Le PDG de Secrid, René van Geer : « Dans dix ans, la production dans le pays d’origine sera la chose la plus normale du monde »
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Le reshoring (relocalisation de la production) est la tendance actuelle. La marque néerlandaise Secrid, qui a créé le Cardprotector (porte-cartes), est experte dans ce domaine. « Dès le début, quasiment toutes les pièces ont été produites aux Pays-Bas », déclare le cofondateur René van Geer. Dans cette interview, il affirme que la production dans le pays d’origine sera la chose la plus normale du monde.
Secrid a été fondée par René et Marianne van Geer. Ils ont développé, en 2009, un porte-cartes unique offrant une sécurité absolue et pouvant être utilisé seul ou inséré dans un portefeuille. Aujourd’hui, les porte-cartes et les portefeuilles Secrid sont vendus dans plus de 7 500 points de vente (web) internationaux sélectionnés. René et Marianne s’efforcent, chaque jour, avec leurs trois enfants et une centaine de collègues, d’améliorer et de perfectionner le Cardprotector et leur entreprise.
Racontez-nous l’évolution de Secrid jusqu’à nos jours.
Cela ne s’est pas fait sans heurts. Notre tout premier porte-cartes, le Bodycard, a été développé de 1995 à 2008. Nous avons mis en œuvre ce projet parallèlement à notre agence de design Spirid. Au cours de ces douze années, nous avons compris qu’il était préférable de se concentrer sur une seule activité. Ainsi, en 2008, en pleine crise, nous avons décidé de dire adieu à notre agence de design. Nous avons préféré élaborer nous-même nos produits plutôt que de confier cette tâche à des tiers. Nous nous sommes alors entièrement consacrés à notre nouveau porte-cartes tout en restant fidèle à notre philosophie et à nos objectifs. Nous privilégions la production de qualité, propre et socialement responsable. C’est la raison pour laquelle nous produisons la quasi-totalité de nos pièces aux Pays-Bas. Quelques pièces seulement viennent de Belgique, d’Allemagne et d’Italie, parce qu’elles ne sont pas disponibles aux Pays-Bas. De plus, nous voulons vendre des produits d’excellence. Rien n’est trop bon pour nous, et si nos produits présentent des défauts, nous prenons en charge leur réparation.
Pourquoi avez-vous décidé d’assurer la production dans votre propre pays ?
Posons la question inverse : « Pourquoi produire dans un pays étranger alors qu’on peut le faire chez soi ? » Il est intéressant de remarquer que la production en Chine est la norme, alors que la production aux Pays-Bas requiert des explications. C’est absurde. À l’époque, nous n’avons pas éprouvé le besoin de nous tourner vers l’étranger. En fait, la production en Chine ne présentait que des inconvénients. Nous avons également remarqué que beaucoup d’entreprises optent pour l’étranger pour économiser sur les coûts environnementaux, ce que nous ne voulons pas faire. Nous estimons que chaque producteur doit tenir compte des exigences environnementales majeures de sa production. Et il s’avère qu’il est parfaitement possible de fabriquer des portemonnaies concurrentiels aux Pays-Bas à condition d’avoir un concept intelligent et des partenaires conciliants.
Comment avez-vous procédé ?
Les portefeuilles classiques, qui nécessitent une main d’œuvre importante, sont très onéreux. Comme nous avions imaginé un tout nouveau concept et développé nous-mêmes les processus de production et les outils nécessaires, nous pouvions produire nos portefeuilles aux Pays-Bas. Les délais de production sont plus courts que pour les portefeuilles classiques. Ce qui ne veut pas dire pour autant que notre production est entièrement automatisée. En 2019, nous avons procuré du travail à près de trois cents personnes sur différents sites de production. Cette année 2020, placée sous le signe du coronavirus, nous avons dû temporairement réduire notre effectif, mais la plupart de nos fournisseurs ont heureusement encore suffisamment de travail.
Au printemps dernier, vous avez contribué au développement de masques de protection pour l’hôpital Reinier de Graaf Ziekenhuis en Hollande-Méridionale ? Comment expliquer cela ?
Nos ateliers de couture n’avaient pas de travail et l’un de nos collègues, qui habite à proximité de cet hôpital, nous a appris que l’hôpital avait un besoin urgent de masques de protection. Nous avons immédiatement compris ce qu’il fallait faire. En quelques semaines nous avons transformé notre ligne de production en une ligne entièrement productive. C’était un beau projet qui nous a procuré une grande satisfaction. Actuellement, quatre de nos fournisseurs s’occupent encore de la production de masques de protection et de masques faciaux. De plus, une usine a exploité une grande partie de sa capacité productive pour la production d’appareils respiratoires.
Quel est le principal avantage de produire dans son propre pays ?
Je ne peux pas me limiter à un seul avantage, car il y en a beaucoup : excellente qualité, contrôles de qualité simples, procédés de production propres, système de communication simplifié, un seul fuseau horaire, déplacements courts (tout se fait dans un rayon d’environ 150 km), émission minimale de CO2, changement rapide de collections, petites séries, petits stocks, allègement du poids des contraintes de capital, vente sur stocks jusqu’à la semaine précédant Noël, prix stables (quel que soit le cours du dollar), stabilité politique, aucun droit à l’importation, réduction des droits à l’importation en cas d’exportation aux États-Unis et ainsi de suite. À noter également que presque tous nos contrefacteurs sont chinois. Par conséquent, si nous produisions en Chine, nous formerions les contrefacteurs qui atteindraient notre niveau de qualité. À l’heure actuelle, il y a encore une grande différence entre nos produits et la contrefaçon chinoise en termes de qualité. Certaines marques prestigieuses de portefeuilles se servent de porte-cartes contrefaits et ne réussissent pas à égaler notre qualité. Tout le monde semble sous-estimer la complexité du procédé de production. C’est la raison pour laquelle nous donnons la préférence à une production dans le pays d’origine. Enfin, l’agitation politique croissante en Chine et aux États-Unis nous incite également à privilégier la production aux Pays-Bas.
Pendant la pandémie de COVID-19, beaucoup d’entreprises ont eu des problèmes de ravitaillement. Avez-vous remarqué que la production aux Pays-Bas présentait un gros avantage par rapport aux autres marques ?
Nous n’avons manqué d’aucun produit ni d’aucune pièce. Le marché fournit peu d’informations sur la situation des entreprises qui se servent de copies ou de look-a-likes provenant de Chine. Je suppose qu’elles ont été confrontées à des problèmes de livraison. Le signal positif que je capte concrètement du marché est la demande consciente et accrue d’une production responsable « not made in China ».
« La demande consciente d’une production responsable augmente. ‘Not made in China’ : le souhait d’un nombre croissant de consommateurs »
Étant donné votre expérience en matière de reshoring : que pourriez-vous conseiller à ce sujet aux autres marques ?
Comme nous venons de le dire, nous ne voyons que des avantages pour Secrid. D’une manière générale, je pense que la production aux Pays-Bas et dans l’UE ne fera que s’accroître dans les années à venir. Tout le monde nous traitait de fous lorsque nous avons commencé à produire aux Pays-Bas. Ajourd’hui, beaucoup sont intéressés par ce type de production ou nous imitent déjà. Dans dix ans, ce sera la chose la plus normale du monde.
Comment faites-vous face à la crise actuelle ?
Dans notre réseau, la crise affecte surtout les personnes malades. Sur le plan économique nous avons enregistré une baisse de notre chiffre d’affaires. Les ventes sur les sites touristiques, dans les aéroports et les avions ont subitement chuté et ne reviendront pas à leur niveau initial ces prochains mois. Certains des points de vente de notre réseau ne survivront pas.
Notre magasin de marque de Rotterdam avait à peine ouvert ses portes, lorsque la pandémie de COVID-19 s’est déclarée. Ce n’était pas le bon moment, financièrement parlant. Nous avons ouvert ce magasin surtout comme « laboratoire », pour vivre l’expérience concrète d’un magasin et mieux comprendre l’univers des 7.500 détaillants auxquels nous fournissons nos produits. Nous avons compris que l’expérience d’un magasin est très intéressante, même en cette période de crise. Par conséquent, nous recommandons à toutes les marques d’en ouvrir un. Cette crise nous invite également à la réflexion tout en offrant de nouvelles opportunités de relance pour notre entreprise. Nous avons réussi à surmonter la crise de 2008 qui était encore plus grave que la crise actuelle. Après coup, nous réalisons que cette crise de 2008 a été la meilleure chose qui nous soit arrivé (sur le plan commercial). Nous n’en étions pas conscients pendant la crise. C’est une conclusion claire que nous pouvons tirer après coup. Je pense que nous pourrons considérer l’année 2020 dans la même optique dans les années à venir.
Quels sont vos projets d’avenir ?
Nous avons plein de projets pour l’avenir, mais nous les considérons d’un œil critique à cause de la pandémie de Covid-19. Le monde en perpétuel changement nous incite à revoir nos plans. D’autre part, le coronavirus n’étant pas encore vaincu, ces nouveaux projets doivent encore se cristalliser. La planification restera un processus dynamique au cours de l’hiver prochain. Nous espérons donner forme à notre nouvelle stratégie au printemps 2021. Nous sommes impatients de collaborer avec d’autres entreprises, comme nous l’avons fait avec la marque Freitag. Nous sommes régulièrement contactés mais une collaboration est toutefois complexe. Cela ne se fait pas du jour au lendemain. Mais, une fois la collaboration solidement ancrée, comme avec Freitag, elle peut durer des années. Grâce la forte similarité de nos philosophies, de nos caractéristiques et de nos stratégies, la collaboration avec Freitag s’est avérée exceptionnellement intéressante et inspirante. Outre la collaboration au niveau des produits, nous échangeons également beaucoup d’informations sur notre méthode d’exploitation, notre stratégie, entre autres. Nous avons pu les aider en ce qui concerne le reshoring. Ils ont pu nous aider à travailler selon le système d’holacratie : une façon naturelle de donner une structure claire à notre organisation horizontale et ouverte. Secrid a évidemment l’intention de lancer de nouveaux produits, mais nous ne pouvons encore rien vous dire à ce sujet.