Le concours Shein X Challenge 2023 vu de l’intérieur
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La troisième édition du concours Shein X Challenge, organisée à Londres les 9 et 10 mars 2023, a permis de mettre en lumière la gagnante Amy Sala et les neuf autres candidats venus tenter, sans engagement financier, leur chance de toucher une clientèle cible, mais également de poser des questions sur le business model d’une marque chinoise, malmenée par certaines critiques. Reportage.
Jeudi 9 mars 2023, 10 candidats* (8 en présentiels, 2 retenus dans leur pays, en visio) participent au concours créateurs, lancé par la marque chinoise Shein. L’action se déroule à l’hotel Mondrian London Shoreditch. Sur grand écran, chacun présente un moodboard printemps été 2023 et le dessin de trois modèles saisonniers au jury : Julien Fournié, fondateur de sa marque de Haute Couture éponyme, Adrien Roberts, directeur international de l’éducation à l’Academia Costume & Moda (Rome) et administrateur de la Graduate Fashion Foundation, Colin Horgan, designer indépendant irlandais, et Jill Wanless, rédactrice en chef de Hello ! Fashion.
Les membres du jury ont alors à charge de donner des conseils pour améliorer le projet. En outre, ils proposent une master class, respectivement sur la technologie, la création d’un moodboard et l’importance de se créer son propre univers. Le lendemain matin, vendredi 10 mars, après avoir retravaillé leur présentation, pour certains toute la nuit, les candidats reviennent sur le podium pour exposer à nouveau leur projet corrigé selon ce qu’ils ont retenu (ou voulu retenir) des conseils prodigués.
Concours Shein X Challenge, l’occasion de poser des questions sur le business model de Shein
Vient ensuite la délibération du jury pendant laquelle FashionUnited improvise une conférence de presse pour connaître un peu mieux les motivations qui ont poussé les finalistes à participer à ce concours. Il faut savoir qu’ils étaient, lors de l’appel à projets, 2 446 à postuler. Parmi lesquels Shein en a soumis une petite soixantaine au jury qui en a donc retenu dix. Ils ont tous des profils - âges , backgrounds, etc. - différents. Ainsi, Stephan Bakos, un Vénézuelien qui habite à Berlin, a-t-il fait un stage de six mois chez Alexandre Vauthier, tandis que Léa Berthaud, la jeune Française, est encore au lycée. Mais, à la question de connaître leur motivation, tous affichent leur admiration pour un model business inclusif tant en ce qui les concerne personnellement (quelles chances auraient-ils de participer à un concours élitiste ?) qu’économiquement.
« Shein crée des habits pour tout le monde : tailles, styles, couleurs de peaux, nationalités… » répond Carla Castro, une Italienne installée en Grèce, inspirée par les drama queens. « Il n’y a pas beaucoup de sociétés qui donnent une opportunité à des designers » indique Maria Molina, créatrice de robes de mariée. « Shein créé le futur, ajoute Daniela Ricciarrdelli, dont le moodboard "Sex and Sea" affiche un programme bien sympathique. La chose la plus importante est que Shein va me permettre de rendre accessible mes modèles à un large public ».
À la question de savoir ce qu’ils n’aiment pas chez Shein, la seule réponse obtenue par Maria Molina est « Shein, c’est tellement bien que le seul risque est de vouloir tout acheter et dépenser tout mon argent ». La séance aurait pu s’en tenir là, mais, avouons-le, difficile de traverser la Manche pour assister à cet événement qui a été relayé sur les réseaux sociaux, sans poser une question cruciale : « tout ce qui se dit sur Shein sur les conditions de travail et les cadences, ça ne vous dérange pas d’y associer votre image ? ». Silence.
C’est à ce moment que la directrice Europe, Cui He, une Chinoise installée à Londres intervient. En poste depuis 6 ans, elle a à cœur de jouer la transparence sur le business model de Shein : « En réalité, Shein se distingue des autres marques de fast fashion en se positionnant sur une production à la demande. Nous ne fabriquons que ce que notre clientèle réclame. Nous y parvenons car nous sommes une marque en ligne, ce qui signifie que nous n’avons pas de boutique physique [hormis quelques pop stores comme celui ouvert ce samedi 10 mars à Lyon, ndlr.]. Nos ventes en ligne nous permettent d’être présents dans 150 pays et ainsi d’appliquer un test and learn business model. Nous fabriquons de petites quantités, 200 ou 300 pièces par produits. Nous testons les modèles auprès de notre clientèle et, s’ils plaisent, alors nous en fabriquons plus. Nos invendus n’excèdent pas dix pour cent ».
Cui He poursuit : « les critiques viennent du fait que les gens ne savent pas comment nous travaillons, le concours Shein X Challenge est un bon moyen de nous découvrir. Nous l’organisons pour offrir notre soutien à des designers inconnus, leur donner du pouvoir, et particulièrement à ceux qui n’ont pas de grandes opportunités. Beaucoup veulent lancer leur propre marque et c’est très difficile d’y arriver. Nous ne gagnons pas d’argent avec ce concours, par contre, les concurrents n’ont rien à perdre que d’essayer. Nous payons pour la fabrication des vêtements et après ils sont testés directement online. Les concurrents peuvent voir si leurs modèles plaisent aux clients. Ils reçoivent une commission sur les ventes ».
De quoi s’interroger sur cette easy fashion chinese successul target ?
Toujours selon Cui He, il y a de l’incompréhension sur la façon dont la supply chain fonctionne : « Je peux vous assurer que Shein est aligné sur tous les standards internationaux et je vous invite à aller sur notre site internet sheingroup.com pour le vérifier. Nous ne possédons aucune usine, nous travaillons avec des partenaires et sommes attentifs à la façon dont ils traitent leurs ouvriers. Les gens ne connaissent pas bien la Chine, nous voulons ouvrir nos portes et inviter les professionnels à nous connaître mieux. »
La même question est ensuite posée à Julien Fournié qui fait ici preuve d’un point de vue sans ambiguïté : « Shein est une start-up qui a énormément progressé en dix ans et a, aujourd’hui, besoin de bien s’entourer pour évoluer dans le bon sens. Ce challenge d’aller chercher des designers du monde entier à travers une marque low price mais… qui fait ça ? Qui donne leur chance à des jeunes ? Depuis quand, en France, bénéficie-t-on d’aides sans passer par le jeu politique ? Ils vont pouvoir challenger leur travail à travers des clients finaux et un défilé parisien. Shein est un game changer complet. »
Nous voici donc dans un concours non seulement inclusif mais qui va permettre aux gagnants (et d’ailleurs ils le sont quasiment tous puisque tous vont au bout du processus) de défiler à Paris, le 8 juin 2023, avec les trois tenues, puis de les faire fabriquer et enfin de les tester directement sur le site Shein. Un all process qui ne leur coûtera pas un euro. Tout l’accompagnement est pris en charge par Shein, ce qui tranche littéralement avec d’autres concours organisés en France, où l'on a vu des finalistes s’endetter jusqu’à 10 000 euros pour fabriquer leur collection, voyager jusqu’au lieu du concours, se loger… Et repartir souvent déçus, avec quelques contacts qui ne déboucheront, peut-être, sur rien.
Amy Sala et sa Dopamine Collection remportent le concours Shein X Challenge 2023
Le moment de la remise des prix s’effectue aux alentours de 14 heures. La tension est palpable. Le troisième prix (5 000 euros) est attribué à Harry Paredes, qui a ajouté des manches à ses tops suite aux conseils des mentors. Le second prix (également 8 000 euros) va à Angel Tram, qui s’est illustré dans une collection aux motifs animaliers. Un prix est également remis à la Française Delphine Ragot. Enfin la gagnante est Amy Sala qui empoche la somme de 10 000 euros pour sa « Dopamine Collection ». Elle vient d’une école de mode de Manchester et est visiblement surprise d’avoir été choisie.
À la question de savoir ce qui a motivé le jury, il ressort que ce dernier a apprécié que leur mentoring ait porté ses fruits. « Le premier jour, on leur a donné un feedback de leur travail. S’ils n’étaient pas capables d’en tenir compte, d’une certaine façon, ils s’éliminaient tous seuls, explique Adrien Roberts. On ne leur a rien imposé, juste fourni des indications pour qu’ils puissent améliorer leur travail et trouver des solutions par eux-mêmes. »
Aux dires des membres de jury, il semble qu’Amy Sala ait su, dans sa manière de dessiner, apporter une touche de modernité aux silhouettes généralement proposées. « J’ai beaucoup aimé sa façon de dessiner le corps féminin, souligne Julien Fournié. Elle s'est affranchie d’autres designers, n’a pas fait référence à des tendances de la mode et sa gamme de couleurs, mélange de pistache et framboise, est inédite ». Quelques coupes de champagne plus tard, chacun se dit « rendez-vous à Paris ». Et voilà comment, à travers le concours Shein X Challenge 2023, la marque Shein est, peut-être, en train de bousculer certains points de vue.
*10 candidats : Amy Sala, Angel Tran, Blanca Martin Barcina, Carla Castro, Daniela Ricciardelli, Harry Paredes, Léa Berthaud, Maria Molina, Sonia Sara, Stephan Bakos.