Fashion Week de Berlin : Entre tailleurs et temples techno
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L’industrie de la mode berlinoise a des objectifs ambitieux. Il ne s'agit pas de rivaliser avec Paris et d'imiter d'autres villes de la mode, mais d'établir la capitale allemande comme une métropole de la mode à part entière, explique le Fashion Council Germany (FCG), qui parraine la Berlin Fashion Week (BFW), clôturée la semaine dernière.
Afin de positionner Berlin en tant qu’épicentre de la mode allemande, mais surtout mettre la ville sous les feux de la rampe internationale, le Fashion Council Germany, en collaboration avec le département sénatorial des affaires économiques, de l'énergie et de l'industrie de Berlin, se concentre sur la promotion des jeunes talents. Une stratégie qui vise possiblement à les ancrer davantage dans la capitale allemande, face aux départs d’anciens talents berlinois tels que GmbH et Ottolinger qui ont récemment intégré la Fashion Week de Paris.
Que représente la mode de Berlin ?
« Berlin a sa propre histoire », a tenu à souligner la présidente du FCG, Christiane Arp, lors de l’événement d'ouverture de la Fashion Week de Berlin. Elle met en évidence ce que le premier jour de la semaine de la mode a déjà prouvé : Berlin prospère grâce à la pluralité des styles et aux contrastes. Cela s'applique aux performances artistiques ainsi qu'à l'architecture de la ville, qui parvient souvent à voler la vedette à l'attraction principale : la mode. En plus de la mode, l’événement a offert aux participants une visite de Berlin, qui, grâce à un programme complet et un bus touristique, a pris des airs de voyage scolaire dédié à la mode. Dès le premier jour, l’attraction a donné le signal d’envoi d’une Fashion week berlinoise (BFW) diversifiée et parfois contradictoire.
La Fashion Week mettait à l’honneur les lauréats du concours « Berlin Contemporary », initié en janvier par le Sénat et le FCG. Les 18 gagnants, dont quatre marques ukrainiennes qui contribuent depuis la saison dernière à façonner et politiser la semaine de la mode, ont chacun reçu 25 000 euros pour présenter un défilé lors de la BFW.
L’événement a été ouvert par la marque éponyme ukrainienne Bobkova. Au cœur de l'île aux Musées de la ville, dans le jardin du palais du Kronprinzen, elle a présenté une collection délicate, bien que peu spectaculaire, aux tons pastel doux avec des imprimés floraux et des robes légères et fluides en contraste avec des silhouettes plus masculines. Mais gare à ceux qui pensaient que ce premier défilé donnerait le ton visuel de la semaine. Les pièces subtiles et élégantes présentées dans un monument historique ont laissé place à des défilés à l’arrière-cour d’un immeuble préfabriqué. Sur un podium quelque peu instable, Melisa Minca, lauréate du prix Platte pour la durabilité, a donné à voir une collection recyclée provocatrice et très conceptuelle débordante d'idées, mais qui a légèrement pêché en termes de finition. Elle n’est pas la seule puisque les collections de certaines griffes mettaient l’accent sur le concept, devant la technique et la confection.
Après une mini-rave chez Lucas Meyer-Leclère, qui s'est consacré à la chorégraphie et à la couture cette saison, Otto Drögsler et Jörg Ehrlich d'Odeeh ont clôturé la première journée de la BFW avec une collection colorée et riche en sequins à la galerie James Simon, marquant ainsi le début d'une journée qui préfigurait le programme contrasté des jours à venir.
Attrait commercial et déclarations conceptuelles
En parallèle des défilés à l’attrait commercial évident, comme la collection de la marque ukrainienne Podyh, les performances ont marqué la semaine de la mode grâce à leur concept et mise en scène unique, notamment chez Acceptance Letter Studio ou la créatrice Irina Dzhus, également originaire d’Ukraine. Cette dernière a révélé sa collection convertible au sein du The Feuerle Collection, un bunker rénové datant de la Seconde Guerre mondiale. En comparaison, le défilé de sa compatriote Lilia Litkovska au Kraftwerk était peu spectaculaire, tant dans la mise en scène que dans le choix du lieu. Cependant, la collection, marquée par des lignes épurées et un savoir-faire impeccable, s'est avérée être l'un des défilés préférés des visiteurs. Et cela, sans fioritures excessives ni sièges.
Des collections comme celle de Litkowska prouvent que Berlin peut aller au-delà des stéréotypes dépassés de temple de techno, même si ceux-ci n'ont bien sûr pas été oubliés, mais plutôt affinés cette saison. Ainsi, le duo de designers derrière la marque Richert Beil, Jale Richert et Michele Beil, a présenté une collection qui remet en question les rôles de genre, les enveloppant de latex et de cuir sans évoquer nécessairement les connotations habituellement associées à ces matériaux notamment grâce à une confection impeccable. « Father, Ours » est le nom de la collection présentée dans un ancien supermarché, qui combine sans effort des costumes à rayures, des tenues de rocker, des éléments BDSM et des napperons en dentelle de grand-mère, mais rend cette combinaison désirable. Le titre de la collection est une référence aux éléments « paternels » de la collection, tels que le costume à rayures. Toutefois, on y retrouve également une connotation religieuse, bien qu'elle soit moins provocante que la collection religieusement scandaleuse de Nan Li et Emilia Pfohl, dont la marque Namilia a fait sensation et suscité des réactions à la fois d'excitation et d'indignation.
Alors que l’événement réunissait de manière générale une petite foule, le Kronprinzenpalais était envahi par des disciplines de la marque Namilia avant même le défilé de son défilé. Les fans vêtus des pièces extravagantes de la marque et les petits curieux attendaient devant l’entrée du palais. Si de tels rassemblements sont assez courants dans d’autres métropoles de la mode lors des Fashion Week, le phénomène était assez surprenant car peu commun à Berlin. Le public coloré composé de journalistes spécialisés, célébrités locales et fans de la marque a pu découvrir dans les salles du Kronprinzenpalais une collection incroyablement bien ficelée, divertissante mais aussi extrêmement provocatrice.
Avec « In Loving Memory of My Sugar Daddy », les mannequins remarquablement diversifiés de Namilia rendaient hommage à leur mécène apparemment décédé. Le titre de la collection donne une indication claire de ce à quoi ressemblerait la collection. Les pièces signatures du vestiaire des « nouveaux riches », comme les survêtements inspirés de Juicy Couture, rencontraient les classiques de la « vieille fortune », tels que le sac emblématique Birkin d'Hermès qui était détourné en jupes et hauts. Selon les notes du défilé, une cinquantaine de créations étaient inspirées des « légendes de la haute couture comme Cristobal Balenciaga et Christian Dior », mais celles-ci se perdaient dans la mer de latex, de peau nue et d'iconographie catholique. Cependant, les slogans à connotation sexuelle et la performance théâtrale semblent avoir créé le buzz parmi les visiteurs, car aucun autre défilé n'a été célébré avec autant de hurlements, de railleries et d'applaudissements.
Les jeunes talents, l'avenir prometteur de Berlin
Alors que Namilia a déjà fait sensation en janvier avec sa diversité, son inclusion et sa mode provocatrice, la BFW a fait office de tremplin pour la marque Milk of Line. Le duo de designers, diplômés de l'Académie royale d'Anvers et formés chez Givenchy, a littéralement emmené les invités dans les étoiles au Zeiss Major Planetarium. Sa première collection, intitulée « Dozen », s’est distinguée par une palette de couleurs naturelles et le mélange de cuir et de tissus légers et fluides, associant ainsi le charme idyllique de la campagne à l'ambiance brute de la grande ville. Certains de ses designs pouvaient faire penser à la première et unique collection de Ludovic de Saint-Sernin pour la maison de mode belge Ann Demeulemeester. Toutefois, à l’inverse du créateur, il est inconcevable que cette collection soit la dernière du duo.
Avec sa marque SF1OG, Rosa Marga Dahl représente l'un des espoirs les plus prometteurs de la mode berlinoise. Bien que son nom puisse être un casse-tête presque insoluble pour les invités internationaux, le potentiel de cette marque durable était évident dès les premiers sons de piano qui ont résonné dans le Ludwig Erhard Haus. Le langage stylistique de la créatrice combine une certaine obscurité - que beaucoup associent à l'esthétique de la capitale allemande - à une forme de légèreté et une touche de nostalgie, notamment grâce au mélange de matériaux tels que la dentelle centenaire et le cuir recyclé. La collection « 21:16-3-1 » présentée dans l'ancienne Bourse de Berlin était dédiée aux sports équestres et aux souvenirs d'enfance de Rosa Marga Dahl, mais le résultat était tout sauf enfantin malgré les chevaux en bois utilisés comme sacs à main. Le logo de la marque, une sorte de G inversé, était plus visible que jamais dans cette collection, préfigurant une direction commerciale mais aussi créative pour SF1OG et pour la mode berlinoise.
Avant le début de la BFW, le créateur William Fan a dévoilé son documentaire « William Fan - In Between » au Delphi Filmpalast pour sa première. Le film est depuis disponible au sein de la médiathèque ARD et offre un aperçu des coulisses du monde coloré du créateur, qui a présenté une subtile collection Pride au Gropius Bau lors de la Fashion Week de Berlin. Dès l’entrée du bâtiment, son défilé s’annonçait déjà comme l’un des plus élaborés de la Fashion Week. On y retrouvait un mur devant lequel les invités pouvaient être photographiés, chose rare à Berlin. William Fan était pour l’occasion sponsorisé par Mercedes-Benz, tout comme l'était autrefois toute la semaine de la mode berlinoise. Cependant même sans ce partenariat lucratif, la collection aurait été ce qu’elle a été, à savoir l’une des performances les plus émotionnelles, colorées et subtilement politiques de la saison PE24 - William Fan agitait presque secrètement le drapeau arc-en-ciel.
Sous le titre « Ceremony », le créateur de mode a présenté une collection placée sous le signe du mouvement Pride, mais en évitant tout cliché visuel et en disséquant le drapeau en différentes parties individuelles. Des tenues complètes aux couleurs de l'arc-en-ciel, un tee-shirt avec l'inscription « Are you a friend of Dorothy », en référence au personnage du Magicien d'Oz, des imprimés métamorphosés en bouquets pour les mariés. Le créateur a offert une mode qui célébrait chaque occasion, le tout dans le cadre d'un spectacle élaboré, chorégraphié au son de « November Rain » de Guns'n'Roses.
L'ensemble de la Fashion Week, sous l'égide du Fashion Council Germany, était également une célébration des jeunes talents berlinois. Les créateurs de mode ont prouvé que Berlin, avec toutes ses imperfections, avait un potentiel certain pour être une ville de la mode, notamment pour tous ceux qui recherchent une mode qui capte l'esprit du temps et qui considère la diversité non pas comme une tendance, mais comme une évidence.
Il reste néanmoins à voir si Berlin se joindra au calendrier de la mode et ne sera plus perçue comme la cinquième roue du carrosse derrière New York, Londres, Milan et Paris, mais comme une métropole de la mode sérieuse. Une reconnaissance que les jeunes talents de la capitale allemande méritent certainement.
FashionUnited a été invité à la Fashion Week de Berlin par le Fashion Council Germany.
Cet article a initialement été publié sur FashionUnited.de. Il a été traduit et édité en français par Aéris Fontaine.