays industrialisés. C’est pour cela que la mise en place d’une politique de développement durable dans la mode s’inscrit dans le moyen terme, comme toutes les démarches Rse et environnementales.
Ce qu’on bien comprit, encore une fois, les grandes entreprises et les grands distributeurs de la mode. Le groupe Kering par exemple, a lancé sa stratégie de développement durable à dix ans, définissant « le luxe durable de demain ». Avec une approche à 360 degrés au sein de ses propres activités mais aussi de l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, Kering s’engage à poursuivre la réduction de son impact environnemental, à promouvoir le bien-être au travail et la protection des salariés à l’intérieur comme à l’extérieur du groupe, ainsi qu’à encourager les initiatives « en rupture » du modèle traditionnel et les plateformes innovantes en matière de développement durable. Les principales ambitions de cette stratégie sont d’utiliser les ressources dans le respect des « limites planétaires », de continuer à travailler sur l’ensemble des impacts environnementaux de la chaîne d’approvisionnement, de créer un « index de développement durable des fournisseurs ».
Les grandes marques ne peuvent plus faire l’impasse sur une démarche de développement durable, car elles savent que c’est élément incontournable de leur image. Ce sont elles qui donneront l’impulsion et feront évoluer la production… pour redonner envie au consommateur.
photo : chaussettes orphelines, défilé de mode solidaire